N° 2731, du 3 au 10 avril 1980
BOURGES : petit Midem rural pour les uns, printemps de la comptine de qualité pour les autres. La chanson : sujet épidermique par excellence. Le commerce des idées, tout le monde s’en bat l’œil ; la pollution, le quidam s’en soucie comme d’une guigne ; les droits de l’homme, ça ne déplace pas les foules, mais la chanson… Chacun a sa vérité sur la question, chacun a son petit palmarès intime dans la poche portefeuille ? Vous trouverez à tous les coins de rue quelqu’un qui criera au scandale face au succès d’un Lavilliers, un autre qui déplorera l’anonymat dans lequel est tenu un Tachan, un dernier qui mitraillera à vue l’inanité sonore d’un Sardou. Il y aura toujours une bonne âme pour déverser sa bile sur Nana Mouskouri, Dalida, Rika Zaraï et autres marchandises supportant difficilement l’exportation. Ici on trébuche sur un fervent inconditionnel de Souchon, là sur un don quichotte du microsillon qui crie à l’imposture devant le phénomène Renaud. «Jonasz les bouffera tous !», « Lafaille a du génie !», « Duteil racole dans les patronages ! », « Clerc s’embourgeoise, Yves Simon se liquéfie ! » La chanson fascine, hérisse, électrise, émoustille, assomme, emmerde ; la chanson est notre collier de grigris quotidiens. Une parure qui vous colle tellement à la peau qu’on ne sent plus les variations de température. Il est bon parfois de faire la vidange, de fermer la radio et d’aller sur le pré. Ces dix jours de Bourges avec toute une guirlande de récitals, de débats, d’expositions, de projections, avec la confrontation de talents confirmés et de nouveaux venus (Lalanne, Langoureau et Bashung, par exemple) nous en fournissent une excellente occasion. C’est bon parfois d’aller au spectacle comme on va pique-niquer, sans nappe, ni couvert.
Il paraît que Brel vomissait chaque fois avant d’entrer en scène. Histoire de se sentir plus neuf.
Patrice DELBOURG
Source : Les Nouvelles littéraires