Échange champignon comestible contre champignon atomique

Charlie Hebdo

N° 137, 8 février 1995

Envoyé spécial chez moi

Quand la Chine s’irradiera…

Je m’en voudrais de vous infliger aujourd’hui une chronique d’économie internationale. J’y connais que couic, j’y comprend peau d’balle. Bon, je sais bien quelques trucs mais ça fait pas trop avancer le schmilblick. Je viens d’apprendre par exemple qu’en échange de la livraison d’une centrale nucléaire, la Chine offrirait à la France, devinez quoi ? Des truffes de Chine ! Et de la bonne, de la vraie ! De la noire, de la Tuber melanosporum, dite « truffe du Périgord » ! Je m’y connais, j’en ai plein mon jardin. Dans le Vaucluse, où l’on en trouve en abondance et où son arôme surpasse celui de son homologue périgourdine, au pied de quelques chênes par moi plantés, j’en ramasse quelques-unes qui, l’hiver, viennent enrichir mes nouilles et mes œufs. C’est pas dégueu, je vous l’accorde, c’est pas un produit de luxe pour gauchistes milliardaires (comme vous dites), en ce qui me concerne, c’est un cadeau de la nature, y a qu’à s’baisser.

Inutile de vous dire que l’arrivée massive de truffes chinoises sur le marché de Carpentras, à cinq cents francs le kilo, fait râler les producteurs du coin qui, jusqu’à hier, fourguaient le leur à deux mille cinq cents francs. Nos paysans n’ont plus qu’à espérer que, d’ici à quelques années, le nucléaire franco-chinois ait tchernobylisé les chênes truffiers asiatiques, ce qui reste possible.

Possible puisque, grâce à notre cher Alain Peyrefitte, grand promoteur des intérêts économiques entre la France en Chine, c’est une trentaine de centrales nucléaires que l’empire du Milieu envisage de nous acheter. « Nous acheter », c’est une image. Traditionnellement, en effet, la Chine n’honore pas ses créances, ne paye pas ses dettes. La France s’en fout. Si la Chine paye, ça remplit les caisses de sociétés privatisées au conseil d’administration desquelles siègent les amis de M. Peyrefitte (Bouygues, GEC-Alsthom, Framatome, etc.), si elle ne paye pas, elle est assurée. La Coface, compagnie d’assurances nationalisée, paie pour elle. Eh oui, vous avez bien lu : « Nationalisée ! ». Ça veut dire que c’est nous qui paie ! Avec nos petits impôts ! Ça fout les boules, hein ? On a envie de se venger, hein ? Moi, perso, je commence par un boycott massif des truffes de Chine. Après, je suggère un embargo sur les Alain Peyrefitte. Enfin, un blocus sur mes impôts.

  

Source : HML des fans de Renaud