Valeurs actuelles
La semaine dernière, le « chanteur énervant » sortait une nouvelle chanson sur le thème du confinement, intitulée « Corona Song ». Aussitôt, le morceau douteux a provoqué le malaise chez de nombreux internautes. Retour sur la personnalité clivante du dernier barricadier de Mai-68.
Honni par certains, admiré par d’autres, Renaud Séchan n’a manifestement pas fini de faire parler de lui. Avec sa nouvelle chanson, Corona song, publiée il y a deux semaines sur Youtube, le chanteur est parti à la conquête des réseaux sociaux. Hélas pour lui, cette première expédition en scène inconnue a tourné au fiasco. Partagés entre rire et compassion, les internautes n’ont pas eu l’air d’avoir apprécier son nouvel opus. Car si l’auteur du tube « Mistral Gagnant » n’a plus l’éclat de sa jeunesse, il n’en reste pas moins le symbole d’une époque regrettée par bon nombre de Français, « les années Mitterrand ».
Quand Renaud avait encore son « flingue »
Quand « tonton » régnait encore sur l’Hexagone, Renaud, lui, était roi parmi les jeunes. Enveloppé dans son blouson de cuir et cramponné sur sa mobylette, l’éternel soixante-huitard écumait les salles de concert et les plateaux de télévision. En bon anarchiste, ce dernier n’hésitait pas à tirer à boulets rouges contre tout et n’importe quoi, parfois même contre son propre camp politique. A l’instar de Reiser, ancien dessinateur de presse pour Hara-Kiri et Charlie Hebdo, sa pensée pouvait se caractériser en une injonction : « A bas tout ! »
Aujourd’hui, nombre de ses chansons hérisseraient les progressistes de tous poils. Dans « Mon HLM », ce dernier brossait un portrait au vitriol des féministes bobos de son époque : « Aux manifs de gonzesses, elle est au premier rang. Mais elle ne veut pas d’enfants, parce que ça fait vieillir, chantait-il. Ça ramollit les fesses et puis ça fout des rides. Elle l’a lu dans l’Express, c’est vous dire si elle lit ! »
Non content de tacler celles qu’il appelait les « décolorées », Renaud s’en prenait aussi violemment aux écologistes : « Écoutez-moi, vous les ringards, écologistes du samedi soir, écrivait Séchan dans « Amoureux de Paname ». La pollution n’est pas dans l’air, elle est sur vos visages blêmes. »
Gueuler contre la répression en défilant « Bastille-Nation », ça donne une bonne conscience aux cons.
Hélas pour la gauche, là n’étaient pas les deux seules victimes du sniper de la « close ». Dans d’autres titres, le chanteur attaquait également les manifestants contre les violences policières : « Gueuler contre la répression, en défilant « Bastille-Nation », (…) ça donne une bonne conscience aux cons », accusait-il dans « Où c’est que j’ai mis mon flingue ». Assa Traoré, fondatrice du Comité pour Adama, appréciera sans doute. « Voici le flot des étudiants, propres sur eux et non-violents, qui s’en vont grossir les rangs des bureaucrates et des marchands », ajoutait-il dans « Etudiant poils aux dents ».
Si ces dernières lignes peuvent paraître surprenantes aujourd’hui, elles ne sont rien en comparaison des propos tenus par Renaud sur le voile islamique et l’antiracisme dans une interview tournée en 1989. « SOS Racisme, avec sa bonne conscience morale de gauche, [dit] qu’il faut tolérer la liberté de culte etc. Je considère que la liberté de culte et de croyance est tout à fait respectable, déclarait-il à l’époque. Mais à partir du moment où l’on essaie de s’intégrer dans une société et dans une école laïque, marquer à ce point-là sa différence, c’est se créer des ghettos. »
Toujours debout ?
« Je veux que mes chansons soient des caresses ou bien des poings dans la gueule », affirmait encore Renaud dans les années 80. Quarante ans plus tard, est-ce que la recette fonctionne encore ? Revenu d’entre les morts après l’attentat des frères Kouachi contre Charlie Hebdo, le chanteur est remonté sur scène avec un nouvel album-hommage : « Phenix » (2016).
Bien qu’annoncé en grandes pompes, le come-back de Séchan a majoritairement déçu. Sur ses nouvelles compositions, la drôlerie et la gouaille si caractéristiques du chanteur ont laissé place à des textes mornes, une voix rocailleuse et des chansons dans les clous des bons sentiments de l’époque.
