CHRONIQUE DE CONCERT |
Gauvain Sers + Renaud
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Tentative risquée en ce 19 décembre 2016 : retourner voir Renaud… ou ce qu’il en reste. Chacun sait qu’il a traversé des années très difficiles, certaines même au fond du trou – je l’ai cru presque mort il y a bien 15 ans après l’avoir vu, pathétique, massacrer Mistral Gagnant à la télé. S’étant auto-déclaré « phénix » sur cette longue tournée, il m’a toutefois donné envie de retourner le voir, pour la première fois depuis … 20 ans environ, aux Eurockéennes, où il avait évidemment cartonné.
C’est qu’on peut difficilement snober un héros de son enfance ! Fut un temps où tout mon argent de poche y passait pour acheter ses cassettes – sa discographie ayant commencé à peu près à ma naissance. Des cassettes que j’ai tant écoutées que je connais encore à peu près par coeur tout son répertoire du siècle dernier ! Avec l’ami qui m’accompagne, sachant la pisse de rat vendue au Dôme pour de la bière, nous nous sommes évidemment livrés avant d’y entrer à la préparation physique la plus appropriée : quelques verres, bière et pastis, au bistro du coin, un rade de quartier à l’ancienne et où la taulière cuisine des petits plats qui sentent fort bon, au milieu de la fumée des clients… Un bistro qui lui plairait, à n’en pas douter !
En première partie, introduit d’une voix caverneuse par Renaud lui-même, un certain Gauvain Sers issu de la lointaine Creuse. Petit titi façon mini-Renaud (il en reprend certains tics, mais chante mieux que son héros à lui aussi n’a jamais chanté), il va crânement défendre une poignée de chansons accompagné d’un guitariste… de Corrèze. Si on ne peut pas dire qu’on en soit tombé par terre, les mélodies sont enlevées et les chansons du gamin sont sympathiques (celle sur Hénin-Beaumont est particulièrement réussie, plus que celle sur le fils parti au jihad, que j’ai trouvé un poil « scolaire » même si tenter de traiter le sujet est évidemment honorable). Le public fait un très bon accueil à ces chansons et nul doute que le petit Gauvain pourra se trouver une placette au soleil à l’issue d’une tournée entière…
L’enchaînement est toutefois rapide (on imagine bien qu’il ne faut pas laisser mariner le Renaud trop longtemps , de peur qu’il ne fasse le renard…). Le Dôme a évidemment fait le plein de fans qui portent pour beaucoup d’entre eux un accessoire d’un autre temps, que leur idole avait popularisé : un bandana rouge ! Et qui vont reconnaître sa silhouette projetée sur un grand drap blanc dans une grande clameur. On note que son groupe assure très bien l’affaire, et que les décors sophistiqués et fort beaux en images numériques, succèdent à des moments plus intimes, à l’éclairage basique et finalement plus chaleureux. Renaud se présente en cuir et bandana, avec un t-shirt à la gloire de Yvan Colonna (je n’en pense rien) et avec une petite bedaine… Je connais mal son dernier album que j’ai trouvé assez pitoyable, pour tout dire, aussi bien de la rime que de l’interprétation, mais fort heureusement il va dégainer, outre tous ses tubes attendus, quelques pépites inattendues qui vont vraiment nous mettre en joie !
En l’absence de photos (eh non, c’est pas parce qu’on est le seul à chroniquer vraiment ce concert qu’on a cédé à la tentation de shooter ce pauvre chanteur énervant dans tous les sens – mais on parierait bien qu’il n’est pas fan des photos en live qu’on fait de lui aujourd’hui…), tentons donc une chronique au fil de la généreuse set-list (presque 2 h 30 sur scène, il va s’avérer très vaillant, le pépère !)…
– Toujours vivant :
en effet mais pas encore en voix, c’est le temps que démarre le moteur diesel : on comprend une phrase sur deux et on se console avec le riff joyeux, en attendant que Pépère se mette dans le jus.
– Docteur Renaud, Mister Renard :
date déjà d’une époque pas follement inspirée, et un peu trollée par une illustration vidéo au-delà du kitsch…
– En cloque :
de son propre aveu, sa chanson préférée : à partir de là il est vraiment dedans et appliqué, sans prompteur (c’est assez rare chez les chanteurs de cet âge-là pour être signalé), et c’est assez beau – c’est qu’on est passé par là depuis !
– La pêche à la ligne :
inattendue et toujours aussi jolie, Renaud mime la canne à pêche, la phalange ruinée et l’eau qui était trop humide (si, si).
– Laisse béton :
il fait un peu semblant de jouer de la gratte qu’il a d’abord refusé (running gag), c’est plutôt du talk-over que du chant mais ça reste assez jovial.
– Les mots :
moui, bon, puisqu’il faut en passer par là… Eut-il écrit la même il y a 25 ans qu’elle en aurait été bien meilleure.
– Etudiant, poil aux dents :
ah oui, ça ça fait plaisir et ça rappelle sa grande époque. Il n’y a pas un mot à y changer, ça tape toujours partout où ça fait mal !
– J’ai embrassé un flic :
fallait-il vraiment en faire une chanson ? On se prend à regretter le « Dimanche de janvier » de Johnny, finalement plus inspiré à notre goût…
– Déserteur :
« j’ai embrassé un flic oui, mais pas encore un militaire ! » : sa splendide adaptation de Boris Vian, un peu anachronique, est toujours plaisante … dans le monde toujours aussi barbare où nous vivons aujourd’hui.
