Comment Lolita Séchan s’est fait un nom en BD

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Jérôme Lachasse
L’autrice de BD Lolita Séchan – Capture d’écran YouTube

L’œuvre de la dessinatrice, fille du chanteur Renaud, a été célébrée au festival d’Angoulême en mars dernier. Une belle reconnaissance pour cette autodidacte encore jeune dans le métier.

Elle s’est fait un nom en imaginant des histoires où ses personnages apprennent à vivre sans leur famille. Autrice de BD autodidacte et fille d’un monument de la chanson française, Lolita Séchan a reçu en mars dernier les honneurs du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

Elle y exposait pour la première fois ses œuvres, mises en regard avec celles de l’illustratrice Camille Jourdy, avec qui elle a publié le recueil jeunesse Cachée ou pas, j’arrive!. « C’est ma première rétrospective, parce qu’il n’y avait pas vraiment de raison avant d’en faire une », souligne-t-elle. « Je suis encore une jeune dessinatrice. »

La dessinatrice de 41 ans a pour l’instant signé une BD autobiographique, Les Brumes de Sapa (Actes Sud), et une poignée d’albums jeunesse sur une jeune taupe baptisée Bartok Biloba. Elle prépare pour 2023 un deuxième roman graphique, Le Grand chagrin de Daria Biloba, dont elle a dévoilé quelques planches à Angoulême.

Raconter tout le temps la même histoire

Son entrée récente dans le 9e Art ne l’empêche pas d’avoir déjà un univers très personnel. Ses histoires traitent le plus souvent d’extraction sociale, et de famille, et mettent en scène des personnages perdus entre deux mondes, qui préfèrent fuir leur quotidien pour mieux se réinventer. « J’ai l’impression de raconter tout le temps la même histoire », confesse-t-elle.

L’exposition de Lolita Séchan et Camille Jourdy à Agoulême © YOHAN BONNET- AFP

Cette histoire, c’est aussi celle de sa mère, Dominique Quilichini. Elle l’a racontée dans une frise exposée à Saint-Gratien (Val-d’Oise) en 2019. « Je montre comment elle quitte sa famille pour construire sa vie à Paris. » Elle espère faire de même avec son père: « Ça fait des années que j’ai ce projet de raconter comment il quitte son HLM pour se construire. Je veux m’arrêter avant qu’il ne devienne adulte. »

Grande amatrice de récits aux héros animaliers comme Ernest et Célestine ou Chlorophylle, elle aime dessiner les personnages anthropomorphes. « Ce qui m’intéresse le plus à dessiner, c’est le pelage, la fourrure. C’est un costume. Ça nous permet de raconter tout ce qu’on veut en restant caché. »

« Une bonne petite geek fan de mangas »

C’est son « papa collectionneur de BD franco-belge » qui lui a fait découvrir le 9e Art. « Un jour, il a sorti de sa bibliothèque La Quête de l’oiseau du temps de Loisel. Ça a été une révélation. » Puis le manga a pris le dessus. « Vers 11 ans, j’ai commencé à me dire que j’avais fait le tour de Tintin. Mon père ne comprenait pas spécialement. »

Dans son panthéon personnel figurent Katsuhiro Otomo (Akira), Shigeru Mizuki (Kitaro), Rumiko Takahashi (Ranma ½), Akira Toriyama (Docteur Slump) et Taiyou Matsumoto (Amer Béton). La librairie Album, à Paris, était son QG. « J’allais m’y réfugier tous les week-ends en bonne petite geek fan de mangas. » On retrouve dans son dessin l’expressivité des BD japonaises.

Un livre de Lolita Séchan avec Camille Jourdy © Actes Sud

Autre influence du manga sur son travail: bien qu’elle aime « les choses un peu rugueuses, avec moins de maîtrise », elle a développé au fil des années un style très minutieux qui se caractérise par une multitude de petits traits. Dans ses histoires, toujours en noir et blanc, la nature est ainsi toujours luxuriante, dessinée de manière très détaillée.

« C’est en détaillant au crayon que j’arrive à savoir ce que je veux raconter », analyse-t-elle. « C’est une forme de recherche de perfection. Mon plaisir est là, dans la recherche de l’expression juste, avec juste un crayon. L’encrage m’intéresse déjà moins. Et tant que je ne serai pas satisfaite de mon trait, je ne passerai pas à la couleur! »

« J’ai galéré pour apprendre à dessiner »

Dans Cachée ou pas, j’arrive!, le « côté obsessionnel » de Lolita Séchan se mélange à merveille aux images plus lumineuses, plus colorées de Camille Jourdy. Cette expérience lui a permis de gagner en fluidité: « J’ai appris le mouvement en regardant Camille dessiner. On s’est rendu compte que travailler ensemble a modifié notre style. »

Cette collaboration est une première dans l’histoire du 9e Art. Si les duos de dessinateurs sont légions (Ruppert et Mulot, Dupuy et Berberian), rares sont les dessinatrices à avoir conçu des albums à quatre mains. Une idée de leur éditeur commun chez Actes Sud, Thomas Gabison.

Lolita Séchan rêvait à l’origine de faire du cinéma. C’est au grand écran qu’elle destinait Les Brumes de Sapa, sa première BD, où elle raconte l’amitié entre une ado parisienne et une petite Vietnamienne. « Je savais que je ne trouverais jamais les financements et qu’au cinéma cette histoire aurait pu être caricaturale. »

« Les Brumes de Sapa » de Lolita Séchan © Actes Sud

La BD lui a semblé être le lieu propice pour retracer cette histoire très personnelle avec la subtilité nécessaire. « J’aimais dessiner, mais je n’avais jamais appris. J’ai mis cinq ans. Je n’avais pas de notion d’anatomie, d’architecture. J’ai galéré pour apprendre à dessiner à peu près ce que je voulais raconter », se souvient-elle.

L’album est sorti en octobre 2016, acclamé par la presse. Six ans plus tard, elle « a du mal à en revoir les planches ». « Je vois les fragilités du dessin, forcément. » Mais l’histoire reste très chère à son cœur. « Ce récit m’a amenée à faire le métier que je fais aujourd’hui. Même si c’est maladroit, ça reste cohérent avec ce que je veux dire. »

Symbole de la résistance

Épuisée après avoir mené à bien ce « projet très lourd émotionnellement », Lolita Séchan avait « besoin de changer d’air ». C’est ainsi qu’est né le projet de raconter l’histoire d’une famille de taupes, les Biloba, à travers une série de livres destinés à des publics différents (récit jeunesse, roman, BD).

Avec ses histoires, Lolita Séchan cherche à traduire en fiction les tracas du quotidien. « C’est comme une analyse, quoi. On transforme la matière un peu boueuse en quelque chose qui aide à mieux vivre. Dessiner, c’est une manière de digérer tout ça. Je ne sais pas ce que je ferais si je ne racontais pas ces choses-là. »

Son personnage ne s’appelle pas Bartok Biloba par hasard. Son nom est inspiré de celui d’un arbre aux qualités exceptionnelles. Apparu il y a 270 millions d’années, le Ginkgo biloba est un arbre très présent au Japon, connu pour sa résistance exceptionnelle. « Il a survécu à la bombe d’Hiroshima. C’est le symbole de la résistance face aux drames de la vie. »

Ce sera le sujet du Grand chagrin de Daria Biloba, qui racontera deux histoires autour du deuil. Lolita Séchan souhaite l’adapter au cinéma, sous la forme d’un film d’animation. Elle rêve de nouvelles collaborations artistiques, sur le modèle de son duo avec Camille Jourdy.

  

Source : BFMTV