« Nous, on est Dieu m’a donné la foi des paillettes », rit Isabelle très « team 90’s ». Arnaud a également sauté dans le TGV depuis la Gare du Nord. « Je me fais un week-end Ch’tis avec razzia chez le pâtissier-confiseur Méert, exposition à la Piscine de Roubaix et ce concert », raconte ce lobbyiste politique. Antoine, cadre dans l’industrie pharmaceutique, plaisante : « Je regrette de ne pas voir Lova Moore. Elle devait être trop cher. » Un beau brun velu fend la foule en tee-shirt rose Dancing Queen en hommage au groupe pop suédois Abba. Lui s’est trompé d’époque. En teddy rouge Stars 80, Thomas Langmann grimpe en régie.
Un stade debout du début à la fin
À 20 h 48, le noir se fait. Le public ch’ti va prouver qu’il est le meilleur au monde. C’est parti pour deux heures non-stop de tubes. Très exactement 70 titres de Upside Down à What is Love en passant par Freed From Desire à Video Kill the Radio stars vont retentir dans le stade et être repris à plein poumon par la foule. Le stade va rester debout de la première à la dernière chanson. Dix musiciens s’installent. Ce soir, pas de bande-son.
Première surprise : la voix au micro n’est pas celle d’un animateur mais celle d’une voix générée par de l’intelligence artificielle. Il y en a deux : un homme et une femme. Impossible de deviner qu’ils n’existent pas. C’est angoissant. Sur l’écran géant, la caméra filme en coulisses les vétérans des années 1980. Ophélie Winter chauffe son équipe : « L’équipe 1980 va rentrer chez elle avec leurs brushings sur les genoux. Nous on a la vibe, on a le flow. » La batterie frémit. Phil Barney, Sabrina, Jean-Pierre Mader, Vivien Savage ou Patrick Hernandez font leur entrée en courant les bras en l’air sur Un autre monde, de Téléphone.
Cinq minutes plus tard, la voix IA résonne à nouveau : « Voici la team 90 ! » Hélène Ségara, Ophélie Winter, Larusso, Tina Arena, Christiane et Michael Jones débarquent dans les jets de fumée en caracolant sur J’ t’emmène au vent de Louise Attaque. En l’absence des chanteurs des Boy’s Band qui remplissent encore les plus grandes salles en solo comme Matt Pokora, ils se sont reconvertis dans d’autres domaines ou sont morts comme Filip Nikolic des 2Be3 et Quentin Elias d’Alliage, place au « girl power ».
La bataille ou « battle » comme disent les rappeurs, peut commencer. La salle se divise en deux, les équipes se font face. Larusso plaisante : « On sait très bien qui va gagner. Maman est là ! » Ophélie Winter, qui a entendu le loup, le renard et la belette chanter depuis sa plage à La Réunion, se lance dans le rap La Tribu de Dana face à Michael Jones. Elle fait le job et danse non-stop. « Quand j’étais jeune, Ophélie ne me touchait pas forcément musicalement. Là, c’est l’inverse », sourit Jean, architecte.
Petit à petit, tous les artistes se regroupent pour un mash-up de I Will Survive au Jerk. William, membre du groupe Début de soirée, a dû trouver des décibels dans son shaker et lance Nuit de folie. Ce rythme va nous entraîner jusqu’au bout de la nuit. Un tourbillon de vent de folie commence. Debout, le public danse et chante en chœur. Un air de synthé bien connu résonne dans le stade. Sous l’écran géant où défilent des images du Macumba, la mythique boîte de nuit qui a fermé ses portes près de Lille en février dernier, Jean-Pierre Mader veut encore « danser tous les soirs pour les dockers du port ». Le Mont Fuji apparaît sur l’écran géant, Hervé Vilard avec Sayonara ? Non, Sabrina et ses boys boys boys.
Larusso lui succède avec Tu m’oublieras, son tube de 1999. De sa voix puissante et juste, elle enchaîne avec Rhythm of the Night, Sing Halleluia, Désenchantée, Pour que tu m’aimes encore… Elle sait tout chanter et se révèle être une vraie bête de scène. Sympathique, naturelle et drôle.
La révélation de cette soirée, c’est Laetitia Serero dite Larusso. On l’avait perdue de vue, elle revient en brune au carré lisse à 45 ans. « Je faisais chanteuse de soirées privées », explique celle qui avait gagné l’émission « Mask Singer » sur TF1 fin 2020 en chantant Tous les cris les SOS de Daniel Balavoine dissimulée dans un costume de manchot. Au vu du triomphe de ce week-end, Larusso devrait vite revenir sur le devant de la scène. Avec ses yeux verts perçants, elle est déjà à deux doigts de devenir culte chez le public gay.
Exactement comme Sheila. « On l’adore. Elle est notre mascotte. Larusso sait tout chanter, elle est drôle et sympathique, raconte Patrick Hernandez en coulisses. Elle nous avait rejoints pour le Stade de France en 2019. Elle avait chanté Je suis Malade en piano voix puis Les Histoires d’amour, des Rita Mitsouko, et c’était génial.» Larusso s’immisce dans la conversation : « Patrick est le préféré de mes papychoux. Avec sa canne, c’est Agecanonix. » Laurent Ruquier devrait l’embaucher aux Grosses Têtes tant elle a de la répartie et fait le show.
Les producteurs ont eu de la chance que Larusso ait accepté de quitter sa maison à la campagne où elle coule des jours heureux avec son mari entourée de ses ânes, chiens, chats et lapins. Trouver les bons artistes des années 1990 pour rejoindre les vétérans des années 1980 n’a pas été évident. « Contrairement aux succès des années 1980 qu’on nous martèle depuis quatre décennies et qui ont eu le temps de devenir des Golds dans les karaokés, ceux des années 1990 ne sont pas encore pris au sérieux dans les shows télévisés et à la radio. Ils n’ont pas encore eu droit à une exposition, par exemple, analyse Jean-Pierre Pasqualini, directeur des programmes de Melody Tv. Cette décennie a vu explosé des stars comme Zazie, Pascal Obispo, Patrick Bruel, Mylène Farmer, Indochine mais ces artistes-là ne sont pas encore assez vieux. Ils remplissent encore des salles à eux seuls et n’ont pas forcément envie de rejoindre une tournée best of. Comme Sheila autrefois. Elle a mis beaucoup de temps avant de rejoindre les tournées Âge Tendre. »
Renaud, invité surprise
Patrick Hernandez d’ajouter : « Ce show est tonique. Pour ceux qui n’ont plus l’habitude de la scène, ce n’est pas simple. Il faut aussi être capable de sortir de sa zone de confort en chantant des titres d’autres répertoires. Enfin, il faut avoir du recul et de l’humour. Entre nous, on se fait beaucoup de blagues. » Jean-Pierre Mader en sait quelque chose. Il ne comprenait pas pourquoi à chaque arrivée et départ d’un hôtel, le personnel était aux petits soins pour lui. « Sabrina leur téléphonait en amont pour expliquer qu’il était incontinent et avait besoin d’un lit spécial avec des alèses imperméables », dévoile Patrick Hernandez en pleurant de rire. À 22 h 30, les applaudissements crépitent. La troupe entame Allumer le feu. Une jolie façon de rendre hommage à Johnny Hallyday (1943-2017) dont l’anniversaire est le 15 juin prochain. En régie, Pierre-Alexandre Vertadier est ému. Ce dompteur de fauves a brillamment produit les dernières tournées du rocker du Born Rocker Tour aux Vieilles Canailles.
On pense la soirée finit, pas du tout. Un medley Renaud retentit. Hélène Ségara chante Mistral gagnant. Jean-Louis et Vivien Sauvage enchaînent avec Marche à l’ombre. Et voilà Renaud en personne qui débarque sur scène avec sa voix cassée, ses santiags et son bandana rouge. Le stade hurle de joie en découvrant cet enfant du pays. Aidé par Ophélie Winter et tous les autres artistes, il chante Dès que le vent soufflera. Et d’enchaîner sur Les Corons, de Pierre Bachelet, l’hymne du RC Lens et de tous les Ch’tis. On ne l’attendait pas et surtout pas sur cette chanson. Le stade Pierre Mauroy est debout depuis plus de deux heures, les gradins tremblent sous les applaudissements.