Depuis décembre 2002, Héléna Van den Neste, une des créatrices du HLM de Renaud, meilleur site sur le chanteur, suit le sieur Séchan au cours de sa tournée, de date en date, de triomphe en ovation, de doute en fatigue. Alors que la tournée, prévue jusqu’en décembre 2003, bat son plein, Hélena nous raconte les quatre premiers mois.
Ou les coulisses d’une renaissance.
3 décembre 2002 – Laval
Le renard aux cheveux jaunes reprend la route pour une tournée d’enfer. Première date, première ville, Laval. Dehors, quelques-uns uns sont là depuis midi ! La voix de Renaud en répétition nous parvient au-delà des murs à la plus grande joie de ses aficionados. Mais à l’intérieur, le stress est palpable : comment va se passer cette première, si le Renard avait été plus fort que le Renaud ?
Le soir venu, je vois défiler le gratin du métier, mais aussi les proches, famille et amis, les vrais, ceux qui ont été là à chaque instant de la dégringolade et qui comptent bien assister ce soir à la renaissance. 20h30 exactement : un coin du décor s’éclaire, c’est le bar du Renard où Renaud est accoudé et termine son verre sous les hurlements du public. Les cris sont si forts qu’on devine à peine les premières mesures de Docteur Renaud, Mister Renard. La voix et les gestes sont tremblants. Comment vont réagir les 4.700 spectateurs ? Dès la fin de la chanson, la réponse nous parvient sous forme d’applaudissements nourris et de cris qui fusent de la salle. L’amour que lui porte son public est ressenti par tous. Comme beaucoup aiment à répéter: « Ce qui nous importe c’est que Renaud chante vrai même s’il ne chante pas toujours juste ! »
Renaud fait le tour de son répertoire, des plus anciennes (Laisse béton) aux petites nouvelles (Elle a vu le loup), des teigneuses (500 connards) aux plus tendres (En cloque). Il y a le dilemme de Manhattan-Kaboul … Comment faire sans Axelle Red ? Le public « fera » donc Axelle ! Souvent, Renaud hésite, ne sais pas ce qu’il doit chanter, mais c’est sans compter sans l’appui de son complice et guitariste Titi Buccolo qui en parfait chef d’orchestre de la formation, souffle les titres, mais fait aussi les chœurs pour soutenir la voix parfois défaillante de Renaud.
Après le concert, Thierry Séchan, le grand frère, signe quelques autographes, presque gêné. Le ballet des roadies commence et quand nous quittons la salle, il ne reste presque plus rien de ce décor qui nous a fait rêver. Demain, tout recommence à Angers. Espérons que jour après jour, un vrai sourire apparaîtra dans les yeux de Renaud qui entre chaque chanson, a encore ce voile noir de tristesse.
10 décembre 2002 – Besançon
Renaud appelle à la manifestation de soutien à la Confédération Paysanne qui aura lieu dans quelques jours. Serait-ce un signe du retour du chanteur militant ?
19 au 23 décembre 2002 – Le Zénith de Paris
Les jours se suivent mais ne se ressemblent vraiment pas. Je retrouve Renaud dans cette salle qu’il a inaugurée en 1984. Pour l’occasion, il y a une première partie, Mickey 3 D que Renaud présente: « Et voici ceux qui ont été recalés à Loft Story et à la Star Academy… c’est vous dire qu’ils sont vraiment bien et qu’ils ont du talent ! ». Plus la tournée avance, plus Renaud à l’air d’avoir « la niaque », il plaisante de plus en plus avec ses musiciens et dialogue avec le public, presque à son aise.
Détail « amusant » : il y a deux ans, lors de la tournée solo Une guitare, un piano et Renaud, le tout-Paris ne s’était pas bousculé. Or au Zénith, les places VIP ne sont pas assez nombreuses… Tous les soirs, Renaud met gentiment en boîte Johnny Hallyday qui lors d’une émission télévisée avait déclaré : « Ce que je préfère chez Renaud, ce sont toutes ses chansons de marin. » (Renaud n’en a écrit qu’une…). Toutefois, ce dimanche 23 décembre – est-ce dû à la présence de Johnny dans la salle ? -, Renaud oublie cette phrase lorsqu’il présente Dès que le vent soufflera… Les événements internationaux et l’attitude de George W. Bush, lui font ressortir des tiroirs le titre Déserteur. A Paris, la surprise est la présence d’Axelle Red qui remplace avantageusement le public pour Manhattan-Kaboul.
Le 23 décembre, fatiguée par ces soirées successives au Zénith, je passe plus de temps dans les couloirs du Zénith avec Akinori, membre du site HLM des fans de Renaud, venu de Tokyo spécialement pour voir Renaud. Il aura la chance de retrouver son chanteur préféré dans les loges grâce à la complicité de Thierry Séchan.
