Aires de famille 3/8. Les raisons de la colère
Olivier Horner
Publié samedi 21 juillet 2007 à 02:18
En 1977, Renaud dégoupille ses révoltes citoyennes.
CHANSON. Renaud. Laisse béton. (1977, Polydor/Universal)
Entré en chanson avec «Crève salope» sur les barricades de mai 1968, Renaud affiche clairement sa rébellion contre toute forme d’autorité. Son père, «anarcho-socialiste» déclaré est aussi professeur d’allemand, écrivain et traducteur. Il a inculqué précocement à son mauvais élève de fils une méfiance envers les forces de police, les militaires et l’ordre en général. Dès 1967, quand Renaud redouble sa classe au Lycée Montaigne à Paris, il est déjà féru de la chose politique. Les événements de 1968 vont précipiter et aiguiser sa plume rebelle. Un mois durant, Renaud participe activement au mouvement insurrectionnel des étudiants et vit dans l’Université de la Sorbonne comme beaucoup d’autres. Ce contexte-là aura une influence déterminante sur les préliminaires d’un répertoire jamais vraiment rentré dans le rang depuis et bâti quarante ans durant. Pourtant, la carrière chansonnière du jeune anarchiste aux allures de titi parisien ne décollera qu’à la publication en 1977 de son deuxième album, Laisse béton.
Renaud a écouté Bob Dylan, Hugues Aufray, Graeme Allwright. Il aime aussi Montéhus, Aristide Bruant, Georgius qu’il a interprété dans les rues et au fameux Café de la Gare parisien. C’est son époque dandy gouailleur, chemises en dentelles et cravates lavallières pour faire la manche dans les cours d’HLM, sur les marchés et dans les bistrots évidemment. Guitare en bandoulière, il reprend aussi le répertoire de l’entre-deux-guerres: la chanson réaliste de la tragédienne Fréhel, le maître Bruant.
Avant le succès des chansons «Laisse béton» et «Je suis une bande de jeunes», extraites de Laisse béton, Renaud avait fini par assurer les premières parties des spectacles de Coluche, autre grand pourfendeur d’autorité et empêcheur de tourner en rond avec lequel naît une indéfectible amitié. C’est à son contact que le gavroche affûte la plume vitriolée qui signe «Hexagone», «Ecoutez-moi les gavroches» ou «Société tu m’auras pas». Ces couplets-refrains détonants parsèment son premier disque colérique, Amoureux de Paname. Deux ans avant Laisse béton, Renaud a en réalité déjà trouvé son style indiscipliné. Où brille l’argot, l’humour et un sens de la formule imparable. Renaud, lui, n’y croit pas vraiment, persévère dans ses envies d’être plutôt comédien.
Pourtant, sur la scène de la Pizza du Marais, café où se produisent également Julien Clerc, Maxime Le Forestier, Higelin ou Lavilliers à l’époque, le titi au répertoire anarchisant commence à faire un tabac. Son foulard rouge d’anar et sa casquette de Gavroche s’effacent soudain au profit d’un look de loubard, adopté suite à ses fréquentes virées en banlieue où il découvre une zone inspiratrice. Le marlou se mue en loulou, et le verlan habite son répertoire en construction. Quelques concerts en province plus tard, avec son pote Gilou, l’accordéoniste de Pierre Perret, la sortie de «Laisse béton» est un pavé dans la mare d’une chanson française globalement sage. Le disque du même nom décapsule les thèmes de la zone entre les barres de HLM, des états d’âme de bandes de jeunes à mobylettes, des loubards au cœur tendre. Les vers plein de dévers et de désillusions réalistes de Renaud trouvent un écho formidable auprès de la jeunesse hexagonale.
Renaud en concert, Paléo Festival, Nyon, di 29 juillet.
Source: Le Temps