Une semaine après la sortie d’«Indocile heureux», Bénabar est premier des ventes avec son neuvième album. A 51 ans, le chanteur retrouve un nouveau souffle avec une nouvelle équipe.
« Indocile heureux ». Indocile, on le savait déjà. Heureux, on n’en doute pas. Pour la première fois en 25 ans de carrière, un album de Bénabar est en tête des ventes dès sa sortie. Dans des classements dominés d’ordinaire par les artistes rap, qui cartonnent en streaming, ce retour en grâce est aussi surprenant que mérité. Dans ce neuvième album, on retrouve l’auteur-compositeur populaire que l’on avait aimé du temps de « la nouvelle chanson française » des années 2000 avec Delerm, Biolay, Cali, Raphaël, Sanseverino…
Après une décennie décevante, son précédent album, « le Début de la suite », amorçait un renouveau en 2018. Mais le vrai changement, c’est à 51 ans. Et on le doit en partie à sa nouvelle équipe menée par le manageur Sébastien Farran et le directeur artistique Bertrand Lamblot. Les artisans de la renaissance musicale de Johnny ont « challengé » Bénabar et ont profité avec lui du confinement pour peaufiner un disque qui, à l’origine, devait sortir au printemps dernier.
Le changement, pour Bénabar, c’est maintenant ?
BÉNABAR. J’en avais besoin. Après 25 ans de carrière, j’étais face à l’écueil de la facilité, de la répétition. En deux heures, je peux descendre une chanson. Mais je devais sortir de ma zone de confort.
Il vous fallait une nouvelle équipe ?
Je n’ai rien à reprocher à l’ancienne. J’aime beaucoup mon album précédent, mais je me suis dit, « Si je continue comme ça, je vais être dans la merde dans cinq ans, je vais refaire le même album »… C’est mon agente d’Artmédia qui a pensé à Farran. Ça a marché entre nous car on a le même âge, on arrive à un moment de nos carrières où on a fait des gros trucs, pris des claques, cela permet d’avoir un rapport direct. Et puis moi je ne cherche ni un manager pygmalion ni un baby-sitter, je n’ai pas besoin qu’on me commande un taxi.
Vous vivez depuis six ans entre banlieue parisienne et Luberon. Besoin de prendre l’air?
Et du recul. Dans ma vie professionnelle comme personnelle, j’ai changé des choses. Mais j’ai quitté Paris depuis longtemps. Le petit showbiz parisien ne m’a jamais vraiment plu et c’est assez réciproque.
Vous avez le sentiment d’avoir été le mal aimé ?
J’ai eu des périodes difficiles. Il y a quand même eu une adversité immédiate avec la « branchouillerie » parisienne. Mais pour être honnête, il n’y a pas que des mauvais et ça m’a amusé aussi de jouer à ce jeu. De faire des vannes sur Télérama à longueur d’interviews. J’ai été très attaqué, mais je sais me défendre.
Vous semblez plus détendu aujourd’hui.
Je suis toujours aussi tourmenté et déséquilibré (il sourit), mais je suis peut-être mieux à cinquante ans qu’à quarante. Je suis en tout cas différent, moins fragile. Les enfants grandissent et cela ne me pose pas de problèmes de vieillir.
Depuis dix ans, on vous a surtout vu au cinéma et au théâtre. Etiez-vous lassé de la musique?
Lassé, non. Mais j’avais besoin de voir autre chose. La comédie a été bienvenue. Elle m’a donné le goût de l’interprétation. Avant j’étais l’auteur qui chante ses textes. Là, j’interprète plus. Mais cela ne m’a pas donné plus confiance en moi. Je n’ai aucune idée d’un album réussi ou pas. Cela n’a jamais été une formalité de faire un disque, j’y ai toujours mis mes tripes.
Dans cet album, vos textes sont plus intimes.
Je n’ai jamais autant lâché prise. Il y a eu un gros travail collectif qui a abouti à un album extrêmement personnel. J’ai aimé travailler pour la première fois avec un autre auteur, Pierre-Yves Lebert (NDLR : parolier pour Johnny Hallyday, Pascal Obispo, Florent Pagny…). Et je suis moins pudique qu’avant. C’est évident dans « le Bain de 23h30 », que je trouve même impudique. Cela m’a surpris de raconter tant de choses…
Cette histoire de bain breton rappelle la photo de vous, nu, dans Paris Match en 2013.
Ah, c’est vrai. C’était en Bretagne en hiver… C’était drôle, cela avait pris des proportions incroyables. A un moment j’ai flippé : « Qu’est-ce j’ai fait ? » Un copain du métier m’avait demandé : « Pourquoi t’as fait ça ? » Il n’y avait pas de raison. Sauf que c’était une interview « mise à nu ». Au bout du compte, ça m’a fait du bien. Cela m’a permis de dédramatiser. Mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, je ne le referais pas. Ce qui est dommage.
«Au nom du temps perdu» était à l’origine écrite pour Johnny…
Il y a une vingtaine d’années. Elle n’avait pas été retenue. Mon ami Michel Delpech voulait la chanter mais il nous a quittés. Il y a dix ans, je ne l’aurais pas faite. C’est très premier degré, un peu western, j’avais peur d’être un peu ridicule. Mais Bertrand Lamblot m’a poussé et il avait raison. il y a une question d’âge aussi. La cinquantaine, ça modifie les choses. J’ai l’âge du rôle, comme on dit.
«Les Belles Histoires» fait écho au «Close To Me» de The Cure. Vous êtes fan ?
Pas du tout. C’est Régis Ceccarelli (NDLR : le producteur de l’album) qui a eu cette idée. The Cure, Depeche Mode, je suis passé complètement à côté, tout comme j’ai raté le train du rap dans les années 1990. J’étais à fond dans Higelin et Dutronc. J’essaye de rattraper, mais c’est presque trop tard. J’ai un ado, mais comme je l’ai bien élevé, il est super rock et métal, Guns N’Roses, Splipknot…
On vous verra bientôt dans les Enfoirés ?
Non, lors des enregistrements en janvier, j’étais en pleine promotion. Mais c’est bien qu’il y ait un roulement. Ce doit être une troupe à géométrie variable. Mes projets, si tout va bien, c’est de tourner dans « Capitaine Marleau » le mois prochain et de refaire des chansons avant la tournée, qu’on a repoussée en 2022. J’aime l’idée de ne plus attendre trois ans pour reprendre le cycle, album, tournée, cure de désintox et divorce (rires).
Comment va votre ami Renaud ?
Il va bien, franchement. Quand je suis à Gordes, on se voit très souvent, car on est quasiment voisins et on a pas mal de potes en commun. On mange ensemble, on rigole, on chante des vieilles chansons. Il a connu des moments plus durs, j’ai l’impression qu’il a trouvé une forme d’équilibre. Même si, comme tout le monde, la période lui pèse.
Son meilleur album depuis «Reprise des négociations»
On n’ira pas jusqu’à clamer qu’on retrouve Bénabar sur ce neuvième album. Ce serait oublier que le précédent, réalisé avec Mark Daumail de Cocoon, nous avait réconcilié. Mais « Indocile heureux » est plus riche. A nos yeux, enfin à nos oreilles, c’est même son meilleur depuis « Reprise des négociations », en 2005, son plus gros succès avec « le Dîner » et « Maritie et Gilbert Carpentier ». On y trouve justement, de la pochette aux orchestrations, l’esprit « grande chanson » des années 1970 mais aussi la pop des années 1980.
Les lumineuses « Exigeons l’impossible » et « les Indociles heureux », nées pendant le confinement, rappellent même Gotainer. Son talent de nouvelliste fait mouche sur « Au nom du temps perdu » et « William et Jack ». Mais c’est quand sa plume est la plus intime et mélancolique, à l’instar du regretté Michel Delpech et de Renaud, qu’elle fait la différence. « Un Lego dans la poche » et « le Bain de 23h30 », c’est le Bénabar qu’on préfère.
NOTE DE LA RÉDACTION : 4/5
«Indocile heureux», de Bénabar, RCA/Sony.
Source : Le Parisien