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Oui, a répondu Romane Serda à la demande en mariage de Renaud. Ouiiiiii, ont répondu les Spadois ravis quand Annie Cordy leur a demandé d’entonner «La Bonne du curé». En six jours de spectacles payants, météo frisquette ou pas, ils auront été 125 000 à dire oui aux FrancoFolies. Bilan positif, s’il vous plaît.
Spa — C’était la fin de la conférence de presse de Romane Serda. Romane Serda? Mais si. La blonde chanteuse au timbre diaphane et au sourire de petite fille qui chante si joliment Anaïs Nin et Petite Soeur? Comment ça Romane qui! Et si je vous dis qu’en plus de pousser (pas trop fort) la note, elle est aussi la compagne de Renaud? Ah, voilà, les visages s’éclairent. Toujours est-il que dans la petite salle du Radisson Palace Hotel, on s’apprêtait à remballer. «Quelqu’un a-t-il encore une question?», a ajouté le relationniste de presse, pour la forme. Une voix reconnaissable entre mille s’est élevée. «Oui, moi.» Et Renaud Séchan, car c’était lui, de lâcher le morceau: «Romane, veux-tu m’épouser?» Du fond de la gorge devenue goulot d’étranglement, le «oui» de la jeune femme a tout juste franchi les lèvres. Charnues, les lèvres.
Le moment était un peu trop parfait pour ne pas subodorer une mise en scène, mais la petite assemblée a dûment joué la stupéfaction. Quelques heures plus tard, c’était au tour des spectateurs du Petit Théâtre du Casino d’offrir les plus belles têtes d’ahuris de toute la Wallonie: le même Renaud les attendait à la sortie du récital de sa future, caméscope en main, sollicitant les impressions. Bonnes, comme de raison. Allez dire à Renaud que sa belle est un peu beaucoup là à cause de lui. Osez lui avouer qu’elle finit par distiller un certain ennui, malgré les refrains sur mesure fournis par ses copains et l’agréable version de L’Amitié, pas trop calquée sur l’originale de Françoise Hardy. On a donc tous souri dans l’objectif du titi, histoire de faire bonne figure dans la section boni du premier DVD de Romane Serda en concert.
La marchande de bonheur
N’importe quelle caméra plantée à la sortie du spectacle d’Annie Cordy aurait immortalisé des sourires autrement réjouis. Parce qu’ils étaient fichtrement réjouis, les spectateurs de tous âges qui avaient rempli la grande salle des fêtes du Casino pour celle que le roi Albert a faite baronne de Belgique. Aussi réjouis qu’Obélix quand la même Annie Cordy caricaturée par Uderzo dans Astérix chez les Belges lui propose une énième tartine. Images du bonheur dont cette phénoménale petite bonne femme est la généreuse marchande depuis plus de cinq décennies. Phénoménale? Imaginez Dominique Michel, Mistinguett, Liza Minnelli et Jenny Rock (à leurs belles années) en une seule et même Belge électrique, capable à 77 ans de donner deux pleines heures d’une extraordinaire leçon de music-hall, avec ce que cela suppose de steppettes, de grimaces et de pitreries, mais aussi de chansons bonnes à chanter de 7 à 77 ans, pigées dans un répertoire tous azimuts qui allait et venait sans gêne de l’Amérique la plus mondiale (Hello Dolly, The Lady is a Tramp, Petite Fleur…) à la Belgique la plus profonde (mentionnons seulement La Bonne du curé, véritable hymne national de la dame, chanté avec l’obligatoire tablier de soubrette). Toute distance critique abolie, j’ai vécu ces deux heures-là comme les Belges: heureux. Et j’agitais les bras quand madame la Baronne le demandait, telles des frites géantes frétillant dans l’huile, et je chantais à tue-tête des bêtises: «Hello! Le soleil brille, brille, brille…» Heureux, vous dis-je, comme une moule dans sa crème.
Rien de maussade, sinon le temps
Comme quoi le soleil était là où on savait le trouver. Faute de se montrer la binette dehors, Galarneau aura été dans les coeurs toute la semaine à Spa. Charles Gardier, codirecteur des Francos, réchauffait le sien à la mesure de chiffres probants, hier midi en conférence de presse-bilan au Radisson: quelque 125 000 entrées payantes ont été enregistrées en six jours de spectacles au parc de Sept-Heures, aux différentes salles du Casino et à la place de l’Hôtel de Ville, lieu des concerts majeurs de la scène Pierre-Rapsat, où l’on a affiché complet trois soirs sur cinq (dont celui de Calogero qu’ouvrait Dumas). Rapport de billetterie qui ne prenait pas en compte les irréductibles de la gratuité, qui se sont agglutinés autour des scènes du Franc’Off et ont rempli les «Bars en folie» (pour Ginette et Dumas, notamment), mais qui montrait bien à quel point les gens de la région envahissent Spa-la-francofolle bon an mal an, beau temps mauvais temps. C’est qu’on ne festoie pas souvent dans ces villes d’eau, où curistes et retraités cherchent d’abord le calme: même à 9 ºC les fins de nuit, il s’agissait cette semaine de faire le plein de musique, de tartiflette et de Stella-Artois pendant la kermesse.
J’aurai, moi, fait le plein de super, rayon chanson: outre Delerm et ses jouissives versions à couplets supplémentaires, outre Juliette et son esprit plus vif que l’épée, outre Annie Cordy et sa Tata Yoyo (je n’invente rien!), outre les Québécois qui se sont tous honorablement débrouillés, il y aura eu le glorieusement grisonnant Louis Bertignac, ancien guitariste de Téléphone, qui a «mis le feu à la place» (dixit Gardier) avec son chouette rock’n’roll de Frenchie vieux fan des Britiches: je n’oublierai pas de sitôt sa version admirative et sans prétention du Won’t Get Fooled Again des Who. Il y aura aussi eu le dénommé Aldebert, Guillaume de son prénom, sorte de Souchon junior dont les petits morceaux de vie étaient tranchés juste assez minces pour qu’on se voie à travers, ainsi que le revenant Daniel Darc, rescapé du duo Taxi Girl, fascinant personnage aux textes sombres et au regard d’outre-tombe, que l’on verra en première partie de Christophe dimanche 31 juillet au Club Soda.
Et de la petite foule de Belges au programme, on aura au moins retenu ces trois-là pour considérations futures: Lau, ancienne claviériste de Sttellla et de Mud Flow, pour son minois mignon, sa voix étonnamment portante et son rock sans retenue; Cédric Gervy, émule des Fersen et Bénabar, pour son folk-pop mélodieux et sa patente habileté à doser tendresse, ironie et cynisme; et surtout la plus que prometteuse Stéphanie Blanchoud, pour le potentiel que lui confèrent son passé de comédienne, son timbre doux, ses chansons à fleur de peau et son «visage d’ange». J’emprunte l’expression exprès à un journaliste du FrancoScoop, le génial journal du festival, produit indépendamment… et quotidiennement, sur papier glacé! On rêve de l’équivalent à Montréal.
Montréal? Ça commence dans trois jours. J’y serai avec tout ce qui précède en bagage, et j’aurai déjà oublié que David Hallyday chante plus souvent à côté de la note que dessus (la honte!), qu’un De Palmas parvenu au sommet s’économise désormais, que je ne comprends décidément rien au succès de Calogero, que j’ai raté le spectacle de Louis Chédid et que je n’ai toujours pas vu l’extraordinaire Camille sur scène: elle a annulé ici, murmure-t-on, parce qu’on l’avait programmée dehors et que le fameux fil de sa voix s’y serait effiloché. Bonne chose, c’est au Spectrum que la belle capricieuse brodera, mardi 2 août. Et ce sera vous qui direz oui aux FrancoFolies.
Collaborateur du Devoir
Sylvain Cormier est l’invité de Wallonie-Bruxelles-Musiques aux FrancoFolies de Spa.
Source : Le Devoir