Renaud et ses déboires
Paru dans Le Journal du Dimanche
La série documentaire « Un jour, un destin » revient sur l’itinéraire de l’artiste déchire, sur fond d’alcool, entre ses révoltes et la vie du show-biz.
Ses textes, engagés et anarchisants, plus tard tendres et nostalgiques jusqu’à la mélancolie, écrits avec verve, humour et insolence, en sont une des raisons. Autant que sa personnalité, dont les fragilités l’ont rapproché un peu plus de son public. La série de France 2 Un jour, un destin nous en propose mercredi un portrait réalisé par Simon Thisse, Renaud, les raisons de la colère. Des archives, des interviews de proches retracent son parcours. Mais ni lui ni sa fille, Lolita, ou ses deux épouses successives, Dominique et Romane, n’interviennent directement. Ces quatre-vingt-sept minutes n’en raviront pas moins ses aficionados et les autres avec ce retour sur une aventure à mi-chemin entre le success story et le drame.
« Il n’est pas très fier de gagner de l’argent »
Car sa réussite ne semble jamais l’avoir délivré de ses doutes et peut-être même leur a donné une plus grande amplitude. Renaud a grandi au milieu de valeurs humanistes de gauche, surlignées par la rigueur d’une éthique familiale protestante. À 16 ans tout juste, il est l’un des plus jeunes occupants de la Sorbonne en Mai-68, où il écrit sa première et explicite chanson, Crève salope, adressée à toutes les formes d’ordre et d’autorité dont celle de son père, pourtant attentif et aimant. Il est sans concession et aura du mal à assumer les contradictions du quotidien. Les premières sommes importantes qu’il gagne en tant que chanteur de rue lui « brûlent les doigts, se souvient son frère. Il voulait tout dépenser immédiatement. L’argent sera toujours pour lui un problème. Il n’est pas très fier d’en gagner ».
Même en 1992, alors qu’il tourne l’adaptation au cinéma de Germinal de Claude Berri. Il est scandalisé par le salaire versé aux figurants avec lesquels il partage d’ailleurs ses repas, laissant les techniciens et les autres comédiens à leur cantine. Il veut faire signer une pétition et la présenter au directeur de la production. Berri est furieux, Renaud est à deux doigts de tout plaquer. Le film est sauvé par les figurants, qui lui demandent de renoncer à sa revendication…
Son Déserteur exaspère le Kremlin
La sincérité véritable qui affleure dans ses textes est son talon d’Achille. En 1985, durant un tour de chant en URSS, plusieurs milliers de spectateurs, vraisemblablement aux ordres d’un clan du Kremlin alors déchiré par les luttes intestines entre réformateurs et conservateurs, se lèvent et sortent subitement quand il entonne sa version du Déserteur. Lui dont l’engagement à gauche constitue un acte évident et fondamental en conçoit une colère et une amertume qui le conduisent à une quasi-paranoïa. Elle s’additionne à une mélancolie grandissante face au temps qui passe, à la disparition de ses plus proches amis, Dewaere et Coluche.
Il sombre peu à peu dans la dépression, qu’il soigne avec le pire des remèdes, l’alcool. Sa première épouse le quitte, puis après une désintoxication et un bref retour à la scène, sa seconde femme renonce également. « C’est l’histoire d’un mec », aurait dit son pote Coluche dans une version pas forcément humoristique, trop intègre et solidaire de tous ces gens ordinaires chantés dans ses textes.
Un jour, un destin : Renaud, les raisons de la colère, mardi, 22h15, France 2.
Source: Le Journal du Dimanche