Dernier dimanche de gauche

Charlie Hebdo

N° 40, 31 mars 1993

Renaud : Bille en tête

Passera, passera pas ?

Il avait très mal commencé. Un couillon m’avait volé une heure de sommeil avec cet horaire d’été à la con, quand je me suis levé j’avais déjà perdu une plombe de ce premier vrai grand soleil de mars. Un soleil de droite, arrogant, cynique, venant marquer de ses rayons triomphateurs le grand retour des Enfoirés à la gestion de la pluie et du beau temps dans la vie des gens. Je n’avais pas oublié cette soirée du 10 mai 1981 où nous avions reçu sur le coin de la tronche un de ces orages comme Paris n’en avait jamais connu sous la cinquième. Pas oublié ce 24 mai, jour de la prise de pouvoir officielle, cérémonie du Panthéon suivie d’une sauce pas dégueu non plus. J’avais pas la mémoire météorologico-politique courte ! Les cieux étaient réacs et pis c’est tout !

Après, je suis allé boire un jus chez mes parents à la porte d’Orléans. Y’avait là mes cinq frères et sœurs, leurs épouses, leurs maris et les mômes. On s’est engueulés. Certains voulaient voter nul, d’autres socialo, d’autres ne pas y aller, d’autres encore n’étaient pas au courant qu’il y avait des élections. Lolita disait qu’il fallait voter « comme papa » et sa cousine Lou qu’il fallait voter « non ». Finalement, on a bien été une demi-douzaine à minimiser le « raz de marce » de la droite dans le 14e arrondissement. Mon frangin a dit que ça allait être plutôt « une marée de rats ». Je lui ai dit que : « Toi, ta gueule, t’avais qu’à aller voter, après t’iras pas te plaindre ! » Après je suis passé au journal, je me suis fait engueuler parce que ma chronique n’était pas assez longue vu l’augmentation du nombre de pages. Alors je me suis énervé. J’ai gueulé « Le fascisme ne passera pas ! ».

Il était 18 heures, c’est vrai qu’il me restait deux heures avant qu’il passe…

 

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées)