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Par COLETTE GODARD. Publié le 10 juin 1970 à 00h00 – Mis à jour le 10 juin 1970 à 00h00

Le style « Café-Théâtre » se cherché au travers de tentatives plus ou moins suivies, dont la permenance tient avant tout aux conditions matérielles auxquelles sont soumis des comédiens fermement décidés à jouer, mais qui, dans la majorité des cas, sont payés uniquement sur le produit du « filet à phynance » passé parmi les spectateurs.

• LE CAFE DE LA GARE (18, rue d’Odessa, tous les soirs, à 22 h. 30, relâche dimanche et lundi), pratique cependant le système de la loterie : selon le numéro tiré à l’entrée, le spectateur paie entre 1 F et 18 F ; avec de la chance, il peut même recevoir 1 F.

Le Café de la Gare, animé par Romain Bouteille et son équipe (Patrick Dewaere, Henri Guybet, Coluche, Jean-Michel Haas. Renaud Sechan. Mioumiou, Sotha et Catherine Mitry) à laquelle viennent se joindre parfois quelques « occasionnels », présente actuellement un spectacle composé de sketches anciens et nouveaux : les « drames de l’incommunicabilité », calembours mis en scène, parodie de feuilleton radiophonique, et une variation sur le thème du « rapport dominant-dominé ». les comédiens étant alternativement l’un et l’autre : professeur de violon et son élève devenant un psychiatre écœuré et son patient masochiste, puis policier interrogeant un suspect. Le sketch se termine sur une pirouette qui ne fait pas oublier que l’humour de Romain Bouteille est parfois implacable et cruel. Victime agressive, il provoque l’inquiétude davantage que la pitié.

Dans la pièce Robin des quoi ? qui forme la première partie du spectacle, il interprète l’ignoble Jean sans Terre, aux prises avec les contestataires de Sherwood et un Robin Hood freluquet et maladroit. Le comique naît du décalage, d’une volonté forcenée d’anachronisme. Romain Bouteille est maître dans l’art des analogies délirantes, qu’il justifie avec une effroyable logique. L’équipe, notamment Patrick, Dewaere, Henri Guybet et Coluche, mène avec beaucoup de force ce spectacle burlesque.

• L’ABSIDIOLE (5, rue Frédéric-Sauton, relâche le lundi) poursuit dans un style fort différent ses activités depuis plusieurs années. Actuellement, à 21 h. 30, on peut y voir le Démon de la perversité, avec Paula Pavel. André Cazalas, Jean Ganeval et Jean-Luc Combaluzier qui a mis en scène ce collage de textes d’Edgar Poe avec une grande intelligence : par le seul effet de quelques bougies, l’espace minuscule prend les dimensions du mystère. J.-L. Combaluzier a choisi une interprétation romantique de l’adaptation de Baudelaire : les hommes, longues silhouettes noires, filiformes ; la femme – qui toujours, symbolise la mort – blanche de visage et de robe. Des masques oscillent au plafond, que les comédiens utilisent pour s’identifier à l’ange du bizarre, les voix s’enchaînent, le climat – humour morbide, fascination du mal – est créé : un climat authentiquement poétique.

• A LA RESSERRE AUX DIABLES (qui vient de s’ouvrir 94, rue Saint-Martin, tous les soirs, relâche le dimanche). – Un auteur célèbre, un classique français, Diderot, avec une adaptation de Jacques le fataliste. La salle est grande et les comédiens utilisent seulement la petite scène. Jean Meneaud est Jacques; Robert Darame, son maître. Grâce à des masques, J.-J. Bellot et Yvette Petit incarnent les autres personnages de ce roman qui a pu garder toute la force de son ironie.

• AU SELENITE (18, rue Dauphine, relâche le dimanche). -Jean Rougerie. qui présente toujours les Inédits, de Ionesco, donne sa chance à un nouvel auteur, Anna Novae. A 19 h. 30, sont données deux pièces : le Complexe de la soupe et Un nu déconcertant (repris à 24 heures et complété par le numéro d’imitation de Patrick Burgel).

Anna Novae pose des situations absurdes : une bonne espagnole, membre correspondant de l’Académie des sciences, est complexée depuis sa plus tendre enfance par la soupe. Elle la fait exploser et, par la même occasion, fait exploser la cuisine, ses patrons, l’immeuble tout entier.

Une jeune fille nue vient s’asseoir tout naturellement sur un banc à côté d’un garçon. Elle se nourrit de papier et parle par citations avec une naïveté aussi déconcertante que son « nu ».

Jean Rougerie, Nell Raymond et Virginie Pradal sont les interprètes de la première pièce. Brigitte Defrance est la jeune fille nue, Maxence Mailfort son compagnon. L’ensemble du spectacle apparaît comme une survivance anachronique du théâtre des années 50.

• LE TRIPOT (5, rue Quatre-fages. relâche le dimanche), dirigé par Stephan Meldegg, s’attache également à faire connaître des auteurs : actuellement Léonard Melfi, avec Bain d’oiseau (qui a été créé par la Marna dans une mise en scène de Tom O’Horgan).

Léonard Melfi se tient dans la ligne de Tennessee Williams. Bain d’oiseau, c’est la rencontre d’une jeune psychopathe et d’un poète impuissant. Mais ils sont trop aliénés pour pouvoir s’aider, il est trop tard. Leur amitié désespérée fait penser à celle qui existe entre Macadam Cowboy (dans le film du même nom) et le petit Italien voleur. Le théâtre américain, comme le cinéma, est plein de ces personnages solitaires, écrasés, qui, par leur authenticité, permettent aux comédiens de dépasser l’aspect mélodramatique des situations.

Léonard Melfi a donné les éléments d’un psychodrame. Stephan Meldegg s’avachit avec beaucoup de vérité dans le gin et le narcissime grinçant. Myriam Mézières, fébrile, proche de l’hystérie sans s’y laisser aller, apporte à son personnage une dimension de folie. Tous deux forcent le public à une sorte de complicité gênante : la gêne éprouvée devant des êtres pour qui on ne peut plus rien.

  

Source : Le Monde