N° 70, 27 octobre 1993
Le rugby est, dit-on, le roi des sports et le sport des rois. C’est largement exagéré. Le rugby est un sport à la con, point final. Un tout petit peu moins que tous les autres sports, peut-être, mais pas beaucoup. Pour les avoir pratiqués tous avec le même plaisir au départ et les mêmes fractures à l’arrivée, je suis particulièrement bien placé pour vous dire que le rugby est, de loin, le plus dangereux de tous les sports. Beaucoup plus violent que, par exemple, les échecs et beaucoup plus fatigant que la pétanque, il est, en plus, très mal rémunéré, comme on dit maintenant. Le rugbyeur s’en fout car, contrairement au footballeur, dont le métier est footballeur, le rugbyeur est kinésithérapeute, médecin, instituteur, prof de gym, limonadier ou chef d’entreprise. Il n’a donc pas besoin d’argent. C’est quasiment bénévolement qu’il balance des coups de pompe dans la tronche de ses adversaires. Pas besoin, non plus, dans le rugby, d’acheter des matchs, des joueurs, des arbitres : la gloire étant le seul moteur de ces sportifs peu orthodoxes, les dirigeants gardent tout l’argent pour acheter des maillots, des ballons, des citrons, et le reste ils se le partagent pass’qu’on n’est quand même pas dirigeant pour mes couilles.
Cette absence (apparente, restons prudents) d’enjeux financiers explique peut-être aussi en partie la relative dignité du supporter moyen des matchs de rugby, supporter qui semble répugner aux saluts nazis, à la bière et à la baston, ce dont on ne saurait le blâmer.
Le rugby se pratique à quinze joueurs contre quinze, mais des fois non. Car il y a aussi le « jeu à 13 », où deux joueurs dans chaque camp sont punis. Les règles sont les mêmes dans cette variante, à part qu’on s’emmerde encore plus. Pour mettre fin aux inévitables rivalités existant entre les deux jeux, on envisage d’inventer le « jeu à 14 » qui mettrait tout le monde d’accord, mais c’est pas demain. Les règles du rugby sont à peu près les mêmes que celles du football ou du basket, sauf qu’on a droit aux mains et aux nains. La différence essentielle réside dans la forme ridicule du ballon, et dans la mêlée. La mêlée consiste à attraper les couilles du partenaire, montrer son cul aux supporters et filer des bourre-pifs à l’adversaire pour récupérer le ballon caché dessous et l’aller porter dans l’en-but d’en face. Vous voyez, les règles sont simples, même un footballeur les comprendrait.
Un peu comme si moi je répondais au nom de « chanson’man », le rugbyeur répond généralement au nom grotesque de « rugbyman ». Toutefois, il répond aussi facilement au nom de « gros pédé ! » ou « gonzesse ! », mais de manière bien moins souriante et on le comprend. Car le rugbyeur est un garçon viril et fier, et ce n’est pas Walter Spanghero qui me contredira, lequel Spanghero, lorsqu’on lui demanda naguère s’il s’intéressait au football, avait d’ailleurs répondu avec son inimitable – surtout par écrit – accent gascon : « À la baballe? pourquoi pas à la danse classique ? »
On sait peu de chose sur l’origine du rugby. En tout cas moi. Il paraîtrait qu’il fut inventé au siècle dernier en Rosbeefie par un gentleman du nom de Lord sir Rugby. C’est sur le campus de l’université de Cambridge, pendant la récré, qu’avisant ses camarades qui disputaient une partie de soule, il eut l’idée, après en avoir arbitrairement modifié les règles (ballon ovale au lieu de ballon carré), de débaptiser ce sport, français depuis le Moyen Âge, de lui donner son nom grotesque et de nous niquer une fois de plus, comme à Dunkerque.
Aujourd’hui, heureusement, la Grande-Bretagne n’exerce plus sa suprématie sur le rugby, ni sur rien, diront les mauvaises langues, et pourtant ce n’est pas faute d’essayer. Au tournoi des Cinq Nations, par exemple, ils en alignent carrément quatre contre la nôtre.
Les autres pays qui jouent au rugby sont assez rares, disons, pour être poli, la Roumanie et le Japon, et, pour être honnête, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, où, depuis quelques mois, même les Noirs ont le droit de jouer, un peu comme ici : regardez par exemple Serge Blanco, qui est quasiment noir.
En France, le trophée de rugby le plus convoité est le « bouclier de Brennus », un couvercle de poubelle chromé que se disputent chaque année Béziers et Agen et qui échoit généralement à Toulon.
En France, question rugby, on est quand même assez balèzes, mais c’est parce que, comme n’a pas dit Pierre de Coubertin, l’essentiel, c’est pas de faire du fric.
Source : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées)