MONTRÉAL
SAMEDI 19 DÉCEMBRE 1987
Arts et spectacles
Tout aussi inévitables que les sapins ou les cartes de souhait, les disques de Noël garnissent à nouveau les étalages des disquaires. Les journalistes Denis Lavoie et Alain de Repentigny se sont, avant tout le monde, plongés dans l’ambiance des Fêtes et rapportent que la Nativité ne pas beaucoup inspiré les artistes, cette année. Encore heureux qu’une brochette de grandes stars — de Madonna à Bruce Springsteen en passant par Sting et John Cougar — se soient réunies pour graver « A Very Special Christmas » ; et que chez nous. Bertrand Gosselin, Jacques Labrecque et la Bottine Souriante fassent preuve d’un peu d’originalité.
Des superstars…
ALAIN DE REPENTIGNY
Les chansons de Noël et le rock n’ont pas souvent fait bon ménage. La preuve ? Aujourd’hui encore, on parle du Christmas LP de Phil Spector, paru en 1962, comme du sommet en la matière. Depuis, à part quelques rares chansons comme Happy Xmas (War Is Over) de John Lennon et Do They Know It’s Christmas ? de Band-Aid, les rockers ont boudé Noël. Sauf quand, par exemple, David Bowie chantait avec Bing Crosby The Little Drummer Boy à la télé américaine.
Le problème est complexe. Pour bien du monde, les chansons de Noël sont sacrées, pour d’autres carrément quétaines. A moins de composer des chansons originales — et le sujet ne semble pas inspirer les rockers quand il ne les intimide pas tout simplement — il faut se contenter de reprendre des classiques.
Le problème s’est aussi posé pour le producteur Jimmy Iovine qui a eu l’idée de faire un disque de Noël avec les plus grandes vedettes du rock. Un disque dont les recettes seront versées à l’organisme des jeux olympiques spéciaux qui subventionne des programmes d’entraînement sportifs pour enfants et adultes handicapés mentalement.
Quand les superstars font dans le romantisme
Iovine a contacté 15 artistes qui lui ont tous donné une réponse positive. Et le microsillon A Very Special Christmas, paru en octobre dernier, a connu un succès immédiat grâce à la participation de superstars comme U2, Eurythmics, Bruce Springsteen, John Cougar Mellencamp, Sting, Madonna, Whitney Houston at Run-D.M.C. En un mois à peine, les Canadiens en ont acheté 200 000 exemplaires, les Américains plus d’un million.
Iovine a pris une année sabbatique et a offert son assistance aux artistes en question. Il a finalement produit sept des 15 chansons du disque. Du nombre, seules Merry Christmas Baby de Springsteen et Gabriel’s Message de Sting étaient déjà parues à l’endos d’un 45 tours. Toutes les autres ont été enregistrées spécialement pour ce microsillon.
Je pense que l’idée d’un disque de Noël a séduit tous ces artistes », expliqua Vicky Iovine, l’épouse de Jimmy, qui consacre depuis quelques années ses énergies aux Jeux olympiques spéciaux. « Noël a une connotation tellement romantique et c’était pour ces artistes l’occasion rêvée d’interpréter des chansons avec lesquelles ils ont grandi mais qu’ils n’auraient jamais incluses sur leurs propres microsillons ».
A Very Special Christmas est un pot-pourri de genres et de styles allant du slow à saveur gospel de Whitney Houston (Do You Hear What I Hear ?) à la version cajun que John Cougar Mellencamp a faite de I Saw Mommy Kissing Santa Claus.
Comme il fallait s’y attendre, on y trouva plusieurs chansons intéressantes et d’autres qui le sont beaucoup moins. La palme revient d’emblée à Run-D.M.C. dont le rap Christmas In Hollis raconte la Noël dans leur quartier de Queen’s. L’idée d’une chanson de Noël sur un air de rap était amusante au départ, le fait qu’elle soit la seule composition originale du microsillon ne nuit pas, et l’énergie que mettent les trois rappers à la déclamer en fait une belle réussite. Surtout qu’insérées au mix, les mesures de Frosty the Snowman, Jingle Bells et Joy to the World ajoutent une touche humoristique qui n’aurait pas fait de tort à plusieurs chansons de ce disque.
Car si le Santa Claus is Coming to Town des Pointer Sisters et le Merry Christmas Baby de Springsteen s’inspirent manifestement du fun à la Spector, on ne peut en dire autant de Silent Night de Stevie Nicks, sauvée par la voix soul de Robbie Nevil en arrière-plan, et de l’inévitable Little Drummer Boy à laquelle Bob Seger n’apporte rien de neuf. Même chose pour la version soul de Have Yourself A Merry Little Christmas des Pretenders qui donne un peu trop dans le mélo sirupeux. A ce compte pourquoi ne pas écouter Bing Crosby ou Andy Williams ?
Il y a aussi une Annie Lennox toute en douceur — trop peut-être — qui ne se laissera aller un peu qu’à la toute fin de Winter Wonderland et Whitney Houston dont l’interprétation de Do You Hear What I Hear ?, si inspirée soit-elle, n’étonnera personne.
Du coté des réussites, on compte le I Saw Mommy Kissing Santa Claus espiègle de Mellencamp sur une musique tout droit sortie de la nouvelle orientation du rocker du midwest. Le temps de Christmas (Baby Please Come Home), un autre emprunt à Spector, The Edge délaisse son son de guitare bien à lui et U2 plonge dans le rock d’il y a 30 ans.
Et que dire de Madonna qui joue la femme enfant —et chante comme Cyndi Lauper ! — sur Santa Baby dans une atmosphère jazzée des années 40, rejoignant ainsi Eartha Kitt qui avait d’abord interprété cette chanson. Bon Jovi propose l’énergique Backdoor Santa et Bryan Adams emprunte à Chuck Berry un Run Rudolph Run du même moule que Johnny B. Goode.
Enfin, les adaptations à la fois très modernes et très sobres que font Sting at Alison Moyet de chansons traditionnelles comme Gabriel’s Message et The Coventry Carol comptent parmi les meilleurs moments de A Very Special Christmas.
au folklore
DENIS LAVOIE
A Noël c’est le temps de fêter. Les disques de Noël, cette année, sont donc surtout axés sur les airs de
fête. Il n’y a rien de sensationnel dans tout ça, mais un assez vaste choix. Dans le lot un seul disque qui sort de l’ordinaire, avec des chansons originales de Bertrand Gosselin, interprétées par une chorale d’enfants.
Traditionnelles chansons de Noël, toujours les mêmes, avec André Breton ou Sylvie Jasmin; quelques nouvelles aussi avec Nathalie Simard et Chantal Pary. Avec le folkloriste Jacques Labrecque, c’est un retour aux sources de la chanson traditionnelle, de même qu’avec le groupe La Bottine Souriante et son disque de party du jour de l’An.
Des disques que les enfants vont apprécier
Noël étant surtout une fête pour les enfants, j’ai choisi avec ma fille, AndréAnne, 5 ans, un disque qui séduit facilement les jeunes de niveau élémentaire, Flagada du Suisse Henri Dès. Ce disque s’est mérité trois prix en Europe.
Flagada n’est pas un disque récent, mais n’est distribué au Québec que depuis peu, ainsi que deux autres albums de cet artiste européen, l’un des meilleurs auteurs pour enfants. C’est très bien fait, amusant, avec des chansons à répondre, des canons, les paroles et même la musique étant incluses.
Pour les enfants, on ne manque pas son coup non plus en leur offrant Passe-Partout, mais la plupart ont déjà au moins les premiers des six disques et on peut le leur offrir en d’autres moments. En fait, ce n’est pas aussi spécial comme surprise.
Il y a aussi Nathalie, la petite Simard grosse vendeuse de disques pour enfants, qui s’impose comme la vedette québécoise de ce petit monde. Elle nous propose donc elle aussi son disque de Noël. Elle s’explique d’abord à travers une chanson du tandem Eve Déziel et Jacques Michel : Je veux rendre les enfants heureux.
Les autres chansons cadrent mieux avec le temps des Fêtes, j’ai surtout apprécié celles signées par P.A. Doucet et Francis Lai : On se prépare pour Noël et L’Usine à jouets. Deux chansons traditionnelles sont également intéressantes : Mon beau sapin et Les cadeaux du petit Noël. La reste est assez moyen mais bien produit quand même.
Rien à voir avec les Fêtes, mais destiné aux enfants, et pas justes les petits, c’est La Fugue du Petit Poucet, qu’on peut se procurer chez Steinberg seulement, et dont les profits sont destinés à Enfants-retour.
Musique moderne, pour tous les âges, avec pour les tout petits Marie Eykel qui chante Le Lapin qui peint. Pour les plus grands Renaud chante Le Camionneur rêveur. Avec des artistes du calibre de Fabienne Thibeault, Jacques Higelin, Richard Gotainer et Yvon Deschamps, c’est un disque de qualité avec un carnet d’information pour la sécurité des enfants.
Spécial dans ses réalisations, Bertrand Gosselin a composé toute une série de chants de Noël pour une chorale de sa région. Chansons d’amour et de paix, joyeuses sur une face et plus grandiloquentes sur l’autre, avec Gosselin cornemusier pour finir. Des canons, de la gaieté, un riche vocabulaire, c’est Noël en chants de neige, près d’une vingtaine de chansons sérieuses et fantaisistes.
Parlant enfant, on peut aussi se procurer le premier microsillon, disponible aussi en disque compact, du plus jeune musicien québécois à endisquer, Steve Barakatt. Ce pianiste a la fougue de la jeunesse (il n’a que 14 ans) à défaut d’avoir la maturité qui lui permette d’avoir une personnalité.
Sa maison de disque lui a proposé des pièces originales sur des arrangement style boîte à musique par moment. La jeune Barakatt s’en tire assez bien pour aspirer déloger le Suisse Alain Morisod. Une carrière à suivre et des musiques agréables à entendre.
Noël fait aussi partie du folklore, le seul temps de l’année où je me souviens des airs anciens. Pour bien se les remémorer, une collection de disques, conçus et interprétés par Jacques Labrecque, ont le mérite de bien nous informer sur notre passé culturel. On y retrouve en effet les paroles, la musique et de l’information sur ces trésors de notre passé.
Le dernier disque qu’il nous offre, contient 17 chansons du terroir québécois, acadien et manitobain. On y découvre des versions méconnues de chansons traditionnelles, les unes gaies, les autres tristes. C’est à peu près ce qui se fait de mieux dans le genre.
Un seul groupe de musique traditionnelle a survécu pour devenir ambassadeur du Québec en Europe et aux États-Unis. C’est La Bottine Souriante, qui, à l’occasion du temps des Fêtes, a enregistré un disque de veillée dans une maison, comme dans le bon vieux temps.
Tout comme au jour de l’an, c’est des chansons à répondre (paroles incluses) dont une seule d’origine récente, La Parenté de Jean-Paul Fillion popularisée par Jacques Labrecque. Une face du disque est composée de musique pour danser, reel, rigodon, valse, cotillon. Ça swingue.
Noël c’est l’occasion des réunions de famille. André Breton illustre cette tradition québécoise dans Noël avec André Breton et sa famille, en hommage à son père directeur de chorale à Sherbrooke. Il n’y a que les traditionnelle chansons de Noël sur ce disque, la seul de cette année, avec un soliste mâle pour entonner le Minuit chrétien et autres airs du temps des Fêtes.
Pour un party de musique plus récente, il y a toujours la pimpante Edith Butter, qui a choisi d’enregistrer en public aussi, son Party pour danser. Musiques latines et du bayou, le populaire La Bamba, pots-pourris dont un d’airs rock et Na Na Hey Hey Goodbye. Une belle chanson à découvrir à travers tout cela : Branchée sur le coeur.
Il y a cette année jusqu’aux distributeurs d’essence qui nous proposent de ces airs de fête. C’est le cas d’Ultramar qui a produit une cassette de spectacle à la sauce québécoise pas chère.
Deux autres artistes nous proposent leur disque de Noël : Chantai Pary et Sylvie Jasmin. Cette dernière ne manque pas de souffle, mais le coeur n’y est pas. Sa belle voix ne nous atteint pas. Pary a quant à elle choisi d’être plutôt triste pour les coeurs esseulés, avec des chansons à pleurer, dont une pour Les Détenus et une autre, plus belle, pour Les Vieux amants.
Les maisons de disque savent aussi profiter de cette saison des cadeaux et des plus grosses ventes de l’année, pour nous offrir des produits spéciaux. C’est ainsi que PolyGram a choisi de rééditer les deux excellents albums du groupe Harmonium : Harmonium et Les Cinq saisons. Meilleure qualité, et disponibles également en disque compact avec, dans ce cas en prime, la chanson 100 000 raisons.
Mes préférences
Henri Dès, FLAGADA-CACHE-CACHE, volume 3, Disques Mary-Josée, DES 37414. |
Source : La Presse