MONTRÉAL, DIMANCHE 5 FÉVRIER 1989
La boîte aux lettres
▀ Robert Charlebois laissait entendre le 25 janvier, à la télévision de Radio-Canada, que le chanteur Renaud appuierait la cause du français au Québec pour quelques applaudissements. Quand on connait l’engagement social de Renaud, on ne peut y voir que mesquinerie de la part de Charlebois.
Charlebois affirmait qu’il avait aussi appuyé la cause bretonne pour récolter des applaudissements. Un gros coup pour ceux qui croyaient à sa sincérité. Quelques instants plus tard, il disait à un autre intervenant que les chanteurs devraient laisser la politique aux politiciens. Quel changement depuis Que can-blues, Frog Song, Quebec love et Entre deux joints. N’y avait-il pas alors de politique dans tes chansons, cher Robert. Nous devons donc conclure que tu trompais ton public pour des applaudissements…!
Tu nous as bien eus, sacré Robert. Tes chansonnettes commerciales sont beaucoup plus à ton image. Nous nous en souviendrons…
Christiane FORTIN
Claude BOURGUIGNON
Saint-Colomban
▀ À la sortie de la première du chanteur Renaud, il m’est resté un goût amer dans la gorge. Un petit goût de réflexion.
Au cours de son spectacle gagné d’avance par un public enthousiaste, Renaud a eu un clin d’oeil pour notre actualité politique: une démonstration silencieuse de la Loi 101, exécutée par les choristes, et une explication humoristique de la Loi 178, qui disait approximativement ceci: «Unilinguisme à l’extérieur et bilinguisme à l’intérieur. Mais ça serait mieux le français en-dedans et l’anglais dehors». Propos qui furent vivement applaudis par les spectateurs.
Ce que peu de gens ont entendu, c’est Renaud nous demander pourquoi nous applaudissions ce propos raciste. On n’a peut-être rien compris à sa carrière, à son message!
Mais là où mon interrogation est la plus vive; c’est que, alors que nous avons grandement applaudi cette pointe d’humour, nous avons applaudi tout aussi fortement les deux chansons qui ont suivi, toutes deux en anglais.
Le silence est une démonstration tout aussi efficace que les cris ou les manifestations pour exprimer un désaccord. Ne pas applaudir à ces deux chansons aurait démontré bien plus fortement l’équilibre précaire de la langue française dans le monde (…)
D. TAILLON
Montréal
Cher Renaud,
▀ Ayant lu dans La Presse du 25 janvier un compte rendu de ton spectacle au Théâtre Saint-Denis, où tu as eu l’«audace» de dénoncer la loi 178, je veux te dire bravo, continue, mets-en! Tu n’es pas un maudit Français» mais un «maudit bon Français», sympathique comme il y en a tant!
Actuellement, on nous envoie des tas d’immigrants qui ne savent pas un mot de français et qui se dépêchent (pas tous mais plusieurs) à s’intégrer aux Anglais malgré toutes les lois 101. Ce petit jeu-là, ça devient dramatique pour nous. Ce qu’il nous faudrait de toute urgence, c’est une forte immigration française (…)
Pierre DURAND
Montréal
▀ Il y a quelques jours, à la télévision de Radio-Canada, nous avons pu entendre le commentaire de Robert Charlebois au sujet de la prise de position du chanteur français Renaud sur la question linguistique au Québec. Ce dernier, on le sait, a littéralement soulevé son public en commentant avec un cynisme avoué quelques grands titres des journaux concernant «l’affaire Alliance Québec». Il a même brandi le fleurdelisé.
Or, interrogé à la sortie du spectacle, Charlebois a déclaré qu’il «pardonnait» au chanteur l’emploi de ces «trucs» qui ne visaient, d’après lui, qu’à récolter des applaudissements. Ainsi, nous a-t-il rappelé, lui-même avait employé cette méthode en Bretagne il y a de cela quelques années.
Joli transfert! Il est vrai que pour un homme dont le seul coeur est désormais celui de la fatuité et de l’égocentrisme béat, il est préférable de croire que l’empathie sincère n’existe pas, n’a jamais existé. Pour Charlebois, il est beaucoup plus rassurant d’expliquer l’attitude de Renaud en la faisant relever d’une démagogie toute «sympathique». Car il sait bien, lui, que son chien est mort, qu’il n’agitera plus jamais de drapeaux, ou alors seulement si on le paie bien; et dans ce cas, il agiterait n’importe quoi…
Il faut dire que jadis son moi d’artiste a failli se dissoudre dans la soupe nationaliste, mais tout le monde connaît cette tragique histoire. Charlebois a vieilli, a pris de la maturité, «Tu verras, mon p’tit gars, ça te passera…»
Je ne voudrais pas que mon propos laisse entendre que j’idéalise l’attitude de Renaud. Seulement, il a pris position. Il ne s’est agi que de mots et de gestes, mais cela mérite tout le respect du monde, j’ai faim de ce feu! Comme jeune Québécois, comme parlant français, j’ai besoin de prise! Que dorment les banalisateurs de l’âme, de la langue!
Ian LAUZON, 22 ans
Université de Montréal
Source : La Presse