Renaud vote Macron. Ex-chanteur prolétaire, il finit chez le banquier Rothschild.
Toutefois, malgré leur déception, les fans ont tout de même su remercier leur « titi rive gauche » favori. En 2016, ce dernier s’est hissé en tête des chartes nationales avec plus de 730 000 disques vendus.
En Marche à l’ombre !
Sans voix, sans tubes, Renaud aura tout de même réussi à sauver les meubles. Toutefois, les ennuis ne faisaient que commencer pour l’homme au bandana rouge. Un an plus tard, une fois sa tournée terminée, le chanteur s’est de nouveau attiré les foudres de son public. Agacé par la montée de la pression médiatique avant les élections présidentielles de mai, ce dernier s’est fendu d’un communiqué Facebook explosif : « Puisque les médias ne vont pas tarder à me harceler pour savoir pour qui je vote, je réponds une fois pour toute Macron. »
Pour certains de ses fans, anarchistes impénitents, cette annonce a fait l’effet d’une douche froide. « En Marche à l’Ombre ! », plaisantaient certains. Apprenant la nouvelle, Robert Ménard, maire de Béziers et ancien trotskyste, s’est fendu d’un tweet ravageur : « Renaud vote Macron. Ex-chanteur prolétaire, il finit chez le banquier Rothschild. »
Malgré ses cheveux longs, sa veste en cuir et sa barbe négligée, le môme d’Alésia rejoignait finalement les « sociaux-traîtres ». Le look du « loubard » était toujours là, mais le cœur n’y était plus. Jadis connu pour sa verve révolutionnaire et son gauchisme à toute épreuve, l’habitué de la Closerie des Lilas avait changé son fusil d’épaule, sous le regard médusé de ses anciens camarades.
Quand je pense au brave Docteur Raoult conchié par des confrères jaloux qui ont les moules de perdre du blé.
Après avoir fait l’éloge de la police, du christianisme orthodoxe et de la rectitude morale de François Fillon, le petit Gavroche en herbe du « joli mois de mai » venait confirmer les dires de George Bernard Shaw, célèbre dramaturge irlandais : « Celui qui n’est pas communiste à vingt ans n’a pas de cœur ; celui qui l’est encore à quarante ans n’a pas de tête. » Du drapeau noir au nouveau monde, l’ancien « anarcho-mitterrandiste » semblait enfin s’être assagi.
Corona Song, viral gagnant
Du moins, c’est ce que ce dernier a bien voulu laisser paraître jusqu’à la semaine dernière. Avec son nouveau titre, « Corona Song », Séchan a de nouveau fait s’agiter les bien-pensants. Gilets jaunes, Raoult, Macron… Vraisemblablement, l’auteur de « Laisse béton » semble peu à peu retrouver de son piquant. Si peu d’auditeurs ont réussi à écouter sa nouvelle chanson jusqu’au bout, les rares courageux qui y sont parvenus auront sans doute apprécié ses quelques saillies.
Agacé par la levée de bouclier du politiquement correct face au professeur Raoult, apôtre de la chloroquine, Renaud n’a pas hésité à mettre un coup de pied dans la fourmilière médicale : « Quand je pense au brave Docteur Raoult conchié par des confrères jaloux, (…) des pontes, des sommités, qui ont les moules de perdre du blé », dit-il dans sa chanson. Avant de soutenir Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de Jacques Chirac et défenseur du professeur marseillais : « Je me dis que Douste-Blazy ne dit pas que des conneries. »
Macron, ce n’est vraiment pas l’idéal, je lui en veux.
Et si l’acide « Mister Renard » reprenait enfin le pas sur le docile « Docteur Renaud » ? C’est en tout cas ce que laisse à penser les récentes déclarations du chanteur. Non content d’avoir soutenu le très controversé Raoult, ce dernier a également déclaré avoir été déçu par le président de la République. « Macron, ce n’est vraiment pas l’idéal, je lui en veux », a-t-il déclaré au Figaro. Quelques jours avant, l’ancien anarchiste affirmait être « solidaire » des Gilets jaunes au Journal du Dimanche. Malgré ces quelques sorties critiques, « l’autonomiste de la porte d’Orléans » a encore du chemin à faire pour renouer avec la fougue de sa jeunesse. Alors Renaud, où c’est que t’as mis ton flingue ?