Un texte de Renaud

L’Humanité

Mercredi 9 janvier 1991

Quelle connerie la guerre
– Jacques Prévert

Le 12 janvier aura une ampleur exceptionnelle. Chaque jour voit converger, de tous les coins de France et de tous les horizons, de multiples appels, déclarations et prises de positions, condamnant la guerre et en appelant au plus large rassemblement. Le chanteur Renaud vient de signer une nouvelle version du «Déserteur». Le groupe Indochine, Jean-Claude Petit, Jean-Pierre Marchand, Antoine Waechter, Bernard Sobel, Marcel Maréchal, Danielle Bleitrache, Monique Vuaillat, Paul Seban, Paul Carpita, Jacques Serres s’expriment dans nos colonnes. Robert Escarpit et Francis Crémieux s’adressent aux journalistes et l’Appel des cent annonce qu’il se joint à la manifestation. A Nice, on prépare activement cette grande journée de mobilisation et des enfants s’adressent au président de la République.


« Ainsi donc le Rock n’roll est interdit en Arabie Saoudite ? J’entends déjà les mauvaises langues qui affirment qu’Eddy Mitchell aurait donc pu y chanter. Nul doute que ses chansons eussent redonné du cœur au ventre à nos braves pioupious déprimés. Les grands de ce monde sont décidément bien ingrats avec leurs bouffons. J’en parle en connaissance de cause : j’ai chanté naguère pour Tonton. Comment croyez-vous qu’il me remercia d’avoir témoigné ainsi de ma foi dans les valeurs qu’il prônait alors ? En les piétinant aujourd’hui. En engageant mon pays dans une sale guerre de merde à la con ! Pas rancunier, je lui adresse malgré tout ces quelques couplets, si la forme en est désuète c’est que c’est une chanson d’avant-guerre :

Monsieur le Président
Je vous fait une lettre
Pour vous dire simplement
J’irai pas au Koweit !

Ta logique de guerre
Ce n’est pas ma logique
La mienne est pacifique
Envers toute la terre,

Et si je prends demain
Un flingue une grenade
Sur une barricade
Ce ne sera, certain,

Que pour sauver ma peau
Celle de ceux que j’aime
De mes enfants et même
Des enfants du voisin.

Tomber pour Santiago
Ou mourir à Madrid
Se faire crever le bide
Pour chasser les bourreaux

Passe encore, mais jamais
J’n’irai donner ma peau
Ni pour un casino
Ni pour un pétrolier

Mourir pour un drapeau
Quelle idiotie suprême
Quand il est à l’emblème
De Shell ou Texaco.

Si tu veux, Président
Marquer vraiment l’histoire
Et mériter la gloire
Pour au moins deux mille ans

Envoie tes régiments
Libérer la Palestine
Là-bas on assassine
Chaque jour des enfants

Envoie tes bombardiers
Raser la Maison Blanche
Ce sera la revanche
De tous les opprimés !

Ainsi finit ma lettre
J’hésite, je me tâte
Dois-je en rajouter quatre
Pour un dernier mot peut-être ?

– Ce texte a été écrit par le chanteur Renaud pour le numéro 43 de « l’Idiot international » et donnée à la Jeunesse communiste qui, elle-même, l’a confié à « l’Humanité » pour contribuer à la mobilisation générale antiguerre.

  

Sources : L’Événement et L’Humanité