Par LE PRIOL Pierre-Yves, le 10/03/2003 à 00:00
Qui ignore encore, en France, la culbute du chanteur rebelle dans la « bibine » ? Sa dépression liée à la perte d’un amour et à la crise dite « du milieu de vie » ? Renaud par ci, Renaud par là. Pour un peu, après les deux nouveaux rendez-vous diffusés (presque simultanément) samedi soir, sur France 2 et M 6, la saturation finirait par guetter.
L’homme « aux 50 balais » avait évoqué avec une rare justesse de ton, à la télé avant Noël, le désenchantement qui l’aura conduit pendant dix ans à se « pochetronner » au pastis. Or, c’est dans ce contexte de confidence et d’authenticité qu’est revenu pour lui, avec le goût de vivre, l’incroyable succès discographique des derniers mois. La chanson Manhattan-Kaboul (avec Axelle Red) et l’album Boucan d’enfer (deux millions d’exemplaires vendus) ont valu à l’artiste des revenus records en 2002 (3,7 millions d’euros), puis trois Victoires de la musique en février : « c’est presque trop », admet celui dont le retour en grâce finirait par intriguer.
Non que la gloire soit, par nature, suspecte et que l’anonymat seul garantisse la qualité d’un créateur. Mais, comment dire ? L’idée se fait jour que l’émotion éprouvée à voir et entendre Renaud, voici trois mois, aurait pu être instrumentalisée. Et si ses aveux, tant répétés depuis un an, avaient constitué la « préparation d’artillerie » avant l’offensive commerciale de son dernier CD ? Et si sa manière à la Gainsbourg (une posture d’ex-alcoolique chic) s’était inscrite dans un redoutable plan médias ? La machine à fabriquer des vedettes ne cherche-t-elle pas à modeler en permanence certaines de ses figures emblématiques pour les proposer à l’admiration des foules ?
Un accent de vérité, encore perceptible samedi chez le chanteur, interdit de désespérer de sa bonne foi. On reste tenté de le croire lorsqu’il répète que « les blessures les plus profondes ne sont pas guéries par des ventes de disques ». Mais les stratégies marketing excellent à ce point à récupérer les meilleures intentions, à « faire ventre » de tout, qu’un succès trop colossal en deviendrait bientôt suspect.
LE PRIOL Pierre-Yve
Source : La Croix