Tintintin ! Alors que l’auteur de « Mistral gagnant », absent de la scène musicale depuis de nombreuses années, a annoncé, hier, qu’il sortirait un disque en mars et qu’il serait de retour sur scène au printemps, Erwan L’Eléouet, journaliste natif de Lannion, publie un portrait sensible de l’artiste. Les témoignages des intimes éclairent les hauts, très hauts, de Docteur Renaud et les bas, très bas, de Mister Renard.
Vous aviez réalisé un portrait de Renaud pour l’émission « Un jour, un destin », présentée par Laurent Delahousse. Est-ce ce film qui vous a donné envie de lui consacrer un livre ?
Ce film a été le déclic parce qu’il m’a permis de rencontrer plusieurs témoins. Je pense à l’accordéoniste des débuts, Michel Pons, un type formidable, à Thierry Séchan, le frère aîné avec lequel il a des relations parfois compliquées. (…) Pendant le tournage, Renaud a bloqué plusieurs témoins, il avait le sentiment que le film allait l’enterrer, qu’on faisait sa nécro. L’émission s’est faite quand même et finalement, il l’a appréciée.
Vous n’avez pas pu rencontrer Renaud. Il ne veut plus voir personne ?
J’ai tenté mille fois de l’approcher, par Dominique, sa première femme, par ses amis, par son directeur artistique. C’est quelqu’un qui s’est vraiment isolé. Il vit dans le Sud, dans le Lubéron, dans une grande maison, entouré d’amis, de gens qui s’occupent de lui mais il n’a pas envie de parler. Je n’ai pas réussi à le voir mais j’ai réussi à approcher les gens qui le connaissent très très bien.
Entre autres, ses anciennes compagnes
… Dominique n’avait jamais parlé, c’était la femme de l’ombre et elle souhaitait conserver ce statut. Elle ne voulait pas qu’on perturbe sa tranquillité. Je suis arrivé au bon moment, un moment où Renaud a donné des signes qu’il allait revenir. Je n’avais pas imaginé, en démarrant le bouquin en février, qu’il allait sortir un album. David, son frère jumeau, disait : « Je n’aurais pas parié un kopeck sur le retour de mon frère ». Quand j’ai rencontré Dominique, au mois de mai, elle venait de déjeuner avec Renaud. Elle m’a annoncé : « C’est formidable, il m’a dit ce midi qu’il avait écrit huit chansons ». Je la sentais très heureuse de vivre ça, parce que, tout d’un coup, il y avait une petite lueur d’espoir après des années d’errance, de silence, de dépression, d’alcoolisme… Ça a peut-être favorisé la confiance et l’envie de parler. Je pense aussi qu’elle souhaitait rétablir une certaine vérité. Notamment le fait que le lien ne s’est jamais rompu entre eux. Ni avec Romane Serda d’ailleurs. Renaud a gardé avec les femmes de sa vie, dont le prénom est tatoué sur sa poitrine, comme les prénoms de ses enfants, un lien indestructible.
Le titre de votre livre, « Paradis perdu », vous l’expliquez dans un chapitre consacré à son enfance. Est-ce que ce titre renvoie aussi à votre propre nostalgie d’un Renaud au mieux de sa forme et de sa créativité ?
En consultant sa discographie, j’ai découvert une chanson qui s’appelle « C’est mon paradis perdu », où il raconte si bien cette enfance. Effectivement, je voulais raconter le Renaud que les gens avaient connu et aimé. (…) Je voulais raconter l’énorme vedette qu’il a été et faire revivre ce paradis perdu, c’est-à-dire cette époque flamboyante, où Coluche se présentait à la présidentielle, où le Café de la gare bousculait le rire de l’après-68. Cette époque où on pouvait partir en bateau sur un coup de tête. Cette époque où il y avait encore des illusions peut-être, sur l’idée que la politique allait changer le monde. C’est l’arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981, l’espoir d’une renaissance, d’une société plus juste, plus égale. Ce n’est pas uniquement la biographie d’un chanteur et d’un poète, c’est aussi le portrait d’une époque. (…)
Vous n’occultez pas ses errances, son spleen et son addiction à l’alcool. Pour autant, votre regard est toujours bienveillant. Est-ce le livre d’un fan de la première heure ?