– La médaille :
Très belle surprise que ce titre, probablement sa dernière grande chanson en date, un splendide brûlot également antimilitariste qui, je l’avoue, m’a quelque peu foutu les poils. « De la patrie hélas, cette idée dégueulasse qu’à mon tour je conchie »… pas mieux !
– Héloïse :
rien à signaler, si c’est vraiment sa petite-fille qu’on projette, elle est bien jolie en tout cas.
– Téloche (?) :
oui, il n’aime toujours pas la téloche, moi non plus mais je préférais « Téléfoot », dans le genre !
– Hyper casher :
même problème que le jihad du précédent : sujet courageux mais traitement vraiment trop scolaire. A l’instar de Johnny dont Miossec a livré les plus belles chansons récentes, un peu d’aide d’un bon parolier n’aurait pas nui…
– Dans mon HLM :
comme pour tout le concert, la voix tente de monter comme elle peut, et passe la barre des aigus seulement une fois sur deux, mais ça fait bien plaisir à réentendre quand même !
– Ta batterie :
pas mal car chantée beaucoup plus distinctement que la voix sépulcrale du disque de Grand Corps Malade… Le petit Malone étant dans la salle, il ne pouvait pas faire moins…
– Morts les enfants :
dédicacée à Alep, celle qui reste un de ses plus grands textes est pleinement d’actualité. Coïncidence, un ambassadeur de la dictature russe s’est fait descendre dans la démocrature turque, le jour-même. Ce qui ne venge évidemment pas tous les malheureux minots restés au tapis, ou au fond de la mer, ces dernières années – le frisson me vient à nouveau par moments…
– « Caravane Maboule » :
le moment le plus gênant du concert, quand toute la foule interprète la partie d’Axelle Red de cette horrible scie.
– Manu :
à présent, il semble plutôt se la chanter à lui-même, elle n’en sera que plus touchante, c’est très joli par moments !
– Ballade irlandaise :
encore une chouette surprise qui date du temps de sa plus grande inspiration, on tape bien volontiers dans les mains au son de cet hymne à la paix.
– C’est mon dernier bal :
si le rock français n’existe pas plus que le vin anglais, selon John Lennon, force est de constater que ce twist est vraiment réjouissant et rappelle sa plus grande période blouson noir.
– Morgane de toi :
elle a un peu vieilli alors que la minote Lola l’a fait grand-père, la vache, comme il dit, mais il pouvait difficilement l’éviter !
– 500 connards sur la ligne de départ :
ah, l’heureuse surprise que d’entendre ce titre ! Si quelqu’un doutait encore qu’il ne soutient pas vraiment François Fillon (comme on lui a prêté en déformant ses propos), en voici la preuve, avec cette chanson qui insulte avec talent les abruti.e.s fans de sports automobile, dont le possible futur président (un ennemi notoire de l’écologie, soit dit en passant), se targue fièrement de faire partie…
– Germaine :
rien que d’écrire ce prénom, c’est toute la jolie valse hippie qui se déploie, et fait tanguer toutes les têtes – Tintin chauffe, chauffe à l’accordéon !
– Dès que le vent soufflera :
son plus pétaradant tube qui sera, pour nous, le climax d’ambiance du concert, c’est-à-dire le moment où l’on se surprend à sauter à pieds joints en tapant des mains comme tout le monde !
– Mistral gagnant :
il s’en est bien moqué auparavant… Si c’est la chanson préférée des français, quid de Brassens, Brel et Ferré ? Interprétée brinquebalante, son dernier couplet est toujours aussi bouleversant et c’est seulement depuis qu’on est papa qu’on l’a vraiment réalisé… Impossible d’entendre ça sans verser une petite larme !
– (1er Rappel) La vie est moche (?) :
aussi maladroite (car récente) que déchirante, car elle parle elle aussi du temps qui passe trop vite, de l’enfance si lointaine et de la vieillesse qui vous prend par surprise – touchante au finale.
– (2e rappel) Marchand de cailloux :
sympathique quoique chantée un peu à contre-temps.
– Medley : Pierrot / Hexagone / Laisse béton / Ma gonzesse / It is not because you are / Miss Maggie / La mère à Titi / Fatigué :
rien à redire à ce mini best-of qui permet d’entendre 2 à 3 couplets de plusieurs de ses autres chansons mythiques, qu’il n’a évidemment pas toutes le temps de faire… C’est bien gentil de sa part, ça donne vraiment le sentiment que c’est fromage et dessert, ce soir !
Au final, il n’a quand même pas osé « Société » ni « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue »… mais il n’a pas complètement vendu ses fesses non plus, il reste le plus ou moins gentil rebelle anar qui fut capable de textes tour à tour poétiques, magnifiques, pertinents ou poignants, textes qui pour la plupart n’ont pas pris beaucoup de rides. Il finit évidemment acclamé à juste titre, pour ce concert qu’il a plutôt bien mené et en tout cas avec une belle endurance, parsemé de vannes qu’il fait sans doute chaque soir, mais qui marchent très bien ! Il nous quitte sur une image de lui, qui se transforme en phénix flamboyant. A présent on peut la valider avec lui, car c’est un fait : si toutefois il arrive à assurer comme ça tous les soirs, Renaud est bien de retour, il chie toujours dans les bottes de tous ceux qui le méritent, et on lui souhaite bonne route dans la tournée qui continue… Il y a quelques années je pensais ne jamais le revoir, maintenant je me dis qu’au contraire, ce n’est peut-être même pas notre dernière rencontre. Chapeau l’artiste !
Critique écrite le 20 décembre 2016 par Philippe |
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Source : ConcertAndCo