Dans un double album intitulé Entre-Deux…, Patrick Bruel remet au goût du jour les chansons qui font partie de la mémoire collective de la chanson française. 24 titres, 12 duos dont certains avec Charles Aznavour, Laurent Voulzy, Renaud ou Johnny Hallyday, il interprète entre autres ces chansons éternelles que sont Ménilmontant, Que reste-t-il de nos amours, Comme de bien entendu! ou Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?.
A la redécouverte du patrimoine
A cette occasion, nous vous proposons un tour d’horizon du « nouveau Bruel » avec interview de l’artiste, critique de l’album ainsi qu’un papier d’ambiance sur le concert de présentation de l’opus qui donne la couleur de la tournée qu’il entreprend cet été.
RFI : Comment avez-vous choisi les chansons que vous interprétez ?
Patrick Bruel : Je me sens bien dans ce répertoire. J’ai eu envie de rendre hommage à cette époque, et surtout de me faire plaisir. Je me suis fait un petit cadeau. Alors, l’hiver dernier, je suis parti en vacances en famille avec une valise de CD, et l’on a écouté six cents chansons de toute cette époque.
RFI : Votre choix sonne comme un best of de l’époque : il n’y a que des tubes.
P.B : J’ai pris celles qui me plaisaient le plus. Au départ, je pensais en prendre dix-huit pour faire un album simple. Puis quand on a vu combien de gens répondaient oui aux propositions de duos, on a décidé de faire un double-CD et j’ai pu en rajouter – Aujourd’hui, il n’y en a pas de chanson qui me manque.
RFI : Parmi les réussites de cet album, il y a La Complainte de la Butte en duo avec Cabrel…
P.B: J’avais envoyé un CD aux gens en leur demandant quelle chanson ils voulaient faire et ils m’ont répondu plus ou moins vite. Un jour, j’appelle Francis pour lui demander son choix : il me dit qu’il choisit La Complainte la Butte. Juste quand je raccroche avec lui, le téléphone sonne : c’est Zazie qui me demande aussi La Complainte de la Butte! J’ai été bouleversé par la disponibilité et l’amour des gens qui sont venus sur ce disque. Ça tient au répertoire, bien sûr, et au fait que ces artistes m’ont accordé la légitimité de faire ce projet. Mais tellement de gens ont accepté qu’à l’enchainement des noms, j’ai toujours peur d’en oublier.
RFI : Ce qui est surprenant, c’est d’entendre Emmanuelle Béart et Sandrine Kiberlain chanter sur Où sont tous mes amants.
Elles sont toutes deux des amies très proches. Souvent, lorsqu’on est ensemble, on prend un piano et on chante pour s’amuser. Mais elles avaient toutes deux envie de chanter un jour « sérieusement ». Elles comptent parmi les premiers que nous avons contactés.
RFI : Etait-ce facile d’enregistrer avec Johnny ?
P.B : Rien de plus facile. Il est très, très fort. Il a choisi Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, exactement là où on ne l’attend pas. Quand il est arrivé au studio, il avait vraiment travaillé la chanson et il l’a tout de suite enquillée en trois prises.
RFI : On note aussi la présence de Renaud, fort heureusement de retour ces temps derniers…
P.B : C’était clair dès le départ : ce projet ne devait pas se faire sans lui.
RFI : Etes-vous nostalgique de l’époque que vous chantez ?
P.B : Dans l’histoire de la création française, l’entre-deux guerres est une des époques pendant laquelle la France revendique le plus son identité. La vedette la plus exportée, la plus connue en Amérique, c’est Maurice Chevalier, qui justement porte toutes ces valeurs : prendre le temps de vivre, prendre du plaisir après avoir bien travaillé. Derrière des apparences très légères, la chanson de l’époque est d’une grande profondeur.
RFI : Le choix de vos arrangeurs est significatif.
P.B : Il y a eu deux arrangeurs : Fabrice Moreau, mon frère, et Régis Ceccarelli, qui sont tous deux batteurs. Et le disque a été supervisé par David Moreau, mon autre frère, qui a tout conçu et qui a écrit cordes et cuivres. L’apport de mes frères a été colossal dans la manière d’aborder ma voix, avec l’album Juste avant. Après le travail d’horlogerie qu’ils avaient réalisé, il y a eu deux ans tournées, puis l’enregistrement de ce disque. C’est sûrement l’album où je chante le mieux. Ce n’est pas toujours le cas mais, cette fois-ci, j’aime écouter mon disque. Et encore, j’ai souvent dû baisser ma tonalité pour me mettre au service des gens que j’invitais.
RFI : Quand y aura-t-il un nouvel album de chansons de Bruel ?
P.B : En septembre 2003, normalement, pour faire une grosse tournée en juin 2004.
RFI : On ne se demande pas comment écrire des chansons après avoir chanté de tels monuments ?
P.B. : Si, si, on se le demande ! (rires) Maintenant, je comprends que Le Forestier ait eu du mal à écrire un album après deux ans de tournée avec les chansons de Brassens ! J’ai commencé à écrire un peu. Mais c’est sûr que cela incite à plus d’exigence.
Propos recueillis par Bertrand DICALE
BRUEL SE FAIT PLAISIR
L’âge d’or de la chanson française daterait-il de cinquante ans ? Voilà en tout cas, le postulat auquel Patrick Bruel souhaiterait sans doute que le public adhère. Depuis son retour dans le palmarès des plus gros vendeurs de disques de la chanson française avec le succès de l’album Juste avant, l’enfant de Tlemcen nous fait avec ce double album Entre deux, un beau cadeau. C’est ce que tout du moins, il voudrait nous faire croire.
Certes, on est toujours heureux d’écouter des titres comme Mon amant de la Saint-Jean ou Vous qui passez sans me voir. On pourrait aussi voir d’un bon œil que Bruel interprète ces chansons du répertoire avec ses maîtres, ses amis ou ses acolytes du show-biz. Le duo avec Charles Aznavour, Ménilmontant est de ce point de vue une réussite ainsi que celui avec Renaud, Comme de bien entendu. Malheureusement, il n’en va pas de même pour un bon nombre d’entre eux : Jean-Louis Aubert tente de rivaliser avec Jean Gabin sur Quand on s’promène au bord de l’eau, la version du Temps des cerises avec Jean-Jacques Goldman est insipide et Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux avec Johnny est loin d’être crédible. On attendait peut-être beaucoup des collaborations comme celle des comédiennes Danielle Darrieux, Emmanuelle Béart et Sandrine Kiberlain et notre déception est à la mesure de notre premier enthousiasme.
En somme, rien d’extraordinaire sous le soleil de la chanson, car même si la promotion de cet album a su être extrêmement efficace et nous laisser penser que ce Entre deux était indispensable à notre discothèque, nous aurions tendance à penser que Renaud avait fait nettement mieux en 81 avec Le P’tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes. Sa gouaille d’alors avait sans doute plus de d’authenticité que celle que tente de s’inventer Patrick Bruel. On peut se demander si à force de vouloir se faire plaisir, on fait bien.
Patrick Bruel Entre deux (BMG) 2002
Valérie Passelègue
MINI-CONCERT AU MUSÉE
Il y a quelques semaines, des people se pressaient devant la grille du musée des Arts Forains. Munis d’un carton, ils venaient jeter une oreille à un court concert privé que donnait Patrick Bruel pour présenter son nouvel album, Entre deux. Le choix de l’endroit s’explique par le contenu du disque, à savoir des reprises de chansons de l’entre-deux-guerres.
A l’entrée, il y a des chevaux de bois orphelins de leur manège et un joueur d’orgue de barbarie. Déjà sous le charme, les yeux et les oreilles ne savent pourtant pas que le plus bel de l’endroit reste à venir. Le grand hall abrite d’anciens pantins de bois, de petites voiturettes de trains fantôme, de vieilles machines à lire l’avenir, des couleurs, des lumières et des musiques de fêtes foraines disparues. L’assistance transportée se bouscule autour des jeux de palets, des billes de bois à jeter dans des cavités numérotées, du jeu de force à envoyer sur un rail formant une boucle ondoyante… Puis surtout il y a le derby : douze joueurs font avancer leurs chevaux miniatures à coups de boules rouges bien visées dans des trous de couleurs. Les cris de joie et les encouragements bruyants prennent tant de place qu’on en viendrait presque à oublier le héros de la fête.
Discret, amusé mais distant, Patrick Bruel observe et discute en tentant d’oublier son trac. Ce soir il va pour la première fois présenter Entre deux, double album fraîchement sorti du studio. La clameur du lieu s’éteint donc lorsqu’il monte sur scène, en entamant le Temps des cerises avec une contrebasse pour tout accompagnement. Hormis cette chanson (remontant à la Commune), l’artiste explique que tout ce qui va suivre ne sera, à l’instar du disque, qu’un répertoire issu de l’entre-deux-guerres. C’est ainsi que se succèderont la Java bleue, l’Amant de Saint-Jean, Que reste-t-il de nos amours et autres airs des années trente. Damia, Fréhel, Chevalier, tout y passe avec l’avantage que les invités puissent entonner d’emblée l’ensemble des refrains. Entouré d’une foule de musiciens (et non des moindres, Jean-Yves D’Angelo au piano et André Cecarelli à la batterie pour ne citer qu’eux), Bruel enchaîne les morceaux avec une qualité irrégulière.
Tantôt touchant et juste dans son interprétation très personnelle, il s’attire les faveurs de l’auditoire. Tantôt limite dans la voix, il se noie dans l’imitation de la gouaille parisienne des années chantées. Sincère toujours, pathétique parfois, peu convaincant dans l’ensemble. Avant de se perdre dans les remerciements (la maison de disques, l’équipe, la compagne…) il explique quelques coulisses de fabrication : il a fallu choisir parmi 200 chansons, les 23 reprises contenues dans le disque (d’où la nécessité d’un double album, le tri n’ayant pas été simple). Une dernière plage offre un morceau « à la manière » de l’époque et signé par son frère David.
Entre deux signifie donc « entre-deux guerres » mais aussi « entre deux disques »… Mais il y a une autre explication fournie au moment où Zazie rejoint Bruel sur scène : les duos. Il ne devait y en avoir que trois ou quatre au départ… « J’ai lancé une dizaine d’invitations en pensant qu’un petit nombre seulement allait être intéressé. Et puis non, tous ont répondu présent. L’idée de ces reprises leur paraissait bonne ! » C’est ainsi que sur l’album, on peut également entendre les voix de Johnny Hallyday, Jean-Jacques Goldman, Charles Aznavour, Laurent Voulzy, Alain Souchon…
En attendant, Patrick achève son mini-concert par un imprévu : la montée de l’orgue de barbarie sur scène dont il tourne la manivelle lui-même pour accompagner la Romance de Paris entre rire et fraîcheur… L’un des vrais rares moments qui provoquent notre adhésion. Peut-être parce que le malaise a enfin disparu complètement, que le trac qui rendait le chanteur si peu sûr de lui et si maladroit parfois s’est enfin volatilisé.
Marjorie Risacher
Patrick Bruel en tournée : Ostende (Belgique) le 05/07/2002 – Bruxelles le 06/07/2002- Lille le 08/07/2002- Paris / Le Casino de Paris les 11, 12 et 13/07/2002- Fourvière / Nuit de Fourvière le 14/07/2002- Neuchatel le15/07/2002- Salon de Provence le 16/07/2002- Six Fours le 18/07/2002- Chateau Arnoux le 19/07/2002- Sète les 20 et 21/07/2002-Luchon le 23/07/2002- Dax le 24/07/2002- Eauze le 25/07/2002- Arcachon le 26/07/2002 -Ramatuelle le 01/08/2002
Source : RFI Musique