| par ALEXIS SENY
On a tous dans la tête une chanson de Renaud. Une mélancolie, une révolte, un humour, une des choses qui font le sucre et/ou le sel de la vie. Personnage fascinant dans sa désinvolture, sa trajectoire et ses retours toujours plus inattendus, après les naufrages de la vie. À l’heure où des stars de 30 ans sortent leur biographie, sans beaucoup d’intérêt, une biographie de Renaud, ça vaut le coup d’oeil et des oreilles. Parce que, directement, plein de chansons nous arrivent en tête. Avec le spécialiste de la chanson française Bertrand Dicale, le dessinateur bourlingueur Alain « Gaston » Rémy a mis en scène les 70 années que Renaud a passées sur Terre, entre paradis en enfer, sous le signe de l’Hexagone. Interview avec ce dessinateur qui, entre mille autres projets, aura fait Tintin et Ta-Ta-tin.
Bonjour Alain « Gaston », au fond, Renaud, qui est-il pour vous?
Je l’ai découvert comme beaucoup de monde, quand j’étais petit. Je vivais au Maroc. Un jour, on nous a apporté le disque avec Dans mon HLM, Marche à l’ombre, etc. Nous étions tout un petit groupe qui le découvrions au même moment. C’était trop génial. Renaud nous racontait la France dont nous avions une image inexacte au Maroc. Tout d’un coup, il y avait de la baston, des mobylettes, etc.
Si bien que c’est avec cette vision de la France de Renaud que je suis arrivé dans ce pays. Je voulais retrouver cette vision-là.
Il n’avait pas menti?
Forcément, le pays avait changé mais c’était toujours la France des baloches. L’image correspondait effectivement. Au moment où j’arrivais en France, Renaud passait déjà à un âge plus adulte. Un peu comme s’il avait toujours eu de l’avance. Quand il chantait quelque chose, on prenait le temps de s’y identifier, et Renaud passait à l’étape suivante.
Il n’y a que l’étape de la dépression que j’ai sautée. Je me suis dit: « oh non moi je vais être ni alcoolique ni dépressif », ça sera plus facile.
Vous êtes un peu collectionneur, vous?
Pas du tout, je me suis contenté d’acheter une intégrale de Renaud mais je n’ai pas du tout de t-shirts, de badges, d’objets divers. Ce n’est pas pour moi. J’ai fait cet album, c’est un peu ma manière d’apporter ma pierre à l’édifice. J’en suis très fier. Mais je ne suis pas fétichiste. Cela dit, je comprends les collectionneurs que je rencontre et les fans.
Moi, je suis un fan de la base, je connais les premières chansons, j’ai grandi avec et ai acheté tous les disques. J’ai vu Renaud lors de chacune de ses tournées, une ou deux fois.
Cette bande dessinée, ce sera une nouvelle pièce en tout cas pour les collectionneurs !
Ben ouais, finalement!
La première chose qu’on voit d’un livre, en général, c’est sa couverture.
En fait, j’avais déjà réalisé des albums biographiques sur mes parents, Sur la vie de ma mère et Sur la tête de mon père. Sur chacun, j’avais dessiné les personnages de dos. J’ai donc continué la série. C’était d’autant plus facile que Renaud est tout à fait reconnaissable de cette manière. Puis, c’est une manière de dire : « on va vous montrer ce qu’il se passe derrière ». Cette couverture me donnait l’occasion de dessiner une foule et de pouvoir y mettre un tas de personnages iconiques dans la vie de Renaud. De Brassens à Coluche. Ça devient presque un jeu pour les lecteurs de deviner qui est qui. Enfin, il y a ce titre que nous avons choisi, Né sous le signe de l’Hexagone, ce public devant Renaud, il l’est aussi, c’est la France.
Je me suis demandé quels étaient les motifs imprimés sur les 2e et 3e de couverture? Un tapis oriental?
Ah, ben non, c’est le bandana de Renaud déroulé.
D’accord! C’est vrai que vu comme ça! Au fond, quelle est votre chanson préférée de Renaud?
Moi, j’aime bien Hexagone. Pour moi, c’est la Marseillaise de Renaud. C’est cet hymne-là qu’on devrait entendre dans les stades, pour les matches de rugby ou de football. Puis, il y a Manu que j’aime beaucoup aussi, celle qui m’émeut le plus.
Outre le fil de l’histoire de Renaud qui se déroule sous nos yeux, scénarisé par Bertrand Dicale, vous racontez aussi un peu votre vie et votre rapport à Renaud dans des intermèdes appelés « Fan Zone ».
Ces sortes de parenthèses amènent un autre point de vue. Ce sont des chapitres plus personnels, que Renaud, son entourage et les fans me disent beaucoup apprécier. Le reste, c’est de l’historique, a priori des choses que ceux qui suivent Renaud ont déjà lu dans les biographies qui lui ont été consacrées. Ils connaissent plein de choses. La Fan Zone, c’est le point de vue de l’autre côté, de la masse de fans et d’auditeurs. Certains s’y retrouvent et, pour Renaud et son entourage, c’est un point de vue subjectif qui apprend plus de choses que celles qu’ils connaissent, qui fait un pas de côté. Pour moi, c’était l’occasion de dire merci. Voilà une façon de mettre un peu d’humour, un peu d’amour dans la BD. Pour le rendre un peu plus chaleureuse, je crois.
On le sait, Renaud est fan de BD depuis toujours et ça tombe bien puisque les dessinateurs BD le lui rendent bien. Comment expliquez-vous ce lien très fort?
C’est vrai, à la base, Renaud est fan de bédé. Il a une grande culture BD, sa fille est dessinatrice, il a collectionné des planches et originaux. Il y en a qui collectionnent des objets relatifs à Renaud, Renaud, lui, collectionne des BD. Alors, quand vous savez qu’un gars collectionne ce que vous êtes susceptible de faire, dans votre corps de métier ça touche! Les dessinateurs y sont sensibles. C’est vrai que beaucoup d’entre eux ont écouté Renaud en grandissant, vont le voir, mais j’ai envie de dire que Renaud a un lien tellement fort et affectif envers le public qu’on y trouve toutes les catégories de la société, tous les métiers. Forcément, les dessinateurs n’y échappent pas.
On remarque aussi que l’univers de Renaud est très proche de l’univers de Franck Margerin. Il y a un pendant de Renaud en BD. Sans oublier que la musique et la bande dessinée ont été souvent associées, ne fût-ce qu’avec Métal Hurlant.
Et vous, vous êtes l’élu, le premier à signer la biographie de Renaud en BD (après notamment des albums scénarisés par Renaud lui-même et des collectifs revisitant ses chansons). J’imagine que ça fait des envieux.
Oui, je ne les ai pas entendus directement, mais on m’a rapporté que certains n’étaient pas contents et estimaient qu’on aurait pu les mettre dans le coup. Parce qu’ils connaissent Renaud depuis des années, qu’ils l’aiment, etc. C’est vrai qu’ils auraient pu le faire aussi. D’ailleurs, au début, je ne me sentais pas très légitime. C’est tellement énorme comme projet que je pensais que ce n’était pas pour moi. Ma chance a été de rencontrer Bertrand Dicale, journaliste spécialisé dans la chanson française. Lui est mille fois légitime. Cela dit, c’est quand même moi qui ai proposé le projet, au début.
Je suis très content, finalement, d’être l’élu, je suis encore étonné du fait que personne n’avait voulu se lancer dans cette exercice avant moi. Maintenant, ils peuvent s’accrocher (rires), c’est fait, c’est apprécié et en plus validé par Renaud lui-même. L’album a rejoint le merchandising des concerts. Maintenant, plus personne ne nous passera devant. « À jamais les premiers » comme on dit à Marseille (rires).
Puisqu’on parle de l’univers BD, c’est vrai que beaucoup de pochettes d’albums de Renaud ont aussi été réalisées par des auteurs de BD, mais aussi des photographes. Quelle est votre pochette préférée?
Dessinée, je pense que c’est celle de l’album Boucan d’enfer, par Titouan Lamazou.
Dans les photos, j’hésite mais je dirais Marche à l’ombre. Elle est iconique, avec le foulard rouge, le blouson noir. Si on doit sortir un disque qui représente Renaud, ce serait celui-là. Après, j’aime beaucoup la pochette de Morgane de toi où Renaud est avec sa fille dans les bras.
Sur ces pochettes, souvent, de véritables instantanés de la vie de Renaud. Sans triche, sans grand montage. Comme Place ma mob.
Oui, Renaud a trouvé ce mur sur lequel le propriétaire d’une mobylette avait écrit et signalé où était la place de celle-ci. Renaud n’avait plus qu’à mettre sa mobylette en dessous et on prenait la photo.
Par contre, il aurait écrit sur les murs aussi de la Sorbonne occupée?
On ne sait pas trop s’il y a écrit mais, en tout cas, ça l’a inspiré, il était bien à la Sorbonne lors de son occupation en mai 68. C’est possible qu’il ait écrit sur les murs mais, surtout, cette ambiance l’a inspiré.
Au fond, vous, au moment de vous « attaquer » à Renaud, physiquement et graphiquement, vous faites face à un personnage qui évolue constamment au fil des excès. Comment l’avez-vous fait (re)naître de votre crayon?
Ah, j’ai galéré! J’ai l’impression que je ne l’ai jamais dessiné deux fois de la même manière. Des fois, je me disais que c’était lui et d’autres fois pas. J’ai galéré, surtout, effectivement, qu’il vieillit. Finalement, il est plus facile à dessiner vieillissant que jeune. Quand il est jeune, c’est le beau mec. Alors, il a les cheveux blonds et le bandana qui le rendent reconnaissable tout de suite. Après, il a pris des traits plus marqués, plus faciles à dessiner. Il a, par exemple, des cernes très bas sous les yeux, qui viennent en dessous des pommettes. Puis, l’espace entre le nez et la bouche s’est rallongé avec le temps. Quand on voit des photos où il n’est pas rasé, c’est frappant. Il a une bouche un petit peu pincée, une espèce de moue de petit garçon. Il faut choper ces détails, là, quoi!
Mais, ce n’était pas la première fois que vous dessiniez Renaud. Il y avait déjà eu un précédent quand il passait en concert à Orange.
C’est ça, oui. Quand j’étais dessinateur de presse, il m’arrivait de croquer les artistes qui passaient dans la région. J’avais dessiné Renaud après l’avoir vu en concert. Et il se trouve qu’il a parlé du dessin lors d’un concert. Ce qu’on m’a répété. Je suis donc allé au théâtre antique et lui ai offert l’original. Ma première rencontre. Bon, ce fut bref. Avec Renaud, ce ne sont jamais de grandes conversations. Encore plus, maintenant.
Y’a-t-il des choses qu’on ne peut pas raconter? Renaud a dit « pas de censure », mais dans les faits?
Il y a des sujets qui sont un peu délicats. Surtout ceux qui concernent ses parents et ses grands-parents, leur rôle et leur position pendant la guerre. On leur a reproché de pas être assez résistants peut-être à certains moments. Bref, ce sont des sujets complexes auxquels ils n’aiment pas trop qu’on touche.
Il fallait surtout qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que notre propos soit bien compréhensible. Notamment sur les grands-parents qui ont peut-être été passifs mais, surtout, pas actifs dans le mauvais sens.
Concernant l’alcool et compagnie, je me souviens de cette remarque de Lolita. J’avais dessiné un passage dans lequel Renaud fumait un pétard avec Patrick Dewaere. Lolita m’a dit que son père l’avait peut-être chanté dans certaines chansons mais il n’avait jamais fumé de joint. C’est moins de la censure que le respect de la vérité historique. Pour le reste, ils nous ont foutu la paix, nous faisions ce que nous voulions.
Vous parliez de l’alcool. On a vite fait de catégoriser Renaud comme un alcoolo, ces dernières années, mais il y a une vraie maladie derrière.
La paranoïa. Une paranoïa orientée, m’expliquait Lolita. Renaud n’a pas peur de tout, il n’a même peur que d’une seule chose: être assassiné par le KGB. Cela date du concert en Russie, largement évoqué dans la bande dessinée. Il en est revenu avec la certitude qu’on voulait sa peau, et ça l’a suivi toute sa vie.
Là encore, on peut faire le lien avec son grand-père, Oscar, militant du parti communiste français jusqu’au jour où il est allé en Russie et a été choqué, au point de changer de bord. Il est arrivé à Renaud la même chose qu’à son grand-père. L’alcool, c’est juste un remède à la parano, un anxiolytique. Renaud en a abusé, est devenu alcoolique et cela a entraîné la dépression, la mauvaise pente. Mais, à la base, c’est la paranoïa, le problème.
Alors, vous avez une manière originale de le mettre en scène et en couleur. On pourrait imaginer des idées noires, des couleurs sombres. C’est plutôt dans des tons rosés que vous matérialisez le malaise, cet enfoncement de Renaud.
C’est un choix de couleur en concertation avec la coloriste, Marie Favantines. Nous sommes partis sur le rouge sang, celui qui fait mal. Qui a une autre signification que le noir. Nous avons hésité et fait des tests en vert, en bleu. C’était parfois glauque. Le rouge s’est imposé, celui du foulard aussi quelque part, le symbole de Renaud, de sa réussite, mais aussi ce qui lui fait mal, l’enserre, l’étrangle, est lourd à porter. Peut-être a-t-il eu trop de succès trop vite?
À un moment donné, nous avions même eu l’idée de décliner le foulard, de le personnifier, pour le rendre un peu maudit. Mais nous sommes restés dans la simplicité, puis nous ne voulions pas trop le salir, le diaboliser, non plus, ce foulard. C’est tellement un symbole pour tout le monde.
Et vous, vous avez le vôtre?
Oui, mais je ne le mets pas. Comme je ne collectionne rien, je ne veux pas non plus me déguiser, il y a assez de personnes qui le font. Mais j’ai le mien, accroché au rétroviseur de ma voiture. Quand j’étais plus jeune, je ne dis pas, j’avais mon perfecto. Mais, c’est fini maintenant.
Vous me parliez de Lolita. Au même moment où sort votre album, arrive la réédition augmentée de son roman graphique, Les Brumes de Sapa. On peut faire des parallèles entre les deux livres. Comme les épisodes paranoïaques.
Nous sommes dans le même registre, la biographie. Avec Bertrand Dicale, nous nous sommes attaqués à la bio de l’homme, du père. Lolita fait sa bio à elle, d’une certaine manière. D’ailleurs, son livre et la relation qui se développe entre Lolita et Lo Thi Gôm (ndlr. petite fille de la minorité Hmong opprimée au Vietnam) me rappelle quelque part la relation entre Tintin et Tchang. Il y a donc des épisodes qui sont présents dans les deux livres, ou se répondent, elle revient sur la maladie de son père. En plus, ça sort chez le même éditeur, Delcourt. Il y a des points communs.
Puis, il y a Pierrot qui est devenu votre ami. Avec Bloodi, il accompagne Renaud, véritable ange gardien. Et vous dites qu’il vous donnait des micro-infos en direct.
C’est Pierrot qui m’a fait rentrer dans la bulle de Renaud, qui a ouvert quelques portes, qui m’a jaugé un peu au début. C’est lui qui a un peu tout organisé pour la première rencontre avec Renaud, puis la remise du bouquin une fois paru. Puis, il y a David Séchan, le jumeau de Renaud, qui m’a ouvert dernièrement les portes de la salle Pleyel.
Vous êtes rentré dans la bulle de Renaud?
Un peu, pendant la réalisation du bouquin, et après. Je suis rentré un peu dans le premier cercle, mais je reste au bord. Il n’est pas question que j’aille plus loin, je veux préserver l’image de mon Renaud à moi. C’est dangereux quand on fait un bouquin comme ça, on s’expose et on a peur d’être déçu par la personne. C’est plus facile de faire quelque chose de neutre. Ici, ça ne l’était pas, forcément. J’ai eu la chance que le projet soit bien accueilli.
Alors, oui, Pierrot est devenu un copain, maintenant. Nous avons retrouvé l’ancien bateau (ndlr. le Makhnovtchina) de Renaud à Sète. Je l’ai fait visiter à Pierrot pour le remercier.
Que devient-il ce bateau?
Il est à Sète, sur cales dans un parc à bateau. Il est passé par moult mains, dans le Nord notamment, avant d’être finalement racheté et rapatrié par une personne qui habite dedans et voudrait le réparer. Il manque de sous et de temps, mais c’est le projet.
Elle fut finalement courte cette expérience maritime de Renaud.
Pas tant que ça. Nous avons creusé et appris qu’il avait quand même pas mal navigué avec, pendant trois ans. Grâce au nouveau propriétaire, qui voulait avoir l’historique du bateau, nous nous sommes aperçu que Renaud était allé en Italie, en Turquie, en Espagne. Son dernier voyage fut certes interrompu plus rapidement que prévu, comme nous le disons dans la BD, mais il l’a bien utilisé. Il avait un skipper, ce n’est pas lui qui conduisait mais quand même. Il n’a jamais coulé. Par contre, il a été volé par des trafiquants de drogue à un moment. Il lui est arrivé de drôles de trucs.
Pour revenir à Pierrot et Bloodi, ces deux personnes qui entourent Renaud. Ce sont ses garde-corps mais aussi hommes à tout-faire, ils n’avaient en rien prévu d’être un jour les anges gardiens d’une des plus grandes stars de la chanson française.
Autrefois, on les aurait appelés ses secrétaires particuliers. Ce sont des parcours de vie tout à fait étonnants. Pierrot, lui, il est facteur, à mi-temps. Une semaine sur deux, ils sont aux côtés de Renaud. Bloodi et Pierrot sont un peu ses accompagnateurs, ses gardes du corps, un peu cuisiniers, un peu chauffeurs. Ils se relaient. Aujourd’hui, Renaud a une copine, ça va peut-être l’amener à évoluer et à revoir cette organisation.
En fait, c’est quelqu’un qui ne peut pas rester seul. Il vit comme un ours, mais c’est un faux ours, il faut tout le temps qu’il y ait quelqu’un près de lui pour l’empêcher de basculer, de picoler. Parce que quand il n’est pas en concert ou en train d’enregistrer, ou qu’il n’est pas amoureux, il part en couille. Ces deux personnes le raccrochent. À la base, ce sont des fans. Ils ont rencontré Renaud. Il y avait un autre assistant, par le passé. Quand il est parti, Renaud a proposé à Bloodi puis à Pierrot de lui tenir compagnie. Ils sont salariés pour ça, quoi, c’est un boulot. Ils veillent sur l’agenda, les rendez-vous à ne pas rater. En approchant le premier cercle; j’ai constaté à quel point l’entourage comptait.
Renaud a-t-il lu votre livre?
Ouais! Il m’a dit: « j’adore! » Pierrot me l’avait annoncé puis il a organisé un rendez-vous pour la sortie du bouquin, histoire que je puisse le remette un peu officiellement et dédicacé. Je suis allé au rendez-vous à Paris, nous nous sommes retrouvés dans un bar et quand j’ai amené le bouquin: Renaud m’a dit qu’il l’avait déjà lu depuis plusieurs mois! J’ai dit: « Ah bon!? Et qu’est-ce que tu en penses? » C’est là qu’il m’a dit: « j’adore ». Je me dis aussi que le bouquin ne serait pas dans le merchandising des concerts si ce n’était pas le cas. Ce fut quand même très rassurant.
Renaud, je l’ai toujours rencontré à l’extérieur, je ne suis jamais allé chez lui.
Vous retracez sa vie avec une certaine humilité. Renaud parle de sa voix ruinée et vous de votre dessin moche. Il y a une connivence.
C’est le complexe l’imposteur. Un moche dessinateur pour un chanteur qui chante faux. C’est cohérent.
Oh, vous avez été rassuré quand même?
Oui, ça va, ça va, de toute façon, c’est fait. Après moi, comme d’autres, quand on regarde le boulot fini, on se dit toujours que là et là on aurait pu faire mieux. Que là, c’est bâclé. Je n’ai pas une autre opinion de mon dessin mais, là, je me dis « bon, allez, ça va! »
Sur la pochette de son premier disque, Renaud n’a écrit que son prénom, pas son nom Séchan. De peur que s’il était associé à un chanteur populaire, il fasse honte à sa famille, ses parents.
Son papa étant un écrivain reconnu, il se disait qu’en poussant la chansonnette il allait salir le nom de son père en gardant son nom. Il y avait un truc comme ça, au début. Mais ça a été décidé à la va-vite parce que quand il a fait son premier disque, il pensait qu’il n’en ferait qu’un, que ce serait une anecdote. Il ne se destinait pas à être chanteur. Il a choisi Renaud. Comme moi, j’ai choisi Gaston, sans réfléchir beaucoup finalement.
Et pourquoi Gaston?
Parce que c’est le surnom que j’avais quand j’étais à la fac. Les copains m’appelaient comme ça parce que je gaffais. Si j’avais su que j’allais faire carrière avec ça, je ne sais pas si j’aurais gardé Gaston. C’est très connoté dans la BD!
Encore un point commun.
Oui, nous avons tous les deux juste un prénom. Sauf que, moi, j’ai rajouté à Gaston mon vrai nom Alain Rémy. Maintenant, c’est trop long. Quand je serai vieux, je ne saurai plus comment je m’appelle.
Renaud a aussi été libraire et comédien. Fréquentant, outre la bande qu’on connaît, un certain Depardieu au Café de la gare.
En fait, Renaud est arrivé au Café de la gare en remplaçant un gars qui s’absentait. Quand le gars est revenu, il a repris sa place et Renaud a commencé à chanter dans la rue, pour ensuite s’installer devant le Café de la gare. À la même époque, Gérard Depardieu a fait un passage par le Café de la Gare, Renaud et lui se sont rencontrés jeunes mais il n’y a pas eu d’interaction. Au début, Renaud disait même: « Mais regarde-moi ce plouc, il ne sait même pas parler, ça ne marchera jamais pour lui! »
Ça marche effectivement moins maintenant. Certaines chansons de Renaud sont appelées à être immortelles, comme En cloque ou Mistral Gagnant. Renaud n’était pas sûr que ce soit une bonne idée de les sortir.
Parce que trop personnelles. Il pensait que les chansons très personnelles, ça allait faire chier son public, comme il était connu pour des chansons de loubards. Il pensait qu’ils ne se retrouveraient jamais dans des chansons tendres, qu’ils voulaient des mobylettes et des chaînes de vélo. Pas des berceaux et des biberons. Il s’est trompé!
Heureusement, les chansons sont sorties. Vous avez encore des projets avec ce personnage de Renaud?
Non, mais je vais continuer à faire dans la musique. Le projet initial, ce n’était pas Renaud, mais l’histoire de la chanson française. Ça a foiré, c’est pour ça que nous avons affiné avec Renaud. Avec Olivier Cachin, le journaliste spécialiste du hip-hop (RapLine sur M6, Le Mag sur MCM), nous allons faire un bouquin sur le rap européen, français, ses cinquante années passées d’existence. Et je prépare un petit livre sur Manu Chao, une cinquantaine de pages chez Idées Plus, une friandise entre deux gros albums. Manu, c’est une personne dont j’ai beaucoup écouté la musique, que j’ai côtoyé à une période. Je reste un peu dans ce registre, mon père était chanteur et mon parrain est Pierre Perret. J’ai un passé dans la chanson française… mais je ne suis pas du tout musicien. Quant à Bertrand Dicale, j’espère le retrouver un de ces jours.
Renaud, franchement, j’en ai bouffé à fond pendant deux ans donc il faut que j’en mange un peu moins avant l’indigestion. Maintenant, je suis le bouquin, il va encore y avoir des festivals. Je n’ai pas fini de signer l’album, de rencontrer des fans et de retourner en concert avec Renaud pour faire des dédicaces. Il y aura encore des petites secousses sismiques. Mais après deux ans dans ses pas, il était temps de passer à autre chose. J’ai été servi, j’ai été gâté d’une certaine manière et je n’ai pas besoin d’en avoir tellement plus. Approchant le premier cercle, je commence à voir les petites dissensions qu’il y a entre certains et d’autres, je me dis qu’il ne faut pas s’approcher trop près du soleil.
Vous faites des dédicaces en marge des concerts, alors.
Oui, je l’ai fait, avant et après le concert à Pleyel notamment. J’ai dédicacé avant et après le concert. J’ai même pu y assister, depuis les coulisses.
Renaud prépare-t-il de nouvelles chansons? Avez-vous entendu parler de quelque chose?
Il va encore passer toute l’année en tournée. Après, je n’en sais rien. J’imagine qu’il a des envies de projets. Après, a-t-il retrouvé le fil de l’écriture? Sa voix est quand même bien cassée. Il a sorti son disque de reprises, il n’y a pas longtemps. Quand il aura fini ses concerts, on verra. Ce sont des gens qu’on voit fragiles, mais ils ont des ressources, on serait bien étonnés. Son entourage ne comprend pas comment il fait. On vient le chercher, on le voit être déplacé comme Joe Biden et quand il monte sur scène, waow… Où puise-t-il cette force?
Renaud a-t-il continué à marquer votre vie au fil des périodes ? Y’a-t-il des époques où vous l’avez moins suivi?
Maintenant, j’ai envie de dire. On continue à le suivre… mais bon, musicalement, c’est moins intéressant. Après sa longue absence, j’ai moins adhéré parce qu’il y avait moins d’humour, plus de dépression. Ce n’est plus la rébellion de notre jeunesse. Moi, j’ai vraiment écouté les premières périodes, jusqu’à La belle de Mai. Puis, un peu par fidélité, on a continué à acheter les disques tout en les écoutant moins en boucle que les premiers.
Vous parliez de votre papa, Jean-Claude Rémy, un chanteur oublié qui est devenu un héros de… BD, avec Tronchet. Incroyable histoire. Et maintenant, vous poursuivez l’oeuvre, vous venez de sortir Sur la tête de mon père.
Ce sont deux livres qui se répondent: Sur la tête de mon père et Le chanteur perdu parlent du même bonhomme. Mon père a 82 ans aujourd’hui. Nous sommes bien contents d’avoir pu lui faire ce cadeau, de le sortir un peu de l’ombre et d’écrire sur lui. Après, comme il vit dans les îles, à Madagascar, là-bas où il est libre, quand il reçoit les livres, ils sont bouffés par les termites.
Mais non?
Si, il avait une collection de bouquins. Un jour, il les a sortis, il n’y avait plus rien dedans. Les termites avaient creusé des galeries. Ils n’avaient juste pas mangé les couvertures, trop épaisses. Faut faire attention où on met ses collections! Enfin, en France métropolitaine, il n’y a pas trop de termites.
Il y a des punaises de lit, paraît-il!
C’est pas beaucoup mieux ! (rires)
Alors, vous êtes un sacré baroudeur. Sur le globe mais aussi dans le dessin. Vous avez travaillé dans le dessin presse, le jeu vidéo, le dessin animé. Vous ne tenez pas en place, en fait?
Vous savez, je suis né à l’étranger. Les gens qui viennent d’ailleurs, il faut qu’ils bougent. J’ai passé ma vie à aller à droite à gauche, y compris dans le métier. Il y a eu 8 ans de dessin animé, 8 de jeux vidéo, du dessin de presse et puis de la BD, d’humour notamment. Des fois, c’est un problème parce qu’on est difficile à cataloguer. « Bon à tout, bon à rien. » Rester tout le temps dessinateur, ça peut être chiant, hein, être entre ses quatre murs et aligner les bouquins, sans rien voir du monde. Tout le monde ne ressent pas ça, beaucoup de dessinateurs sont casaniers et ont beaucoup d’imagination pour créer des mondes. Chacun sa cuisine, en fait.
Vous avez fait du Tintin! On dit qu’on ne peut plus reprendre Tintin, qu’il est mort avec Hergé, mais il y a toujours des projets annexes qui ne sont pas de la BD.
J’ai retrouvé Tintin deux fois même si le personnage m’embête un peu. J’ai lu les Tintin quand j’étais petit. Puis, je l’ai travaillé une première fois pour la série animée des années 90, avec la société Ellipse.
Par la suite, j’ai travaillé sur le jeu vidéo tiré du film Le secret de la Licorne de Steven Spielberg. C’était une expérience marrante, j’écrivais les dialogues et j’étais directeur d’acteurs. Il fallait que je fasse des castings pour trouver des voix qui correspondent aux personnages de Tintin. La Castafiore, et cætera. Après quoi, j’allais en studio, je les faisais parler. C’était marrant de faire parler Tintin, Haddock… Sacrée responsabilité. Mais bon, on ne m’a pas encore demandé d’écrire et de dessiner Tintin. Mais, en même temps, je ne suis pas sûr qu’on viendrait me chercher pour ça.
Tintin, Lapins crétins, ça rime mais c’est un tout autre univers sur lequel vous avez aussi passé quelques années.
Je dessinais dans la presse, ce qui exige de réaliser des dessins rigolos et rapides, quand un copain qui travaillait chez Ubisoft sur les Lapins Crétins m’a demandé de le suivre. Il m’a dit: « ah, bah toi qui as toujours des idées un peu à la con, on a un personnage pour toi ». À l’époque, les Lapins crétins n’étaient pas encore très connus. Il fallait effectivement trouver des gags pour un des personnages. Le petit contrat de 3 semaines, un coup de main, s’est mué en 6 ans de collaboration à l’arrivée. J’ai bossé sur le jeu vidéo et sur le jeu de Tintin. Trois ans par jeu. Je me suis bien amusé.
Il y a aussi eu énormément de voyages dont vous avez tiré des carnets. Il y a encore de beaux voyages en perspectives?
Non, pour le moment, les voyages sont personnels. Je ne les fais plus pour qu’ils finissent en carnet. J’ai l’impression que je suis dans une période de gros livres sur les chanteurs. Ça va m’occuper encore quelques temps. Je vais encore voyager, me promener, faire visiter l’île de mon père à ma copine. Mais sans but de carnet de voyage. J’en ai réalisé une dizaine, je ne suis pas sûr que j’en ferai plus. On revient au fait de faire les choses par périodes.
Merci Alain « Gaston » et très belle continuation.
Renaud, né sous le signe de l’Hexagone est disponible chez Delcourt.
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Source : Branchés Culture