Janvier 1984
Samedi 14 janvier
Blouson de cuir noir, jeans et foulard rouge. C’est son costume de ville, comme son costume de scène. Et c’est ainsi qu’à partir du 17 janvier, Renaud, entouré de seize musiciens dont un quatuor à cordes, inaugurera le Zénith, la nouvelle salle de la Porte de la Villette.
« Bien sûr, cela me fait un peu peur d’essuyer les plâtres, dit-il. Mais, sans prétention, pas beaucoup plus que si j’étais à la veille d’un Olympia ou d’un Bobino. Je voulais une grande salle. Le Palais des Congrès, c’est un lieu de congrès ; l’Hippodrome de Pantin, le public y est parqué comme du bétail ; le Palais des Sports était réservé jusqu’à la fin 1984. »
CHAMPS-ÉLYSÉES
20 H 25 | A2
Il ne regrette pas son choix. Lors des répétitions, il a pu constater que le Zénith est un « bel endroit » où la visibilité et l’acoustique son! excellentes. Au cours de son récital. Il interprétera environ vingt-cinq chansons, dont plusieurs extraites de son dernier album « Morgane de loi », et dont l’un des litres, « Déserteur », est une reprise du thème exploité, jadis, par Bons Vian. « Cette chanson est intemporelle. C’est l’histoire d’un type qui refuse l’armée pour des raisons humanitaires. Je ne l’ai pas spécialement dirigée contre les pouvoirs actuels, mois contre tous les pouvoirs. En mai 1981 j’ai voté Coluche au premier tour et Mitterrand au second, parce que je n’avais pas le choix. Si je ne suis pas ce qu’il est convenu d’appeler un « déçu du socialisme » – je ne m’attendais pas à mieux ! – je suis en revanche profondément choqué par la politique concernant le nucléaire et la défense. La gauche n’a pas tenu ses promesses ! Je paie beaucoup d’impôts, j’estime cela normal. Mais j’aimerais que l’on emploie cet argent pour la recherche sur le cancer, pour la construction d’écoles et d’hôpitaux et non pour celle de porte-avions ou de « Mirage ». En un mot, j’aimerais que mon fric soit utilisé pour le bien de I ‘homme et non pour son mal. »
Malgré ses allures de « loubard », Renaud a le cœur sensible. A la fois tendre et dur, il évoque souvent dans son répertoire les banlieues concentrationnaires aux horizons bétonnés. Une vie qu’il a connue, lui qui, pourtant, est issu d’une bonne famille. « A moitié de bonne famille, rectifie-t-il. Je suis né à Paris, dans le 14e arrondissement. On vivait dans un HLM. Mon père, originaire de Montpellier, est d’une vieille lignée protestante qui a fourni de nombreux pasteurs. Ma mère est du Nord et de milieu ouvrier, une Chti’mi. Nous étions six enfants. Pour nous élever, mon père a dû renoncer à vivre de sa plume et entrer dans l’enseignement. C’est grâce à lui que j’ai pu poursuivre mes études jusqu’en seconde. »
C’était en 1968. Il avait seize ans et le goût des barricades. « Mai 1968, j’y croyais vraiment. » Pendant trois ans, il végète avec divers petits boulots : commis, coursier, vendeur, plongeur, puis en chantant dans les rues avec un accordéoniste à ses côtés. « C’est à cette époque que j’ai connu les loubards, les virées dons les banlieues. La « manche » ça marchait pas mal. J’interprétais du musette. Piaf, Bruant, « La java bleue », « Les roses blanches ».
De là à envisager une carrière professionnelle… « C’est le hasard qui a tout décidé. Un jour, où nous étions sur les Champs-Élysées, quelqu’un m’a proposé de travailler dans son cabaret. C’est là qu’en 1974, j’ai rencontré un producteur qui m’a proposé d’enregistrer un disque, qui est passé pratiquement inaperçu. »
C’est le deuxième, « Laisse béton », qui imposera Renaud dans lo monde du show business. « Cette chanson était pratiquement autobiographique. Mais quand je dis « Je ». il ne s’agit pas obligatoirement de moi. Je chante souvent des histoires de types que j’ai connus et je m’identifie plus ou moins à eux. »
Aujourd’hui qu’il est au Zénith, Renaud refuse l’étiquette de chanteur à message. « Bien sûr, j’aimerais pouvoir changer la société. Mais il faut être sérieux. Ce n’est pas en chantant que j’y arriverai. En revanche, je peux informer. Je peux relater ce que je vois, ce que j’entends. Il y a quelques années, j’ai assisté au hold-up de la Société générale. Les voleurs ont été tués rue Pierre-Charron. J’ai écouté les commentaires des gens. Cela m’a inspiré « Les charognards ». Ce que je fais, ce n’est pas du message. C’est du constat. »
Après son passage à la Porte de la Villette, Renaud partira en tournée. Ensuite, il larguera les amarres. Avec Dominique, sa femme, et Lolita, sa fille, il embarquera à bord du « Macno », son voilier de 14 mètres. « Voilà trois ans, c’est un copain qui m’a initié à la voile. Depuis que je fais du bateau, J’ai ouvert les yeux sur beaucoup de choses, sans être « écolo », quand je me dis que la vie de ma fille est entre les mains des grands de ce monde je ne suis pas rassuré. »
Homme libre, toujours tu chériras la mer.
GÉRALD LEVRAU
Source : Télé Star