3 400 fans (seulement) pour Renaud

Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA)

Autour du 8 décembre 1988

Au Rhénus

(Photo DNA)

« Pour son prochain album, Renaud ne fera aucune promo : ni presse pourrie, ni radios nulles, ni télé craignoss », écrivait Renaud en avril dernier sur un tableau blanc au siège parisien de sa maison de disques. Une petite phrase assassine que le chanteur a dû regretter bien souvent depuis car, sans promotion, la fréquentation des salles où il se produit s’en ressent cruellement. Mercredi soir, ils n’étaient que 3 400 au Rhénus pour découvrir Renaud dans le spectacle le plus élaboré, le plus parfaitement au point de l’année.

Il y a d’abord le décor : un immense chêne centenaire planté au milieu d’une scène recouverte d’un épais gazon.

Debout sur les branches de l’arbre, de fantastiques musiciens, complices d’un chanteur en pleine maturité qui partage ses coups de cœur, ses coups de gueule avec un public ami.

Décontracté et heureux, Renaud plaisante avec les spectateurs et les invite à pénétrer dans l’univers qu’il esquisse. Un univers de fraternité dans lequel il n’y a pas de place pour « Miss Maggie » et ceux qui, dans l’« Hexagone », rejettent les autres qui refusent de se glisser dans le moule de la conformité. Un univers où l’on aime aller « A la pêche à la ligne », effectuer une balade en mer « Dès que le vent soufflera » avec « Jonathan » et « La mère à Titi » mais sans Coluche depuis qu’un « Putain de camion » a mortellement blessé « l’enfoiré ».

« Anarcho-mitterandiste » qui proclame qu’« on ne peut pas être à la foi Jean Dutourd et Jean Moulin », Renaud n’a pas mis (beaucoup) d’eau dans son vin pour autant. Le chanteur des zonards reste un écorché vif qui connaît aujourd’hui les limites de sa révolte. « Fatigué d’espérer et fatigué de croire à ces idées brandies comme des étendards. » Le temps d’une « Triviale poursuite », il demande : « Qui a écrit que les hommes naissent libres, égaux ? Libres, mais dans le troupeau. Egaux mais devant les bourreaux ? J’en sais rien, j’donne ma langue au chagrin. Si tu sais, toi, souffle-moi, souffre-moi. » Renaud n’est pas désabusé pour autant : le même d’Aristide Bruant et de Fréhel est devenu un homme qui pose sur le monde un regard d’adulte lucide. D’un père qui confie à la petite fille « j’suis morgane de toi » avant de l’inviter à partager un « Mistral gagnant ».

Avec la plupart des chansons de ses derniers albums et en sélectionnant rigoureusement ses anciens succès, Renaud s’est constitué un répertoire soudé qu’il présente devant un public enthousiaste dans un show sans temps mort remarquablement mis en lumière.

Jean-Pierre DAHL

Source : Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA)