N° 1232, 2 mars 2016
Ça va faire plaisir à d’aucuns (nombreux j’espère), ça va valoir à Charlie quelques ventes et (ou) quelques abonnements en plus (j’espère aussi), et pis surtout ça va énerver plus d’un, ce qui me met en joie. Ces lecteurs-pinailleurs vont m’abreuver de force lettres d’insultes ou d’indignation, agacés qu’ils seront à l’idée saugrenue qui m’est venue après les attentats du 7 janvier 2015 d’écrire à nouveau une chronique dans la presse libre à 10 francs (voire à 3 euros… Pardonnez ce décalage, je suis resté en 1992 où Charlie valait 10 balles alors que de nos jours il en vaut autant, mais ce sont des balles de kalachnikov – ce ne sont pas les 12 victimes de janvier qui me contrediront…).
A l’insistance de Charb hier, à celle de Riss aujourd’hui, je reprends donc ma plume dérisoire mais guidée par les simples désir et plaisir d’écrire, pour vous offrir deux colonnes de bonheur, de colères, d’émotions, de douleurs qui habitent ma triste vie de saltimbanque enroué (pas si triste que ça, ces temps-ci)…
(Dieu que j’aime les parenthèses et les points de suspension, que je ne sais même pas d’où me vient cette propension à les utiliser par trop fréquemment… En revanche, j’éprouve une aversion pour les points-virgules, dont j’ignore en quel endroit ils doivent prétentieusement se placer…)
Tous mes amis, mes frangins, mes poteaux ont bien essayé de me dissuader de retaper sur un clavier ma prose approximative pour Charlie, rien n’y a fait, et ce ne sont pas les « C’est plus ce que c’était », « Ta vie sera un enfer ! », « Tu vas être obligé de te cogner des flics en permanence pour ta sécu ! », voire « Tu pars en tournée bientôt, tu risques (ainsi que ton public) de voir tes concerts perturbés, et même annulés pour cause d’alerte à la bombe », etc., qui m’ont persuadé de renoncer à cette idée, cette envie, de vous pondre quelques mots de-ci de-là (chronique bimensuelle donc, because j’écris par ailleurs dans Causette et parfois même des chansons et trop souvent à des fans-fous et encore des interviews par mails interposés avec des journaleux en mal de peopoleries ou encore bientôt à des gentils ou hargneux lecteurs dans ma boîte aux lettres de chez Charlie. Ajoutez à cela que j’ai chopé un rhume du nez suite à la rencontre avec un médecin s’occupant des assurances lorsque je démarrerai ma tournée début octobre en France, Suisse, Belgique, Québec et Navarre, mais je pense que c’est une maladie nosocomiale – pas la tournée, le rhume, vous aviez compris…).
Et puis, tant qu’à mourir, je préférerais infiniment qu’on tue l’auteur de ces lignes, héros tombé en martyr de la presse libre à cent sous plutôt qu’au guidon d’une motocyclette qui fait prout-prout ou bouffé par des méchantes métastases très désagréables (quoique, pour l’instant, elles semblent somnoler du sommeil de l’injuste dans mes magnifiques cellules qui constituent – avec l’eau – l’essentiel de mon indestructible organisme même sans pastis avec).
Suis-je bien clair? Je me résume : même pas peur !
Deux-trois nouvelles pour commencer.
1. J’ai embauché une femme de ménage même pas française pour passer mensuellement un coup d’aspiro sur mes tapis orientaux, vider les cendriers et surtout faire la poussière sur mes différents meubles, objets, bibelots qui enjolivent mon appartement parisien que j’habite enfin, trois ans après l’achat, occupé que j’étais à taquiner la truite et (ou) à caver les truffes (et un dernier Ricard pour la route) en ma maison de l’Isle-sur-la-Sorgue.
2. Sur Amazon.fr, j’ai acheté un plumeau !
Un beau en plumes d’Autruche… Trop classe, le plumeau, je crois que je l’aime même si on me reproche d’aimer tout et n’importe quoi pourvu que ça ait le goût anisé ou que ce soit la femme d’un ami… (J’en connais, j’ai les noms. Certaine d’entre elle [sic] travaille chez Charlie et est belle comme Le Petit Larousse à la page des avions.)
3. Mon fils Malone, 10 ans, m’a foutu une branlée au Scrabble. Je n’en reviens pas de son intelligence hors normes et de sa culture très cultivée comme son père, mais j’ai 54 ans de plus que lui et j’ai lu tous les livres. (A l’exception du Coran, mais je m’y mets bientôt…)
4. Je suis tombé amoureux. Pas longtemps, dix minutes maxi, mais l’amour dans ce monde dégueulasse c’est comme une trop jolie fleur qui pousse sur un tas de fumier. Amoureux d’une trop belle jeune fille par trop impubère mais, protestant de nature et tueur de pédophiles invétérés, je n’ai pas osé l’aborder à ses 13 ou 20 ans que je lui attribuais… Elle est venue vers moi du bar où elle siégeait pour me taxer une rondelle de sauciflard sur la table que j’occupais dans ce resto de Pigalle où j’assistais avec une petite cinquantaine de personnes à une crypto-partie (vous expliquerai un jour ce que c’est si vous ne le savez déjà…).
« Bonjour ! Vous vous appelez comment ? » ai-je eu le courage de lui demander et le culot d’adresser la parole à une trop belle inconnue.
« Hector ! »
Et merde, c’était un garçon…
M’en fous, serai toujours amoureux de la beauté, féminine ou masculine, beauté qui s’exprime sous la plume et dans les yeux ici d’une Sigolène ou dans les dessins d’un regretté Honoré…
Voilà, je m’étais promis de vous tenir une chronique « politique » (mais vous en faites de très jolies sans moi, chers collègues de Charlie) ou une chronique comme naguère sur ma vie quotidienne qui est tout sauf banale. (Je les fais très bien aussi…)
Dans quinze jours, promis, je vous ponds quelques lignes sur la Corse, « le peuple Corse » et particulièrement un prisonnier corse otage de la raison d’État, j’ai nommé Yvan Colonna. Criminel ou innocent, peu m’importe, je préfère voir un criminel en liberté plutôt qu’un innocent en prison. D’ici là je serai allé lui rendre visite en sa prison d’Arles (bien loin de sa terre natale, méthode classique de l’État à l’encontre de toutes les lois françaises et européennes qui pénalisent ainsi les familles et nient la possibilité de visiter un proche, Corse, Basque ou Breton).
En espérant n’avoir pas dépassé les 2000 signes que le rédac chef m’octroie généreusement pour mes écrits, je vous dis, amis, ou plutôt fratellu caru, à très bientôt dans ces pages…
Renaud
P-S Pis je voudrais dire aussi adieu à Fournier, à Cavanna et à Gébé, à Reiser, à Pasquini, à Bernar, à Charb et à Oncle Bernard que j’ai oublié de créditer dans mon prochain album dans les dédicaces, bonjour à Val et à Pelloux, toujours vivants, toujours debout, j’essayerai demain d’écrire aussi dans La Voix du Nord ou mieux encore dans Corse-Matin, où je commencerai par rendre hommage à Mme Érignac et à ses enfants, Érignac dont on me dit qu’il était un bon préfet et un bon mec. Ce que je veux bien croire…
Source : Charlie Hebdo