BD : Renaud où la bio d’un mec né sous le signe de l’Hexagone

RTBF

BD

22 déc. 2023 à 01:00
Par Gérald Vandenberghe

© @Delcourt

Cet album est la première biographie en BD de Renaud. Le chanteur n’a donné qu’un seul mot d’ordre en apprenant que ce projet en case et en bulles allait se concrétiser : « Pas de censure ». Et cela donne un album sans concession mais sans voyeurisme. Les qualités et les défauts du chanteur y sont tous abordés, ce qui donne un portrait humain et attachant. De quoi séduire bien au-delà du simple cercle des fans du créateur de « Laisse béton » et « Manhattan-Kaboul ».

Comme à chaque fois que l’on parle d’une biographie « autorisée », tout commence par une rencontre avec le sujet de l’enquête. Bertrand Dicale, le scénariste, grand connaisseur de la scène musicale française et Alain Gaston Rémy ont donc rencontré Renaud pour lui exposer leur projet avec une certain appréhension. Une double appréhension.  

L’accueil

« Je craignais d’être déçu par le mec, de me dire qu’en fait il est con, qu’il n’est pas aimable ou je ne sais quoi d’autre », explique Alain Gaston Remy. « Dans le même temps, je craignais de le décevoir aussi, qu’il me trouve con ou qu’il me dise mais pour qui tu te prends pour oser dessiner cette partie de ma vie ? J’avais un peu cette double appréhension. Mais elle s’est envolée à la suite de la première rencontre avec Renaud et son entourage. C’était une belle rencontre… »

« Par la suite, il a adoré le bouquin. Ce n’était pas évident à la base. Il y a toujours un risque quand tu fais une BD comme celle-là. Tu ne sais pas si le mec va aimer. C’est plein de trucs délicats comme son alcoolisme, ses rapports avec les divers partis politiques ou simplement avec sa famille. Pas facile de le mettre en situation avec sa femme en train de s’engueuler. On n’était pas là, on peut juste imaginer. Tu es obligé de romancer un peu… Parfois, je me dis qu’il vaut mieux faire une bio de quelqu’un qu’on n’aime pas plutôt qu’une de nos idoles ».

Pas facile de dessiner son idole… © @Delcourt

C’était sans doute là un des ingrédients délicats de la conception de cette BD. Alain Gaston Remy est fan de Renaud depuis très longtemps. Il ne voulait pas laisser cet aspect de côté. Il en a donc fait un élément du récit. La BD est rythmée par des pages qualifiées de « fan zone » où le dessinateur expose sa relation avec son idole.

Le dessinateur se souvient d’avoir rencontré Renaud. Renaud ne s’en souvient pas… © @Delcourt

La fan zone

« J’avais envie d’ajouter mon grain de sel » glisse, avec un sourire, Alain Gaston Remy. « Il nous fallait un fil conducteur d’épisode en épisode, quelque chose qui fasse la transition d’un chapitre à l’autre. Dans cette fan zone, je raconte quelque chose de complètement personnel mais aussi d’universel, qui touche un peu tous les fans du chanteur. Et puis ça permettait de raconter des tas de petites anecdotes pleines d’humour et d’amour. J’ai eu pas mal de retours par rapport à ces planches qui ne représentent pourtant qu’un cinquième du livre ».

Cette biographie en BD est complète. Rien n’est occulté. Même pas les moments les plus noirs de la vie du chanteur. Les problèmes d’alcool de Renaud y sont clairement exposés. Après tout, ce n’est plus un secret pour personne. Mais ce qui est plus étonnant, c’est que l’on remonte aux sources de cette dérive. Et là, c’est un épisode beaucoup moins connu qui se dévoile. Renaud souffre d’une profonde paranoïa liée à l’Union Soviétique…

Paranoïa en URSS © @Delcourt

La parano soviétique

« Dans les années 80, il est invité à un concert en URSS. Ce sont les Jeunesses Communistes françaises qui ont organisé tout cela. Il avait plutôt de l’amitié pour les communistes. Il est donc parti sans arrière-pensée, sans inquiétude, même si son grand-père qui était lui aussi parti, en URSS, en était revenu un peu traumatisé par ce qu’il y avait vu. Quand Renaud fait son concert, il lance « Le déserteur » et il chante le couplet où « les Russes, les Ricains feront péter la planète ». La salle se vide instantanément de la moitié de ses spectateurs. Une mise en scène que Renaud attribue au KGB. Ça l’a traumatisé sur le coup, il a été choqué. Et c’est devenu le moment fondateur de sa paranoïa ».

« Depuis ce jour, elle ne le lâche plus » poursuit Alain Gaston Remy.  « Il est persuadé que le KGB veut l’assassiner. Il est parti dans quelque chose d’un peu irrationnel, il craint qu’il y ait des micros partout, il craint qu’on le tue en abattant son avion. Il n’en est plus jamais sorti.  Encore aujourd’hui, il est sous le coup de cette paranoïa, même s’il sait que c’est irrationnel. En fait, l’alcool est la seule chose qui calme cette angoisse. Cette paranoïa a donc généré son alcoolisme. Et la combinaison des deux a provoqué une dépression, dont il ne s’est jamais complètement sorti ».

