Enchanté… Docteur Renaud ou Mister Renard ?

Le Soir

Journaliste au pôle Culture
Par Thierry Coljon

Publié le 22/05/2002 à 00:00

Au calme, dans son bistrot préféré, Renaud nous parle de son Boucan d’enfer

Renaud boit de l’eau et nous du petit lait

Après une longue dépression copieusement arrosée, Renaud revient à la vie et à la chanson avec un nouvel album des plus réussis. Il nous en a parlé…« Boucan d’enfer » ressemble à ce que les fans languissant de Renaud attendaient : le meilleur de Renaud. Le chanteur au cœur gros a réussi, sept ans après « A la belle de mai », l’album du retour. Entre tendresse et bobos, on retrouve un Renaud désabusé mais pas complètement dégriffé (« Je vis caché », « L’entarté ») sur de jolies musiques signées Jean-Pierre Bucolo et Alain Lanty.Discussion par un beau midi ensoleillé de printemps, à sa table de la Closerie des Lilas montparnassienne.ENTRETIENTHIERRY COLJON à ParisCet album est donc né d’un pari, en pleine crise d’inspiration…

Oui, j’avais arrêté de boire huit jours. J’étais allé passer huit jours dans une chouette clinique psychiatrique, de repos. Où j’avais mes habitudes pour y être déjà allé trois ou quatre fois en trois ans. Pour essayer de décrocher de cette drogue dure, le pastis. Et puis, au bout de huit jours de manque, un copain me fait le pari grotesque et criminel de me dire : Si t’écris une chanson, je t’autorise une muflée.

J’ai écrit la chanson en une heure, « Petit pédé » en l’occurrence. Le copain était pédé, faut le préciser. Il voulait à tout prix que je lui écrive une chanson sur ça, sur sa différence. Je la lui ai dédiée, à lui et à son mec, puis j’ai pris ma cuite et j’ai replongé.

En fin de compte, les textes ont mis cinq ans et quelques heures à être écrits.

Avant « Petit pédé », la référence était « Comme ils disent » d’Aznavour que tu cites d’ailleurs dans ta chanson…

Oui, et depuis, j’ai découvert que Zazie avait écrit « Adam et Yves » sur le même thème, mais je n’ai pas réussi à bien saisir les paroles, car c’était pas bien mixé ou je ne sais pas… Puis une autre aussi, Linda Lemay, je crois, a chanté sur ce sujet.

Quand tu étais au fond de ta dépression, as-tu eu de nombreuses marques de soutien du milieu ? De tes amis Julien Clerc ou Patrick Bruel ?

Ils m’ont soutenu, m’ont sermonné, m’ont fait la morale pour essayer de me faire sortir de ce trou, me faire arrêter de boire. Ils me voyaient me détruire à petit feu, grossir à vue d’œil, le verbe hasardeux, l’œil triste et la bouche tombante. Ils étaient catastrophés. D’ailleurs, la rumeur publique me disait mal.

Tous mes copains médecins me disaient : continue comme ça et dans deux ans, t’es mort.

Comme j’avais déjà des problèmes hépatiques, il était temps que j’arrête. Mais, bon, c’était une épreuve que je n’espère pas retraverser. Je ne pense pas, car, dans les deux ans qui viennent, j’ai trop d’activités : les médias, la tournée…

C’est triste à dire mais ces malheurs donnent les plus belles chansons…

Les chagrins d’amour, comme disait Sevran hier à la télé, ne suffisent pas à écrire de bonnes chansons, mais, moi, ça m’a permis d’en écrire de jolies. Un peu égocentriques, nombrilistes… Je ne parle que de moi et de mon chagrin, et pas de celui de mon épouse. Une séparation, ça se vit à deux. C’est une déchirure pour deux individus.

Dans « Mal barrés », tu ne crois plus du tout au couple…

Mon cœur n’est pas libre. Il est toujours occupé par la même personne. Il n’y a plus de place à prendre… Je n’envisage pas la vie de couple dans un avenir immédiat.

Que pense Dominique du fait que tu exposes ainsi publiquement ce qui reste malgré tout assez intime ?

Elle trouve que j’ai bien de la chance de pouvoir dire mon chagrin et d’avoir des milliers d’épaules sur lesquelles l’épancher. Elle n’a pas grand monde, à part deux, trois amies. Elle trouve ça un peu injuste.

De « Ma gonzesse » à « En cloque », c’est vrai que votre histoire d’amour a dès le départ été rendue publique…

Ce n’est pas que je suis impudique mais je n’ai aucune honte à dire ce qu’il y a sur mon cœur, même quand ce n’est pas drôle.

Lolita aussi, on l’a vue grandir avec les chansons, de « Morgane de toi » à « Elle a vu le loup »…

Oui, je dis qu’elle a 15 ans, car la chanson date d’il y a six ans. Elle n’est pas fan de cette chanson car je révèle quelque chose de très intime, très secret, très personnel (NDLR : son dépucelage). Elle ne m’en veut pas trop car elle trouve cette chanson bien écrite, donc c’est le principal. Mais elle n’aime pas que je l’implique, elle aurait préféré que je ne parle que de sa copine Marylou et pas d’elle.

Dans « Docteur Renaud, Mister Renard », tu dis que tu t’en fous du monde mais quand on te connaît, on sait que tu ne pourras pas t’empêcher de l’ouvrir à propos de la première injustice venue…

Oui, bien sûr, mais je ne vais peut-être pas trop m’exposer en première ligne. Je ne donnais plus aux Restos mais je donnais à d’autres. A travers les Restos, j’ai voulu exprimer mon ras-le-bol de différents engagements humanitaires dans des associations qui, contrairement aux Restos qui sont tout à fait dignes et propres, ont défrayé la chronique par des malversations, détournements de fonds et compagnie. Et puis dire le côté un peu dérisoire de ces chanteurs qui engagent leur conscience à bon compte mais qui dorment sur le magot sans en faire profiter les autres. Il y en a tellement qui sont là pour briller, pour se faire voir.

Es-tu prêt à affronter les médias en parlant du monde et de ses problèmes avec la même conviction qu’auparavant ?

Non. Je suis beaucoup plus désillusionné et désabusé qu’autrefois. L’âge y est aussi pour beaucoup. Le fait de m’être beaucoup engagé dans le passé et d’avoir reçu des coups en retour… je n’ai plus trop envie d’en prendre. Et puis je trouve ça un peu dérisoire qu’on demande à un saltimbanque, un artiste, de donner son sentiment sur les grands conflits du monde. Immanquablement, on passe pour un donneur de leçons.

Si on me pose une question sur la situation au Proche-Orient, je vais répondre avec véhémence et conviction mais est-ce bien nécessaire ? Est-ce que ça va faire avancer les choses ?

C’est pour ça que la chanson « L’entarté », qui vise ouvertement Bernard Henri-Lévy, est née ?

Je trouve la chanson suffisamment moqueuse pour éviter d’en rajouter une couche chaque fois que je suis interviewé là-dessus. Je ne vais pas m’acharner. J’ai déjà été suffisamment vachard. Et puis je tire mon petit coup de chapeau au Gloupier que je trouve un personnage attachant parfois, mais son petit côté anar de droite ne me séduit pas toujours. Et l’entartrage, je trouve ça un acte assez violent mais, bon, que me jette la première pierre celui qui n’a pas rigolé en voyant BHL ou Bill Gates se faire encrémer la tronche.

N’avais-tu pas l’impression d’être devenu le BHL de la chanson en prenant fait et cause pour plein de causes ?

Il y a des combats que je menais, moi, spontanément et d’autres sur lesquels on me demandait de prendre position. C’est un peu agaçant parfois. Je ne suis pas quelqu’un qui court après les caméras et les micros, contrairement à lui ou à d’autres. Je pense à Mgr Gaillot. Dès qu’il y a une caméra ou un chien perdu, il est là. Je pense à José Bové, que j’aime bien par ailleurs, il est partout, il va partout, il est incontournable, quoi.