25 janvier 2003 – Le Zénith de Caen
Quelle pêche ! La complicité est enfin retrouvée, même si la voix n’est pas toujours au top. Premier concert de l’année, nouvelle année, un nouveau Renaud dans une forme olympique.
31 janvier 2003 – Le Zénith de Paris
Ce soir, Renaud m’épate, entre les quelques pas de danse esquissés, le briquet allumé à l’unisson de son public pendant En cloque, les rappels avec le sourire, tout y est. Je me demande ce que donneront les concerts dans quelques mois tant l’évolution est étonnante. Dans les loges, Renaud parle, sourit, vit ! Il essaie de me persuader que la soirée n’était pas parfaite en me disant: « J’ai chopé la crève »…
15 février 2003 – Les Victoires de la Musique – Le Zénith de Paris
J’ai eu beau lire les pronostics de la presse, je me demande si Renaud va enfin être récompensé par la profession qui n’a jamais été très généreuse avec lui, hormis une Victoire « Musiques du monde » (sic !) pour Cant’ el Nord, le seul album dont il n’est qu’interprète, et une Victoire, limite posthume, pour l’ensemble de sa carrière en 2001, époque où il était au plus bas.
De ma place, je l’aperçois accompagné de sa fille Lolita, de son ex-compagne Dominique, son pianiste Alain Lanty et Jean-Pierre Buccolo. Album de l’année, Chanson de l’année et Artiste masculin de l’année : lui-même n’en revient pas ! Ne me demandez pas qu’elle était la suite de la soirée, les portables se mettent à carillonner, les messages fusent, le champagne coule chez les artisans du HLM, c’est que les Victoires de Renaud sont un peu les nôtres.
27 et 28 février 2003 – Forest National à Bruxelles
Renaud arrive enfin en Belgique, mon pays ! On pourrait presque dire chez lui, tant le public belge a toujours répondu présent. Lui-même l’a déclaré: « Très vite, j’ai eu un énorme succès en Belgique. Va savoir pourquoi ! Je faisais 300 personnes à Reims ou à Bordeaux, 800 à Liège ou à Charleroi. D’ailleurs, cette fidélité du public belge ne s’est par la suite, jamais démentie… ».
Le premier arrivé est le Belgo-breton Gwenaël Micault qui remplace Jean-Louis Roques au piano à bretelle. Renaud et les autres musiciens arrivent bien plus tard, bloqués dans les embouteillages à la sortie de Paris dont ils mettront une heure et demi à s’extirper. La presse est là, nombreuse, qu’elle soit écrite ou télévisée, tous veulent leur moment bruxellois. Quelle sera la réaction ce soir ? Quand Renaud apparaît au comptoir de son bistrot, c’est immédiatement des hurlements qui emplissent la salle. Cela va peut-être vous sembler chauvin, mais c’est plus fort qu’ailleurs… Renaud ne s’y trompe d’ailleurs pas et nous gratifie d’un « Ici en Belgique, vous êtes vraiment le meilleur public francophone ! ». Tout le long de la soirée, il le répétera.
Il met en boîte Bruel et son album qu’il renomme Entre mes deux et Johnny, tous deux bredouilles de Victoires cette année. Il peut tout dire, tout faire, on l’aime ce Renaud-là. La presse ne s’y trompe pas et titre « Concert d’enfer » ou « Un sacré boucan de paradis ». Seule le très conservateur la Libre Belgique titre « Le retour de la chetron sans voix » ! On s’en fout, ces deux jours à Bruxelles sont deux jours de fête totale avec un public conquis par un Renaud en grande forme.
1er mars 2003 – Le Wex à Marche-en-Famenne, Belgique.
Renaud arrive sur scène, l’air heureux mais fatigué. Les enchaînements sont écourtés et le rythme du concert accéléré. Renaud écourte son tour de chant, il nous zappe sauvagement Morgane de toi au rappel. Malgré sa fatigue de plus en plus apparente, Renaud trouve encore le courage de plaisanter et de remarquer que « malgré la présence évidente des anciens, il doit forcément y en avoir de petits nouveaux qui ne l’ont jamais vu sur scène… ». Merci pour ces regards de complicité, pour ces petits gestes de remerciement entre deux chansons, merci pour ce retour à la vie.
Je suis Renaud depuis 25 ans, mais s’il le veut bien je re-signe sans hésiter pour 25 ans de plus. Ses chansons m’accompagnent depuis mon adolescence et ont toujours collé à l’actualité de ma vie, depuis Camarade bourgeois et mes révoltes adolescentes jusqu’à Boucan d’enfer et les blessures que la vie vous inflige. Renaud s’il te plaît laisse pas béton, on a besoin de toi et de tes mots. Merci infiniment beaucoup, Docteur Renaud.
Par : Héléna Van den Neste
Source : RFI Musique