Aux chiottes les malpolis !

Charlie Hebdo

N° 139, 22 février 1995

Envoyé spécial chez moi

Quand Jospin m’applaudira le 1er mai, je voterai pour lui le 23 avril

Moi, perso, je vais voter Voynet. Je dis ça d’entrée pour qu’on arrête de me gonfler à me poser la question. Je sais, ça craint, elle va pas nous faire péter un score mirobolant, mais c’est affectif. D’abord je ne vois décidément rien dans ses propos qui soit contraire à l’idée que je me fais d’un candidat de gauche. Pis surtout, ça mange pas de pain : elle risque pas de trahir ses promesses, d’être corrompue par le pouvoir, vu que le pouvoir, pour un candidat écolo (a fortiori une candidate), c’est pas avant mille ans. D’ici là, je crains que quelques Tchernobyl ou Superphénix ne nous aient conduit vers des urnes infiniment plus funéraires.

Au second tour, je me tâte… Jospur ou Balladin ? Pêche à la truite ou pêche au brochet ? Vous êtes pas mal autour de moi à me dire, résignés, qu’on sera bien obligés, la mort dans l’âme de voter « à gauche » malgré tout… Même si cette gauche-là ressemble autant à la gauche dont on rêve que B.-H. L. à Malraux, Patrick Sébastien à Coluche et Bernard Tapie à Jean Jaurès. C’est marrant, moi je crois que je me sentirai pas obligé du tout. Je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous énerver, vous avez remarqué dans une récente chronique que j’attache une certaine importance à la politesse, j’en avais d’ailleurs déploré l’absence chez une journaliste du Monde et ce, avec beaucoup d’irrespect à mon tour (ce qui me vaut de subir les foudres judiciaires intentées contre moi par le « quotidien de la rue Falguière »…), eh bien, la dernière fois que j’ai croisé Lionel Josmachin, dans un aéroplane entre Paris et Avignon, le cuistre m’a regardé, a détourné les yeux, fait semblant de ne pas reconnaître le tonton-maniaque que je suis quand ça les arrange, et ne m’a pas dit bonjour. Malpoli, va ! Même Chirac, croisé naguère dans un Paris-Montréal, m’a dit bonjour ! Un bonjour discret, certes, accompagné d’un sourire aussi chaleureux qu’une division de blindés russes sur Grozny, mais un bonjour quand même, comme celui, respectueux, que s’échangent, du regard au moins, les mangoustes et les cobras. Je voterai jamais pour un malpoli. Même protestant. Ou alors, la prochaine fois que je le croise faudra qu’il soit terriblement obséquieux, quasiment gluant. Qu’il m’embrasse trois ou quatre fois, là et là, qu’il me dise « Ah, cher ami ! Quel bonheur de vous rencontrer ! J’aime tellement vos chansons ! Savez-vous que je possède tous vos albums ? Le dernier, d’ailleurs, est du meilleur cru. J’ai appris que vous alliez vous produire à la Mutualité à partir du 1er mai, comptez sur moi pour venir vous y applaudir. Voyez avec ma secrétaire pour nous faire parvenir les invitations. » Et moi, pas dupe, je lui répondrai : « Ouais, ça va, hein ! L’aut’ fois, dans l’avion, même pas vous m’avez dit bonjour ! » Là, il ne répondra rien parce qu’il sera déjà parti pour aller embrasser une hôtesse de l’air.

De toute façon, si ça se trouve on n’aura pas du tout un second tour aussi évident. J’ai lu dans Libé que les jeux n’étaient pas faits. À mon avis, c’est Libé qui n’est pas fait, mais bon… Imaginez un duel Voynet – Laguiller. Deux femmes, polies et tout, qui disent bonjour et merci quand on tient la porte. Arrêtez, je craque…

  

Source : HML des fans de Renaud