C’est pour ça que tu dis et chantes : « Je vis caché ». Tu en profites d’ailleurs pour te faire les « animateurs blaireaux », « crétins dégénérés », « nullos de la bande FM », etc.

Je cite pas de noms mais ils se reconnaîtront ceux auxquels je pense. Ça a toujours été un peu mes boucs émissaires les médias, les journalistes de TF 1, les animateurs ringards d’émissions vulgaires, les FM à la con qui diffusent de la musique au kilomètre, insipides et robotisantes, entre trois pubs.

Tu te tiens très loin des « stars académiques » et des « pop stars de mes deux qui sont un peu à la musique ce que le Diable est au Bon Dieu »…

J’ai pas beaucoup apprécié de voir des artistes que j’aime bien aller se corrompre, se compromettre, servir la soupe à ces pauvres garçons et filles qui sont devenus stars en l’espace de trois semaines et dont la carrière, à mon avis, sera aussi éphémère que sont médiocres leurs talents.

Loana, on l’invite partout, pour vendre quoi ? Du vent. Son image. Rien. Elle ne crée rien, elle n’écrit pas, elle ne compose pas, elle ne joue pas d’un instrument, elle n’est pas comédienne. Elle est juste blonde, voilà.

Et puis, dans ces émissions, il y a le côté mise à mort que les gens aiment bien, l’élimination des candidats au fur et à mesure. C’est d’une cruauté…

Le duo avec Axelle Red sur « Manhattan-Kaboul » nous fait d’autant plus plaisir que tu n’as jamais enregistré de duos, sinon aux Restos du cœur. Toutes les autres vont être jalouses…

Oui, mais aucune ne pourrait rivaliser avec le talent d’Axelle. Dès que j’ai pensé écrire un duo, j’ai pensé à elle. Je n’ai pas eu à réfléchir. Je la suis depuis le début de sa carrière, je l’avais croisée sur des plateaux de télévision ou des émissions de radio. Je lui avais fait part de mon admiration et puis, pour l’enregistrement, on était tous les deux à Bruxelles… C’était facile.

Et puis bizarrement, même si je ne suis pas un chanteur à voix, nos voix se marient bien. Elle donne un côté angélique à une chanson au thème un peu grave. Cela devrait être le second single.

Le 11 septembre, c’est anecdotique dans la chanson, ce que j’avais envie de traiter, c’était les éternelles victimes innocentes des conflits dans lesquels les dirigeants s’en sortent très bien.

La musique de Jean-Pierre Bucolo est superbe également. Ce sont des retrouvailles en quelque sorte…

Oui, on n’avait plus bossé ensemble depuis « Marchand de cailloux » en 1992. J’ai retravaillé avec lui parce qu’il a beaucoup de talent mais aussi parce qu’il était très présent durant mes heures, mes années noires même. C’est un compagnon de bistrot avant d’être compagnon de guitare. Il habite dans le coin et venait tous les jours à la Closerie pour me sermonner. Il était désespéré, alors il me composait des musiques pour essayer de me stimuler, me motiver…

Jean-Louis Roques à l’accordéon n’est plus là…

Non, fini. A cause du vieil adage qui dit : « Prête de l’argent à un ami, tu perds et l’argent et l’ami ». Eh bien voilà. Les gens vous en veulent de les avoir aidés. Là, c’est Gwenaël Micault, l’accordéoniste breton de Bruxelles, qui joue sur le disque et qui nous accompagnera en tournée. Avec Alain Lanty au piano et Bucolo à la guitare. Notamment…

« Baltique », du nom du chien de Mitterrand, rappelle qu’il n’a pas pu entrer dans l’église le jour de l’enterrement de son maître…

J’ai eu de la peine pour ce pauvre chien qui était interdit d’église, qui n’avait pas le droit de se recueillir avec les autres. Je l’avais vu à la télévision avec Michel Charras qui le tenait en laisse dehors.

J’ai pensé à cet amour, le plus fidèle, le plus acharné, le plus désintéressé que peut éprouver un chien pour son maître car j’avais un chien à l’époque et je savais de quoi je parlais. Si beaucoup de gens ont pleuré Tonton, le chien peut-être plus encore.

« Mon nain de jardin » est un peu à part sur ce disque, une chanson plus légère…

Oui, pour mettre un peu de fantaisie dans l’album. Ça ne vise pas très loin. Beaucoup, dans les journaux, riaient à propos des comités de libération des nains de jardin. J’ai voulu me mettre à la place du pauvre petit bonhomme qui avait pas grand-chose comme trésor dans sa vie et qui était très attaché à son petit nain de jardin et qui se fait dépouiller…

Est-ce que « Le destin d’Amélie Poulain » t’a inspiré ?

La chanson a près de cinq ans et même aujourd’hui, je n’ai toujours pas vu « Amélie Poulain ». Je ne vais pas au cinéma sinon une fois par an en traînant la jambe.

Je ne suis pas spectateur, je préfère être acteur. Je n’ai pas de lecteur de DVD. J’ai une vidéo mais je n’en loue pas. Je suis moins sensible au cinéma qu’aux livres.

Dans « Mon bistrot préféré », tu te retrouves avec tous les gens qui nous ont quittés, que tu aimes, de Brassens à Prévert. Il n’y a pas une seule femme. Pas même Barbara…

Barbara oui, c’est vrai, j’ai effectivement regretté de n’avoir pas pu placer Barbara. Édith Piaf, Marguerite Duras, Louise Michel… On peut peut-être m’accuser de misogynie. J’ai écrit ce qui venait. J’ai pensé aux gens que j’ai aimés et que j’ai perdus et à ceux qui ont contribué à faire de moi ce que je suis, dans ma culture, mon éducation… Mais j’en ai oublié…

Tu n’as pas oublié Franquin en tout cas, toi le collectionneur de BD qui venait souvent à Bruxelles nous dépouiller…

Je connaissais un petit peu Franquin, j’avais eu l’occasion de dîner deux fois avec lui et de passer un après-midi avec lui, chez Tibet, sur la Côte d’Azur. J’aimais infiniment son œuvre et puis le bonhomme.

Ma collection est finie là. J’ai considéré que j’avais tout ce dont je rêvais. Ça doit faire trois ou quatre mille pièces dont plus ou moins 2.500 bouquins originaux des années 30 à 70.

On m’a même reproché d’avoir fait monter les prix, d’avoir cassé le marché, car, à une époque, j’avais effectivement la chance de gagner pas mal d’argent avec mes chansonnettes et c’était mon seul luxe. Donc je dilapidais mes droits d’auteur en pillant les ventes aux enchères, en achetant à n’importe quel prix, sans même marchander, dans les boutiques de bande dessinée belges. D’ailleurs un journal a écrit un jour que je contribuais à piller le patrimoine national belge. J’avais répondu : je ne le pille pas, je le protège, je le sauvegarde. Il est au chaud. Et peut-être que, dans mes vieux jours, je céderai ma collection au Centre de la BD de Bruxelles.

Après le disque, il y aura le livre récit de tes longues heures à la Closerie, à paraître en automne, il y aura le film « Crime Spree » avec Johnny et Depardieu, et puis la tournée . Ça ne te fait pas un peu peur tout ça ?

Oh non ! Le livre est déjà bien avancé. Le film ne repose pas sur mes épaules, comme c’était le cas avec « Germinal ». C’est juste pour m’amuser. La tournée ne me fait pas peur non plus. Je suis définitivement raisonnable et guéri. Je n’aurai l’occasion et l’envie de boire qu’après les concerts, vers minuit, en allant dîner avec les copains. Ça laisse peu de temps pour se détruire. On commence en décembre et c’est parti pour un an et demi au moins, jusqu’aux festivals d’été. En commençant dans les grandes salles, comme Forest-National, en espérant que je parviendrai à les remplir… C’est le retour dans la cour des grands, retour aux communions et aux grands-messes…

  

Sources : Le Soir et Renaudmaah.com