Le Pastis, remède à l’angoisse… © @Delcourt

Lorsque l’on fait une biographie en BD, une difficulté supplémentaire s’ajoute au traditionnel travail de recherche dans le passé. Il faut dessiner son idole. Renaud doit vivre en quelques traits mais sans caricature. Un équilibre loin d’être facile à trouver, mais pas pour les raisons qu’on imagine…

Pas facile à dessiner

« En fait, il suffit que tu dessines des cheveux longs et un foulard, et on reconnaît Renaud. Mais au-delà de la silhouette, Renaud n’est pas facile à dessiner » poursuit Alain Gaston Remy. « C’est un beau gosse et c’est difficile de dessiner les gens qui sont beaux. Et en plus, il a changé avec le temps. 50 années sont passées. On lui rajoute des rides, on le voûte. On lui fait tomber un petit peu les paupières, mais ça reste compliqué. Mais heureusement, au bout d’un moment, le personnage dessiné prend le dessus sur le personnage réel. On se soucie un petit peu moins de l’original. Mais reste qu’en fin d’album, j’ai l’impression de ne jamais l’avoir dessiné deux fois de la même façon ».

Renaud en quelques traits © @Delcourt

L’autre défi à relever lorsque l’on parle d’un chanteur en BD, c’est évidemment l’absence de son. Le dessinateur est privé de l’élément essentiel qui est à l’origine de l’amour du public pour l’interprète de «  Mistral Gagnant ». Comment transformer des chansons et les sentiments qu’elles suscitent chez ceux qui les écoutent en cases de BD ? Un challenge d’autant plus difficile à relever que l’utilisation des paroles des chansons était limitée.  

Pas de son

« Il y a les droits d’auteur sur les textes des chansons de Renaud. On ne peut donc pas mettre l’intégralité d’un texte dans la BD. On peut mettre des petits bouts, pas plus. Quand on le dessine en train de chanter, on s’imagine que les gens entendent la chanson dans leur tête. Et cela semble fonctionner. J’ai eu des retours de lecteurs qui me disaient mais quand on lit la BD, on a envie de réécouter les chansons » explique Alain Gaston Remy.

Un des éléments abordés dans la BD, lorsque l’on parle de musique, c’est évidemment l’évolution de la voix de Renaud. Elle lui ressemble, elle est cabossée. Elle est un peu le résumé de sa vie. Et cet élément qui pourrait être dérangeant, même s’il est évident pour tous les fans, figure dans la BD.

Les excès nuisent à la voix… © @Delcourt

La voix pétée

« On pouvait traficoter les bulles, les mains tremblantes, mais on a pris le parti de ne pas le faire » explique Alain Gaston Remy. « On se sert des gens qui le côtoient dans la BD qui disent qu’il a la voix pétée, la voix rocailleuse. Je le dis moi-même dans les deux premières pages. Je compare sa voix à une scie sauteuse au milieu d’un orchestre philharmonique. On fait passer le message au travers de vannes. En fait, ça fait quelques années qu’il a la voix pétée, mais en même temps sa voix pétée, elle correspond aussi à un ralentissement de ses activités ».

Selon la définition du Larousse, Renaud est un chanteur de « la veine réaliste ». Il a chanté sa vie, les loubards, la banlieue. Des thèmes aujourd’hui omniprésents dans ce qui occupe la majeur partie des diffusions sur les chaînes de radio : le rap. A priori, on ne voit pas trop de points communs entre ces deux tendances musicales. Et pourtant, le courant passe.

Le rap

« Les chanteurs de rap respectent vachement Renaud parce que ça a été le premier à chanter la banlieue. Je serais tenté de dire que ce qui manque dans le rap et qui est présent chez Renaud, c’est un peu plus d’humour et un peu plus d’amour. Renaud a fait une intervention dans une MJC auprès de Grand Corps Malade. Il a précisé qu’il voudrait un peu plus de rigolade dans les chansons. Un peu moins de premier degré. Mais il reste malgré tout une familiarité. Pour moi, l’héritier de Renaud, c’est Orelsan. Quand j’écoute ce petit bonhomme qui a une petite tête d’ange, plein d’humour et qui est si juste, je me dis que c’est lui la relève » conclut Alain Gaston Remy.

Docteur Renaud, Mister Renard © @Delcourt

La vie privée, les textes des chansons, l’abus d’alcool, le succès et la solitude, toutes ces composantes de la vie de Renaud apparaissent dans cette BD. Mais quand on referme l’album, c’est surtout l’impression d’avoir revécu 50 ans de l’histoire de France, 50 ans de nos vies qui s’impose. Le résumé d’un demi-siècle.

50 ans de vie

50 ans de chansons et d’histoire © @Delcourt

« C’est 50 ans de notre vie. Il a chanté la vie des gens pendant tout ce temps-là. Il y en a qui vont chanter l’amour tout le temps. Lui, il a chanté son époque avec le danger que ça représente. Celui de devenir très vite obsolète. Finalement il a raconté toute une époque » poursuit Alain Gaston Remy. « Il n’y a pas beaucoup de gens qui ont chanté la France de ces 50 dernières années de cette manière-là ».

Et c’est sans doute ce constat, qui poussera bon nombre d’amateurs de BD à lire cet album. Et ce, bien au-delà du cercle déjà conquis des afficionados de Renaud. Ces 300 pages nous offrent bien autre chose que ce qui ravit habituellement les fans. Elles nous plongent dans notre propre vie, dans notre passé. Avec ou sans regrets.

 

Source : RTBF