Chère Dominique

Charlie Hebdo

N° 146, 12 avril 1995

(Adresse à Dominique Voynet)

Chère Dominique, qu’as-tu besoin de mon soutien ? Outre qu’il me vaut, cette semaine, les lazzis d’un de tes partisans rennais qui me prétend roi de la volte-face et du changement d’avis (c’est insultant pour Philippe Val, à part aux européennes on a toujours voté pareil…), le fait que je vote pour toi, pour les idées que tu défends (et ce n’est pas la première fois) ne te suffit-il pas ? Crois-tu que je sois encore capable (l’ai-je jamais été ?), dans une consultation électorale nationale ou munici­pale, d’influencer le vote d’un hésitant, de drainer vers toi des voix d’abstentionnistes, de faire changer d’avis un jospiniste sous prétexte que, parmi ceux-là, certains aimeraient bien ce que je fais ou ce que je suis ? Tu me prêtes bien du pouvoir. Ou bien tu prêtes à ceux-là bien peu de convictions…

Qu’as-tu besoin du soutien d’un type comme moi qui voit dans ce monde « comme dans les films de cow-boys, les bons d’un côté, les méchants de l’autre » ? Même si les premiers tra­hissent, renoncent, déçoivent souvent pour rejoindre le camp des seconds. D’un type qui considère que le mot « gauche » veut encore dire quelque chose malgré les socialos qui l’ont sali, trahi, ou mis au musée ? Comme tous ceux qui me repro­chent à tort ou à raison mon soutien à Mitterrand en feignant d’oublier les très nombreuses occasions où je l’ai allumé sans ménagement, tu insinues que j’ai « compté sur lui pour chan­ger la vie » en oubliant de préciser que tu as probablement toi aussi voté pour lui aux seconds tours de 81 et 88. J’ose espérer que, ce faisant, tu lui accordais, comme moi, de représenter quoi qu’il en soit une « certaine gauche »… Mon soutien, sans grandes illusions, eut au moins l’excuse d’être justifié par des raisons affectives que j’ai toujours assumées. Est-ce moins honorable que de voter pour quelqu’un qu’on n’aime pas et dont la politique, globalement, n’a semblé te satisfaire en rien ?

Allez, sans rancune, tu veux ma voix je te la donne, fais-en bon usage. Tu veux mon soutien ? Puisse cette béquille bran­lante ne point produire l’effet inverse à celui escompté, je connais des gens qui attendent que je déclare pour qui je vote pour voter le contraire…

Bisous, amitiés, et longue vie aux « Verts ».

  

Source : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées)