17h35, le 6 mai 2022
Par Eric Mandel
À 70 ans, Renaud, l’éternel revenant signe un excellent album de reprises du répertoire français.
Le Renaud nouveau est arrivé et il s’annonce comme un excellent cru. Évidemment, l’intéressé réfute en bloc en bougonnant que non, il n’en est « ni content ni très fier ». La faute à sa voix… « Je la voudrais moins rocailleuse, avec une diction plus articulée », assure le chanteur, sans doute par excès d’humilité. C’est pourtant l’une des bonnes surprises de Métèque, son 18e album, uniquement composé de reprises du répertoire français : cette voix souvent décriée à juste titre se fait ici plus limpide.
Elle a gagné en tessiture et en fluidité, même si elle demeure toujours rauque, après des décennies de tabagisme intensif et de grandes rasades de pastis, « le seul poison de Marseille » pour anesthésier ses maux. « Pour ce disque, je suis passé de quatre paquets à un paquet par jour », sourit-il dans un café du 14e arrondissement de Paris où il a ses habitudes, au point de cloper tranquillement. « J’ai une dérogation spéciale du docteur, c’est mon privilège de toxicomane », justifie-t-il en alternant blondes et cigarette électronique.
Il pourrait se la couler douce dans son repaire ensoleillé de l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) à jouer à la pétanque et pêcher à la ligne. Très peu pour lui. « Je m’ennuie comme un rat mort dans le Sud. Travailler me permet de ne pas trop cogiter », confie le mélancolique chronique. À tel point qu’il prépare déjà un second volume de reprises, alors que Métèque est à peine sorti. Il y revisitera Hubert-Félix Thiéfaine, Leonard Cohen et surtout Serge Gainsbourg, qu’il n’avait jamais osé aborder. « Serge m’appelait à 2 heures du matin pour me dire : « Je suis malheureux. Bambou a repris la came, moi je ne bande plus. Viens me voir ! On buvait des coups jusqu’à 6 heures en parlant de l’amour et de la mort. »
Pas sevré de la scène
De toute évidence, la santé semble bonne. « Je me suis fait opérer du cœur l’année dernière, annonce-t-il. On m’a posé un stent à cause d’une artère bouchée. Depuis je vais très bien. » Il a aussi arrêté, une énième fois, de s’adonner à sa passion triste pour l’alcool. « Plus une goutte depuis un an. J’ai encore des petites tentations, mais je tiens bon, jure-t-il devant son bitter San Pellegrino. J’ai payé mon tribut. Quand je pense au nombre de fois où je suis rentré en voiture avec 2,5 grammes dans le sang… Il doit exister un dieu pour les ivrognes ! »
Il affirme, en revanche, n’être pas sevré de la scène. « Ce n’est plus de mon âge, mais il se pourrait que d’ici un an je redonne des concerts pour mon public si admirable. » En attendant, il continue de traquer une inspiration capricieuse. « J’ai déjà deux nouvelles chansons, notamment une sur George Floyd : Huit Minutes trente pour mourir. Quand j’arrive à mettre le mot fin à un texte, je suis heureux. J’aimerais être plus productif, même si je le suis un peu plus que Jean-Jacques Goldman », balance le vieux renard avec une affection évidente pour son cadet d’un an, qui a décidé d’arrêter sa carrière en 2004.
Je suis auteur-compositeur, mais j’ai toujours aimé me mettre au service d’une œuvre
Un long silence se fait, comme souvent entre chaque phrase que Renaud prononce avec ce phrasé heurté qui rend parfois son propos difficilement compréhensible. « Quand je parle avec un journaliste, j’ai le trac, bien plus que sur scène. Donc je bafouille, je cherche mes mots. J’ai l’impression de livrer mon âme comme une strip-teaseuse exhibe son cul. » Cela ne l’empêche pas de se montrer volubile pour parler de ce nouvel album, qui signe son nouveau retour, trois ans après Les Mômes et les Enfants d’abord.
Durant sa carrière, il s’était déjà frotté à l’exercice délicat de la reprise, quand il se trouvait dans le creux de la vague, en panne sèche. « Cela me permettait de garder le contact avec le public. Je suis auteur-compositeur, mais j’ai toujours aimé me mettre au service d’une œuvre. » Et d’énumérer avec une mémoire infaillible ses albums hommages : Renaud Cante el’Nord (1993), puis Renaud chante Brassens (1996) et Molly Malone (2009) dédiés au répertoire traditionnel nordiste et irlandais.
Célébrer ses maîtres
Pour Métèque, enregistré chez lui avec son ami et voisin Thierry Geoffroy, il a voulu célébrer ses maîtres, ceux qui lui ont donné envie de chanter. Servi par les orchestrations élégantes et inventives de Michel Cœuriot, Renaud fait le grand écart entre le bouleversant Nuit et Brouillard de Jean Ferrat et la valse canaille Ça va, ça vient de Boby Lapointe. Il se réapproprie La Folle Complainte de Charles Trenet avec une mélancolie joyeuse, revisite avec délicatesse La Tendresse de Bourvil. La plupart des chansons le racontent aussi en creux : le deuil impossible des copains partis trop tôt (L’Amitié, de Françoise Hardy) ; la fraternité du bistrot (Si tu me payes un verre, de Serge Reggiani) ; sa fascination pour les bandits de grand chemin (La Complainte de Mandrin, popularisée par Yves Montand) ou les voyages initiatiques qui forment la jeunesse (Hollywood, de David McNeil).
« J’adore l’histoire de cet adolescent parti de New York à Los Angeles sur un vélo volé. À 15 ans, j’avais décidé de rejoindre Katmandou en auto-stop… Mon périple s’est arrêté à Avignon ou j’ai vécu un an. À l’époque, j’écoutais Higelin à fond dans ma chambre de bonne. » Il reprend d’ailleurs l’un de ses titres méconnus, Je suis mort qui, qui dit mieux. « Un magnifique pied de nez à la mort. J’aurais aimé écrire une chanson aussi émouvante et drôle sur un sujet aussi délicat, mais je n’ai pas ce talent… » Il y a aussi Le jour où le bateau viendra d’Hugues Aufray, son premier mentor.
Évidemment, Renaud n’a pas choisi d’appeler son album Métèque par hasard. « Le RN pourrait bien l’emporter en 2027 », s’inquiète-t-il. La politique, il la suit de loin, à travers les débats télévisés sur les chaînes d’info. Il a voté Poutou au premier tour, puis « contre Le Pen ». Et Mélenchon ? « J’adhère à son programme, moins aux penchants autocrates du personnage, mais je voterai pour l’Union populaire aux législatives », prévient-il.
Le 11 mai, Renaud fêtera son 70e anniversaire à Paris en petit comité avec sa famille et quelques proches dont Jean-Paul Rouve (qui joue dans son clip Si tu me paies un verre, de Reggiani). À son retour dans le Sud, il pourra profiter des petits plaisirs de la vie, « fumer, les copains et tomber amoureux ». Il esquisse un léger sourire : « Eh oui, cela m’arrive encore, pas plus tard que la semaine dernière. Mais elle veut que l’on reste copains. C’est déjà bien, l’amitié est bien plus fort que l’amour. »