Docteur Renaud, madame Romane

La Presse

Montréal
Dimanche 12 décembre 2004

Arts et spectacle

Nathalie Petrowski 
Rencontre

Elle n’était pas née, il chantait déjà. Elle aime Rickie Lee Jones, lui Georges Brassens. Il est un monument de la chanson française, elle vient tout juste de sortir son premier disque. Vingt ans les séparent, et pourtant Renaud Séchan et Romane Serda sont aussi soudés que des jumeaux à la naissance. Portrait d’un couple inséparable.

PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, LA PRESSE ©
Bien différents l’un de l’autre comme artistes, Renaud Séchan et sa femme Romane Serda ont accouché ensemble du premier disque éponyme de Romane.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? C’est la question classique, incontournable, à laquelle aucun ne peut échapper puisqu’ils sont là tous les deux, qu’ils ne se présentent désormais qu’ensemble, qu’on ne peut pas les photographier individuellement mais uniquement en couple et qu’ils sont, en plus, mariés, et deux fois plutôt qu’une. Alors quand ils débarquent à Montréal, comme ce fut le cas cette semaine, on leur pose la question. Renaud et Romane, comment vous êtes-vous rencontrés ? Était-ce par amis interposés ? Dans un avion ou une gare ? Dans un studio ou une arrière-scène ? Au milieu d’un gala ou d’une galère ? Était-ce parmi une foule opaque et dense où vous vous êtes reconnus parmi des milliers de visages ?

« On s’est rencontrés dans un resto, laisse tomber la belle Romane avec ses yeux noirs et ses longs cheveux blonds. J’avais un dîner professionnel et Renaud était là, voilà. »

Il est midi, vendredi. Renaud et Romane sont arrivés de Paris la veille, invités avec une demi-douzaine de compatriotes français, dont Johnny, Henri Salvador, Eddy Mitchell et Françoise Hardy, à enregistrer à l’auberge Sacacomie une émission de Noël pour TQS et France 2. Sitôt descendus de l’avion, jeudi, ils ont immédiatement pris le chemin du plateau de Tout le monde en parle, où on les verra ce soir, en compagnie de Marc Labrèche, de Denise Filiatrault et de la ministre Line Beauchamp, raconter comment ils se sont rencontrés.

À 1 h du matin vendredi, docteur Renaud et madame Romane sont tombés d’épuisement dans leur
chambre du Reine-Élizabeth, sans pour autant réussir à fermer l’oeil de la nuit.

« Je n’ai jamais connu de vrai creux, alors je vois mal
contre quoi je pourrais mettre Romane en garde. »

Et les voilà ce matin devant moi dans le restaurant, un peu poqués, un peu sur leurs gardes, elle dans son pull noir, lui dans son pull blanc. Elle, la jeune femme de 30 ans qui brûle d’être reconnue et adoptée ; lui, le mec de 50 balais, la main tremblante, l’oeil bleu un peu revenu de tout, comme il le dit dans le DVD Mon film sur moi et mes chansons préférées de moi, réalisé en 2002 et qui vient de sortir ici.

Dans la dernière scène du DVD, Renaud avoue que c’est fini avec Dominique, sa gonzesse depuis 20 ans, qu’il ne croit plus à l’amour et qu’il préfère vivre dans le souvenir de cet amour plutôt que de tout recommencer avec quelqu’un d’autre. Il ajoute tout de même par prudence ou par prémonition : remarquez que l’amour pourrait me tomber dessus demain.

Tout a basculé

À l’époque, le chanteur emblématique de la France post-soixante-huitarde tentait de mettre un point final à une longue période d’excès ponctuée de dépressions, de cuites à n’en plus finir, de crises de delirium tremens (dont une à Montréal), de spectacles où, saoulé par les projecteurs, il titubait sur scène avec un filet de voix qui rendait l’âme à chaque chanson. Bref, il tentait de se reprendre en main, parce qu’il le fallait et parce que Renaud a beau être un homme excessif, il n’est pas du genre suicidaire. C’est là qu’il a rencontré Romane.

Rencontré n’est pas tout à fait le bon mot puisque les deux se connaissaient déjà depuis cinq ans. Mais, à l’époque, Renaud était encore marié et Romane, occupée ailleurs.

Et puis subitement, il y a deux ans, tout a basculé.

Renaud et Romane se sont reconnus, se sont apprivoisés, se sont mis en ménage dans une maison du Marais à Paris, se sont mariés dans une petite chapelle en Toscane, ont remis ça à Las Vegas l’été dernier et, à défaut de faire un enfant (ce qu’ils prévoient faire incessamment), ils ont accouché ensemble du premier disque éponyme de Romane, où ils chantent ensemble une chanson sur Anaïs Nin.

Vue de l’extérieur, évidemment, leur histoire fait un peu Paris Match… D’autant plus qu’ils font la couverture de Paris Match en France cette semaine.

Pas une fan de Renaud

S’ils n’en étaient pas les acteurs principaux, on pourrait imaginer que leur histoire est une sorte d’arrangement ou peut-être de mariage de raison, où la femme se sert du nom de son illustre mari pour pousser sa carrière naissante tandis que l’illustre mari se sert de sa jeune et blonde épouse pour se persuader qu’il n’a pas 50 ans et qu’il est encore dans le coup…

Mais il suffit de les observer quelques minutes à la dérobade pour voir qu’il n’y a rien de faux ni de fabriqué entre eux. Ces deux-là sont trop dans la sincérité pour arranger quoi que ce soit. Romane le confirme à sa manière en déclarant qu’elle n’a jamais été une grande fan de Renaud—ni, au demeurant, de Cabrel ou de Souchon. En d’autres mots, pour ceux qui en doutaient, Romane est tout le contraire d’une groupie. « Bien sûr, je savais qui était Renaud, j’avais entendu ses chansons à la radio, mais je n’étais pas très chanson française. Mon truc à moi, c’était des groupes comme Téléphone, ou Bashung, Higelin, ou la pop britannique. Ce n’est que tout récemment que je me suis mise à découvrir l’univers de Renaud, qui est très différent du mien, heureusement. »

La différence se creuse encore dans ce qu’ils attendent d’une chanson. Pour Romane, une chanson, c’est d’abord et avant tout de l’émotion. Pour Renaud, c’est souvent un outil de combat contre le consensus. Encore aujourd’hui, il préfère endosser les causes qui divisent plutôt que celles qui unissent. Romane, elle, ne veut rien savoir des chansons engagées. « Je ne me sens pas assez solide pour faire de la politique ou pour prendre position. De toute façon, ça ne m’intéresse pas. Bien sûr, je me réclame de la même famille politique que Renaud. J’étais aussi déçue que lui de voir Bush remporter ses élections. Mais ça, c’est la vie, pas les chansons. »

Dans la vie, il arrive que Renaud donne des conseils à Romane sur le métier qu’elle est en train de découvrir, que lui pratique depuis plus de 30 ans. Mais il ne s’agit jamais de mises en garde. C’est du
moins ce qu’il affirme. L’aveu est déroutant dans la mesure où, dans le DVD sur sa vie, Renaud nous apprend qu’il est le plus grand parano de la Terre et qu’il est persuadé que l’humanité entière lui en veut. « Cela n’empêche pas que j’adore le métier que je fais et que, depuis 30 ans, ce métier ne m’a procuré que du bonheur. J’ai vendu beaucoup de disques. Mes salles ont toujours été pleines. Je n’ai jamais vraiment connu de creux, alors je vois mal contre quoi je pourrais mettre Romane en garde.  C’est quand même un métier extraordinaire qu’on fait. »

Romane, pour sa part, reconnaît que ce que Renaud a fait pour sa carrière à elle est une lame à deux tranchants. « D’un côté, il m’a ouvert toutes les portes, m’a appris un tas de choses, m’a fait rencontrer des auteurs passionnants et talentueux. Mais de l’autre, les gens disent : c’est fastoche, son truc, elle est la fiancée de Renaud. Alors il faut que je travaille deux fois plus fort pour leur prouver que j’existe à part entière et que j’ai galéré longtemps pour en arriver là. »

Une invitation d’Isabelle

L’été dernier, les deux sont venus passer quelques jours de vacances à l’auberge Sacacomie, où ils sont allés à la pêche avec Stéphane Rousseau. Et quand Isabelle Boulay les a invités à revenir voir l’hiver, ils ont accepté d’emblée, mais sans savoir que Johnny, Eddy et Henri seraient leurs voisins de chambre. Auraient-ils accepté s’ils avaient su ? « Je ne vois pas pourquoi, répond Renaud. Cette émission que nous allons enregistrer, c’est d’abord l’occasion pour Romane et moi de chanter un très joli duo et, en plus, d’aller faire de la pêche sur la glace. Quant aux autres invités, ce sont des collègues, pas des amis, mais des collègues avec qui je fais des trucs à l’occasion. Et puis comme on aime bien Isabelle Boulay et que c’est elle qui nous invite, peu importe qui est là sur le plateau avec nous, on va essayer de passer un bon moment ensemble… »

En France, l’émission sera diffusée sur France 2 la veille de Noël. Mais Renaud et Romane ne la verront pas. Ils seront perdus quelque part en Thaïlande, loin des flashs, des caméras, des projecteurs et des journalistes de Paris Match. Si jamais vous les croisez sur un trottoir de Bangkok, prière de les laisser poursuivre leur route sans leur demander pourquoi ils sont ensemble ni comment ils se sont rencontrés.

DERNIER FILM
Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, avec Audrey   Tautou. Verdict? Ennuyeux.
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DERNIER LIVRE
Renaud: L’Envol des anges, de Michael Connelly;
Romane: Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley.
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DERNIER SPECTACLE
Paul Personne, à Paris.
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DERNIER DISQUE
Françoise Hardy, Tant de belles
choses.
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OEUVRE CHOC
Renaud: la découverte de l’art
contemporain;
Romane: Éloge de la fuite, d’Henri
Laborit.
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ARTISTE INSPIRANT
Renaud: Georges Brassens;
Romane: Rickie Lee Jones.
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S’ILS ÉTAIENT UNE VILLE
Renaud: Paris;
Romane: Sydney, en Australie.
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S’ILS ÉTAIENT UN
PERSONNAGE DE FICTION
Romane serait Jane et Renaud, Tarzan.

COURRIEL
Pour joindre notre chroniqueuse
nathalie.petrowski@lapresse.ca  

  

Source : La Presse