N° 180, 29 novembre 1995
Envoyé spécial chez moi
F comme fasciste ! N comme nazi ! À bas le Front national!
C’est par ces mots scandés par un chœur trois mille bouches que le concert a débuté. C’est aussi par ces mots qu’il s’est conclu. Rien que pour ça, je ne regretterai jamais cette décision (controversée) de ne pas boycotter Toulon. Dans les jours qui avaient précédé notre venue à Facholand, un léger sentiment de paranoïa s’était installé: les menaces contre l’équipe de Charlie, la réponse de la mairie à la demande de protection formulée par Philippe Val, le chantage de la municipalité menaçant d’interdire le concert si des caméras de télévision couvraient l’événement et lui donnaient un aspect politique (!), avaient réussi à créer une semi‑psychose parmi mon équipe comme parmi celle du journal, mais, finalement, les seuls gros bras à nuque rasée et regard patibulaire susceptibles de nous chercher des poux dans la tête avaient été embauchés par le Zénith pour assurer le bon déroulement du concert. Situation légèrement paradoxale mais bon… Il fut rassurant de constater qu’à Toulon (comme ailleurs, je l’espère) le FN n’a aucune capacité de mobilisation, que lorsqu’une poignée de citoyens déterminés vient regagner le terrain conquis par les idées du gros borgne, l’électeur FN moyen reste devant sa télé – devinez quelle chaîne – et le militant pur et dur devant son crucifix à astiquer sa batte de base‑ball.
Le spectacle démarra sur les chapeaux de roue avec les potes de « Blue Jean Society » (qui finiront bien un de ces quatre par adopter un nom de groupe moins nunuche), les mômes un peu inquiets d’essuyer les plâtres dans cette salle où, selon la rumeur, la centaine de places attribuées contractuellement par le Zénith à la municipalité avaient été distribuées à des provocateurs FN, ont fait un véritable tabac. Pas un boulon, pas un sifflet, que de l’amour, que de la joie, des bravos. Moi, j’ai fait sensiblement le même spectacle que la veille, le même que le lendemain, sauf que j’ai exprimé en arrivant mon désaccord avec les artistes qui ne viennent pas ici à cause des 30 % de Toulonnais qui ont mal voté, et j’ai expliqué que je venais pour les 70 % qui avaient bien voté. J’ai juste oublié de préciser que « bien voter », vu le choix qu’on a généralement, c’est une façon de parler, et que dans le Var, plus précisément, c’est une expression un peu surréaliste…
Philippe Val m’a rejoint au milieu de mon tour de chant, on a balancé en duo sa version d’Hexagone puis il nous a poussé quelques chansons en solo, ce qui a fini de mettre le feu à la salle. À la fin du spectacle, toute l’équipe du journal est venue sur scène se faire ovationner, les dessinateurs ayant passé la soirée à réaliser de chouettes dessins diffusés simultanément sur deux écrans géants de part et d’autre de la scène.
Au début du concert, lorsque j’ai évoqué la mairie aux mains du FN, une gamine au premier rang m’a crié : « On a honte ! » Faut pas, ma belle, c’est le FN à la mairie la honte, c’est le racisme qui est honteux, c’est l’extrême droite la plus puissante d’Europe chez nous la honte, c’est la bête immonde qui montre son groin cinquante après qu’elle fut terrassée la honte ! La honte, laisse‑la aux socialos qui ont fait une politique de droite et qui, de ce fait, ont engendré la misère sociale sur laquelle l’extrême droite a prospéré, laisse‑la aux habiles manœuvriers élyséens qui, pour diviser la droite, ont favorisé la montée du FN, laisse‑la à la majorité actuelle qui, pour récupérer l’électorat de Le Pen, met en pratique sa politique dégueulasse, laisse‑la aux médias qui, pour faire de l’audience (donc du pognon en espaces publicitaires), ont déroulé un tapis rouge au FN et à son leader.
Jeudi dernier, au Zénith de Toulon, ton petit poing levé au milieu des milliers d’autres, ça ressemblait au contraire à de la dignité.
Source : Le HML des fans de Renaud