Exposition : Ta-ta-tin ! Renaud revient

Le Monde

CULTURE – MUSIQUES

Le meilleur du chanteur est célébré à la Philharmonie de Paris à travers des photos, des films et des manuscrits

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Publié le 23 octobre 2020 à 15h15 – Mis à jour le 24 octobre 2020 à 05h23

Renaud, en 1976, à Paris. DAVID SÉCHAN

On a perdu Renaud depuis longtemps, reclus devenu la cible de sinistres photos plus ou moins volées alors que son mal-être ordonnerait plutôt qu’on lui fiche la paix. Quand le chanteur hier énervant, aujourd’hui dénervé, l’ouvre encore, c’est au mieux pour Les Mômes et les enfants d’abord (2019), un album thématique abîmé par une voix de rogomme, au pire pour Corona Song, chanson protestataire contre le Covid-19, si inspirée que « virus » y rime avec… « virus ». Sur ce pénible déclin, l’exposition « Renaud, “Putain d’expo !” », présentée jusqu’au 2 mai 2021 à la Philharmonie de Paris, a préféré jeter un voile pudique sans qu’on puisse lui en tenir rigueur.

Ce qu’on y voit est un « best of », le meilleur de Renaud, et ce n’est pas plus mal. Ce qui semblait inévitable dès lors que les commissaires sont le frère jumeau de l’intéressé, David Séchan, photographe et vice-président de la Sacem, et une fan, Johanna Copans, dont la thèse de doctorat soutenue à l’université de Valenciennes (Nord), Le Paysage des chansons de Renaud : une dynamique identitaire, a été publiée par L’Harmattan, en 2014.

Le premier confie qu’il n’a pas voulu « un hommage, mais un acte d’amour » : « Il fallait remettre l’église au centre du village, écarter la peopolisation, la dépression et l’alcoolisme, regonfler sa mystique en montrant le créateur, le révolté. Tout ce que j’aime chez lui. C’est ma vision de mon frère. »

Avec cette partialité assumée, comment ne pas être séduit par la verve du personnage, son amour vache du françaissi puissant qu’il lui a légué des expressions devenues courantes – « Laisse béton », « Epais comme un sandwich SNCF » ou « Ça suffat comme ci ». Une « infusion linguistique » telle que « le public des banlieues s’est mis à parler comme dans ses chansons », constate Johanna Copans. Renaud, en amont, s’approvisionnant dans la rue en héritier de la langue verte de René Fallet, de l’argot d’Alphonse Boudard et de l’absurde de Bobby Lapointe.

Le texte qu’il a transmis pour l’occasion rassurera ceux qui craignaient qu’il n’ait perdu son humour : « C’est pas un Olympia pour moi tout seul, mais une “putain d’expo !” juste pour mézigue que vous allez zieuter… Et au Musée de la musique, s’il te plaît ! Moi qui connais trois accords de guitare je trouve ça zarbi, mais bon, j’dis rien. Ce s’rait une sorte de rétrospective de ma vie de chanteur, y paraîtrait. Un pote m’a dit que ça “sentait le sapin” mais j’m’en tape un peu, j’aime cette odeur qui me rappelle les doux Noëls de mon enfance. »

Titi de la porte d’Orléans

D’abord rétif (« Une expo ? Mais je ne suis pas mort ! »), l’Islois du Vaucluse a largement ouvert ses archives et a même prévu de rendre visite à lui-même. En bon angoissé du temps assassin, il a tout conservé depuis ses dessins et textes d’écolier.

L’album de famille raconte l’éclosion d’un titi de la porte d’Orléans, issu d’un milieu ouvrier du Nord par sa mère, cévenol, protestant et lettré par son père, Olivier, prix des Deux Magots en 1942 pour son roman Les corps ont soif, avant de devenir directeur de collection chez Hachette Jeunesse. Rappel nécessaire pour prévenir la classique dénonciation d’un petit-bourgeois déguisé en loubard.

Chanteur de rue engagé, Renaud semble promis comme tant d’autres à l’obsolescence, mais lui a du talent et un sens aiguisé de la punchline On s’arrête aussitôt sur Mai 68, le moment fondateur. Le cancre a 16 ans, participe à la création d’un Comité Gavroche révolutionnaire qui comptera trois membres et signe surtout sa première chanson, Crève salope. Ce n’est pas une violente attaque contre les femmes qui en ferait un précurseur d’Orelsan, mais une charge contre les parents, les profs et les institutions. Chanteur de rue engagé, Renaud semble promis comme tant d’autres à l’obsolescence, mais lui a du talent et un sens aiguisé de la punchline.

Repéré en 1974 au Caf’ Conc’ de Paris, en première partie de son ami Coluche, il publie un premier album dominé par l’éphéméride d’Hexagone, un modèle de construction qu’il reprendra pour les étages de Dans mon HLM ou les questions thématiques de Triviale Poursuite« Il y a chez lui une attaque et une chute, on a envie d’écouter la chanson jusqu’au bout, loue Johanna Copans. Son écriture est très cinématographique, à tel point que ses personnages [Gérard Lambert, la Pépette ou Germaine] sont devenus des héros de BD. Ce qui l’intéresse vraiment, c’est de raconter des histoires et le vecteur le plus efficace est la chanson plutôt que la poésie. »

Motobécane bleu Gauloises

Lui-même semble échappé d’une planche de Frank Margerin – qui signe l’affiche de l’exposition – quand à partir de 1977 il troque la casquette du poulbot pour le cuir du zonard, métamorphose ouvrant une radieuse décennie qu’assombrira brutalement la mort de Coluche en 1986. Scénographié et coloré par l’illustrateur Gérard Lo Monaco, fidèle collaborateur de Renaud à la scène et au disque, le parcours se déploie alors par thèmes – le parolier, les concerts et le public, les engagements, l’enfance… – avec arrêts devant sa Motobécane bleu Gauloises, une vitrine de friandises (Mistral gagnant et Coco Boer) ou le stand forain d’A la Belle de Mai.

Si ses influences, Brassens et Dylan, Bruant et Springsteen, sont rappelées, il aurait été intéressant de s’interroger sur sa descendance, que l’on trouvera davantage chez les rappeurs que parmi les participants au dispensable « tribute » La Bande à Renaud (le clone post-moderne Gauvain Sers, Bénabar, ou l’ex-gendre Renan Luce), réédité dans une version augmentée (2 CD Panthéon/Fontana/Universal). Son nom, comme celui de Brassens, fut d’ailleurs cité lors des polémiques sur la virulence antipolicière dans le hip-hop. C’était bien avant qu’il ne chante J’ai embrassé un flic (2016), après les marches en réaction aux attentats de janvier 2015 et la perte de ses amis de Charlie Hebdo.

 

  • « Renaud, “Putain d’expo !” », Musée de la musique, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, Paris 19e. Du mardi au vendredi de 12 heures à 18 heures, samedi de 10 heures à 20 heures, dimanche de 10 heures à 18 heures. De 6 à 10 €. Jusqu’au 2 mai 2021.
  • « Renaud, putain de livre ! », Ed. Philharmonie de Paris/Plon, 200 p., 24,90 €

Bruno Lesprit

 

Source : Le Monde