N° 140, 1er mars 1995
Envoyé spécial chez moi
Patrick Font va peut-être faire la Mutualité à partir du 1er Mai
À l’heure où, ami lecteur, tu liras ces lignes, je serai à Mostar, Vitez, Banjalouka, ou Sarajevo. Enfin, quelque part en Bosnie centrale mais je ne sais pas trop où, je vais bouger pas mal. « Mais qu’est-ce qu’il va foutre là-bas ? » vous demandez-vous, comme m’ont demandé, depuis quelques semaines, les rares personnes dans la confidence. Ben quoi ? Je vais chanter, tiens ! Que voulez-vous que j’aille y faire ? Un tennis ?
« Oui, mais bon, tu vas chanter où, comment, pour qui ? » Bon. On se calme, je vous explique : c’est un pote, Yacov, ça fait huit fois qu’il va là-bas, en camionnette, pour livrer aux populations civiles des bouquins, des cassettes et des arbres fruitiers. Les bouquins (en anglais ou en yougo), c’est des écrits pacifistes ou (et) antimilitaristes de Giono, Lanza del Vasto, Saint-Ex ou Martin Luther King, les cassettes c’est des chansons de Cohen, Dylan, Lennon, U2, Brassens ou moi, les arbres fruitiers c’est des orangers, comme dans la chanson. Pas mal d’organisations, gouvernementales ou non, livrent en Bosnie des médicaments, de la farine ou des sacs de riz ; Yacov, lui, réapprend aux gens à aimer les émotions que la paix procure, des émotions autres que la peur ou la haine du voisin, en essayant de faire renaître chez eux l’amour des livres et de la musique, nourritures aussi indispensables que le lait en poudre, sparadrap du cœur aussi utile que le mercurochrome. Il a su me convaincre que la paix ne reviendrait vraiment là-bas que lorsque la musique y aura de nouveau droit de cité. Qu’aller chanter pour les civils de tous les camps dans de mêmes concerts mixtes, en arrivant par la route, en traversant les différentes lignes de front, les différents check points, avec comme seul mot d’ordre « Crosses en l’air ! » sonnerait, pour tous, à mi-parcours du cessez-le-feu de quatre mois instauré en janvier, comme le véritable commencement de la fin pour cette guerre dégueulasse qui n’a déjà que trop duré.
Un peu idéaliste, le Yacov, mais bon, moi aussi, non ? Le problème, c’est que, pour tourner, j’avais pas de musiciens. Les « miens », lassés d’attendre ma décision (prise depuis) de remonter sur scène, se sont dispersés sur d’autres affaires (comme ils disent…), qui avec Cabrel, qui à Canal + avec l’orchestre de « Nulle part ailleurs », d’autres enfin ayant repris leurs études afin d’apprendre un vrai métier. « Ben, si tu veux, moi j’t’accompagne » m’a dit mon rédac’ chef préféré, Philippe Val. « Je connais pas mal de tes chansons, on prend mes musicos à moi, on répète vite fait, et hop ! »
Alors on a fait comme ça, avec Philippe, Emmanuel son bassiste et Virginie sa pianiste, mon batteur Amaury nous a rejoints, j’ai trouvé une sono pour là-bas, un ingénieur du son (les lumières, ça risque d’être à la bougie), on a réquisitionné le p’tit Luz pour vous rapporter de chouettes dessins, et pis on est partis.
Pour remercier Philippe Val de m’accompagner dans cette « aventure », je lui ai promis que s’il nous arrivait quoi que ce soit là-bas je léguais mon public à Patrick Font.
M’enfin… J’vous dis quand même à la semaine prochaine. D’ici là, faites gaffe à vous…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud