N° 24, 9 décembre 1992
Renaud : Bille en tête
Carmet et Depardieu font de la politique
J’arriverai jamais à écrire cette chronique. J’ai pas choisi le bon endroit ni la bonne heure. Je suis à la cantoche, j’écris d’une main, de l’autre j’ai mes nouilles et mon steak haché, j’ai Depardieu en face de moi et Carmet à ma droite. Y z’arrêtent pas de s’engueuler. Soi-disant que Carmet arrêterait pas de péter alors que c’est surtout Gérard… Carmet part dans une théorie selon laquelle on peut être de gauche et péter quand même. Que y’en a marre de la morale à la con des instits, que péter à table c’est une marque de respect pour ses hôtes, une façon de leur dire qu’on est bien avec eux et qu’y peuvent faire pareil. Alors Gérard fait pareil et moi j’ai le sentiment qu’ils sont vraiment bien avec moi.
Comme ils lisent les journaux du jour en attendant leur gamelle, ils font des commentaires sur l’actualité. Putain, c’est beau ! On dirait les deux papys de Wolinski dont le dessin, qui enlumine cette page, côtoie chaque mercredi ma prose approximative. Gégé bougonne à peu près contre tout c’qu’y s’passe et Carmet lui répond par des trucs qu’ont rien à voir. Ça donne un peu ce genre de dialogue :
Depardieu : « Ah! les salauds ! Pierre Bergé qui annonce qu’il votera Léotard… Comment ils retournent tous leurs vestes ! Les rats quittent le navire, ah, les salauds !!! »
Carmet : « J’mangerais bien des ris de veau, moi, ce soir… Tiens, t’as vu ? Boucheron a ouvert un resto à Buenos Aires. J’irais bien bouffer là-bas, moi, un de ces quatre… »
Depardieu : « Mais tais-toi donc, vieille carne ! Tu penses qu’à manger ! Après tu fais que péter et ça gêne le p’tit ! »
Moi : « Non, non, ça me dérange pas du tout, au contraire… »
Carmet : « Ça s’appelle « Chez Agnès »… Ça doit être Madame Boucheron… On y va, on bouffe, on baise Agnès, pis on s’barre sans payer… »
Comment tu veux écrire peinard quand t’entends ça… En plus que, cette semaine, j’ai pas la première amorce du moindre poil de cul de début d’idée. Pourtant y’a plein de bonnes nouvelles en ce moment, ça devrait m’inspirer… Le tunnel du Somport aux oubliettes, l’émission d’Ardisson bientôt à la trappe, les Israéliens autorisés à dialoguer avec l’OLP, Alain Robbe-Grillet qui prend la défense de la pièce de B.-H. L., histoire de la couler définitivement, et mon chien Toto qui vient de jeter sa gourme sur une presque aussi belle que lui. Ben ça vient pas. Avec les deux oiseaux qui m’entourent et qui me déconcentrent, j’ai un peu la tête ailleurs et je risque de vous raconter que l’OLP est autorisée à dialoguer avec Ardisson, que B.-H. L. est aux oubliettes, qu’ils parlent de construire un tunnel du Somport sous Robbe-Grillet, que les Israéliens prennent la défense de mon chien et que Yasser Arafat vient de jeter sa gourme sur Arielle Dombasle par exemple…
Carmet : « Alors ? Ça avance, ta chronique ? T’es gentil, cette semaine, t’évites d’écrire que je bois… Sinon j’leur raconte, moi, à Charlie, dans quel état t’arrives le matin sur l’tournage, qu’on dirait que t’as passé la nuit dans une bétonnière… Dis donc, elles ont l’air bonnes, tes nouilles… J’vais p’t’être manger ça, moi aussi, avec un vieux Bourgueuil, histoire de faire passer le Saint-Èmilion de ce matin qui était un peu vert… Qu’est-c’que t’en penses, Gérard ? »
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud