CHANSON – Renaud irritant synthétiseur

Lepetitjournal.com

17 octobre 2006

Dans Rouge sang, son dernier album, Renaud résume son point de vue sur la société actuelle. L’artiste observe les transformations du monde et les traduit en chansons engagées peut-être, polémiques aussi, tendres souvent. Nécessaires surtout. Et agaçantes !

Comme il y a 20 ans, à droite ou à gauche, Renaud énerve. On lui reproche son look, son alcool, sa tendresse, ses positions, ses contestations, ou Roxane, sa nouvelle meuf. 20 ans plus tard, on lui reproche surtout d’être encore là.

Il faut avouer que, bizarrement, son retour à la vie médiatique a été lié à Paris Match. Lui, le rocker rebelle, s’est mis à faire des couvertures plus nazes les unes que les autres : ses confessions, son mariage, ses rêves ? Comme toutes faiblesses people, les pathétiques aventures du contestataire prêtaient unanimement à rire. Il sentait la bonne vieille loose. Mais voilà que le bonhomme ressort un album. Fin de l’unanimité.

Mêmes poches sous les yeux, même voix éraillée, mêmes arrangements musicaux, mêmes gros mots. Que ses qualités lyriques ou mélodiques prêtent à discussion, c’est de bonne guerre. Pour les textes, en revanche, il n’y a pas photo. Ils déchaînent certes les polémiques, mais font montre aussi d’un impitoyable sens de l’observation qui pousse l’auteur à actualiser ses combats.

Synthétiser comme il le fait, en deux ou quatre minutes, les égarements de la société (Nos vieux), les errances de l’histoire qui se trame (J’ai retrouvé mon flingue) et les tourments universellement personnels (Adieu l’enfance), relève d’un vrai génie. Les chansons ne sont jamais que des ronds dans l’eau de l’ordre du monde, mais elles reflètent aussi le regard personnel que porte le compositeur.

Phrases qui tuent

Comme avant, Renaud dit des choses détonantes genre « Faut dire qu’elle est con comme un veau, Elle rêve d’un ordre nouveau, Regrette le temps des colonies, d’la peine de mort légalisée, d’l’avortement interdit, et maudit les jeunes filles voilées, Elle est facho, elle vote Sarko ». C’est jamais rien que du Renaud pur sang : soit ça énerve, soit ça fait rire.

Mais au-delà de la sphère politique, la chanson qui crispe le plus c’est Les Bobos (voir les paroles ci-dessous). Un type qui résume si bien les mœurs contemporaines mérite pourtant plus que de la crispation.

Quand il sera mort, reconnaîtrons-nous enfin unanimement un talent singulier, constant et bien plus vaste que ses phrases qui tuent ?

Delphine MINNE. (www.lepetitjournal.com) 17 octobre 2006


Les bobos, texte

On les appelle bourgeois bohêmes
Ou bien bobos pour les intimes
Dans les chanson d’Vincent Delerm
On les retrouve à chaque rime
Ils sont une nouvelle classe
Après les bourges et les prolos
Pas loin des beaufs, quoique plus classe
Je vais vous en dresser le tableau
Sont un peu artistes c’est déjà ça
Mais leur passion c’est leur boulot
Dans l’informatique, les médias
Sont fier d’payer beaucoup d’impôts
Les bobos, les bobos

Ils vivent dans les beaux quartiers
ou en banlieue mais dans un loft
Ateliers d’artistes branchés,
Bien plus tendance que l’avenue Foch
ont des enfants bien élevés,
qui ont lu le Petit Prince à6 ans
Qui vont dans des écoles privées
Privées de racaille, je me comprends
Ils fument un joint de temps en temps,
font leurs courses dans les marchés bios
Roulent en 4×4, mais l’plus souvent,
préfèrent s’déplacer à vélo
Les bobos, les bobos

Ils lisent Houellebecq ou Philippe Djian,
Les Inrocks et Télérama,
Leur livre de chevet c’est Cioran
Près du catalogue Ikea.
Ils aiment les restos japonais et le cinéma coréen
passent leurs vacances au cap Ferret
La côte d’azur, franchement ça craint
Ils regardent surtout ARTE
Canal plus, c’est pour les blaireaux
Sauf pour les matchs du PSG
et d’temps en temps un p’tit porno
Ils écoutent sur leur chaîne hi-fi
France-info toute la journée
Alain Bashung Françoise Hardy
Et forcement Gérard Manset
Ils aiment Desproges sans même savoir
que Desproges les détestait
Bedos et Jean Marie Bigard,
même s’ils ont honte de l’avouer
Ils aiment Jack Lang et Sarkozy
Mais votent toujours Ecolo
Ils adorent le Maire de Paris,
Ardisson et son pote Marco
Les bobos, les bobos

La femme se fringue chez Diesel
Et l’homme a des prix chez Kenzo
Pour leur cachemire toujours nickel
Zadig &Voltaire je dis bravo
Ils fréquentent beaucoup les musées,
les galeries d’art, les vieux bistrots
boivent de la manzana glacée en écoutant Manu chao
Ma plume est un peu assassine
Pour ces gens que je n’aime pas trop
par certains côtés, j’imagine…
Que j’fais aussi partie du lot
Les bobos, les bobos ? Renaud, dans l’album Rouge sang

  

Source : Lepetitjournal.com