Je ne voulais pas tomber dans le livre de fan, le livre de spécialiste. (…) Je voulais raconter l’histoire d’un mec mais sans porter de jugement sur sa vie, son parcours, je voulais que ce soit délicat. Dans l’émission « Un jour, un destin », parfois on évoque des sujets sensibles, des blessures intimes. La limite, c’est de ne pas tomber dans le voyeurisme, dans le trash. C’est vrai qu’il y avait matière avec Renaud…
Avez-vous le sentiment qu’il occupe une place à part dans la chanson française ?
Oui. C’est dur aujourd’hui de trouver des chanteurs à textes. Cabrel, Souchon, Voulzy font des ballades mais il y a assez peu de messages dans tout ça. Bénabar, c’est pareil. (…) Renaud est l’un des derniers poètes engagés, capable d’ouvrir sa gueule, de bousculer l’ordre établi et visiblement, dans le prochain album, il va le faire à nouveau. J’ai hâte d’entendre ça.
Qu’est-ce qui vous touche chez lui ? La sincérité, la part d’autodérision aussi, qui lui font reconnaître qu’il « chante très faux et joue très très mal de la guitare » ? La sincérité aussi par rapport aux idéaux du grand-père ch’ti et communiste ?
Il chante faux mais ça sonne juste. Il chante vrai. Même si la voix n’est pas forcément là, vous êtes emporté par le texte, par l’humour, la tendresse…
Le chanteur « enragé et engagé » des années Mitterrand a-t-il quelque chose à dire sur la société d’aujourd’hui ?
Il a été désabusé mais malgré tout, il n’a pas perdu ses idéaux. Les notions d’égalité, de justice, sont toujours en lui. Je sais que dans l’album, il y aura deux chansons sur les attentats que la France a subis en janvier 2015. Dans l’une qui s’appelle « J’ai embrassé un flic », il va décrire avec drôlerie l’image de ce manifestant qui fait la bise à un CRS, ce 11 janvier, à Paris. Il se surprend à féliciter les CRS, lui, le gamin qui leur envoyait des pavés en 1968.
Cette manifestation a joué un rôle important dans son énième renaissance ?
Ça l’a bousculé, cette histoire. On s’est attaqué à ses copains. La bande de Charlie Hebdo, il en faisait partie, il a été chroniqueur, il a aidé à remonter le journal en 1992. Il partageait l’esprit de l’hebdo satirique : dénoncer, se moquer de la religion, des institutions, des autorités, de la politique. Il est remonté du Lubéron pour manifester… Ça a réveillé quelque chose en lui…
Il s’est remis à écrire tout de suite ?
Il a fallu quelques mois. Grand Corps Malade l’a aussi aidé. Fan de Renaud, il est allé le voir au mois de mai dans le Sud, pour lui demander de participer à son album-concept « Il nous restera ça ». Le « pourquoi pas » est devenu réalité quand ils se sont mis à écrire une chanson pour son gamin Malone, cette petite ballade qui s’appelle « Ta batterie ». Il y a eu une sorte de faisceau d’envies. Dans sa tête, il avait envie de revenir et même de revenir de manière urgente. Je crois que ses proches ont un peu tempéré ses ardeurs… Mais comme dit son frère David, cet album, c’était ça ou mourir. (…) Renaud veut prouver qu’il existe encore, qu’il est encore capable de s’imposer, qu’il est encore un artiste. Les choses avancent vite. Quand j’écrivais, les parties instrumentales étaient déjà posées, des voix sont maintenant aussi enregistrées mais il veut peaufiner les choses. Toutes les chansons sont choisies. Mickaël Ohayon, qui est un de ses anciens guitaristes, a signé plusieurs musiques. Renan Luce, son gendre, le mari de Lolita, aussi.
Le croyez-vous capable de retrouver une voix audible ?
Je sais en tout cas qu’il voit une orthophoniste. Il a arrêté de boire, c’est aussi le signe qu’il veut retrouver de la puissance vocale. On ne va pas réentendre la voix des grandes années de Renaud, on va entendre autre chose. (…) Cette voix abîmée, elle donne aussi une profondeur, c’est celle d’un homme de 63 ans qui a vieilli, qui a mûri, qui a tout connu, le meilleur et le pire. Il faudra le prendre comme il est, avec tout ce vécu dans cette voix.
Pratique
« Paradis perdu », éditions Fayard, 215 pages, 17 €.
Source : Le Télégramme