Le goupil sort péniblement de sa tanière
Le clip de Renaud sur la pandémie.
Youtube
«Coronavirus, connard de virus». Et bing! Le ton est donné dès la première strophe: le Covid-19 n’a qu’à bien se tenir, Renaud ne l’aime pas. Mais alors pas du tout. À cause de lui, il est obligé de «se cogner sans cesse Arlette Chabot ou la pauvre Roselyne Bachelot» sur BFM TV, de rester privé de bistrots «fermés par ces salauds» qui l’empêchent «de boire sa flotte peinard» (sic) et même de suivre les conseils de «Monsieur Douste-Blazy qui dit pas que des conneries». Beaucoup plus ennuyeux pour nous, ce confinement l’a poussé à composer une chanson contre cette situation si intolérable qu’il serait temps qu’elle commence à cesser, ma bonne dame, et que ce serait un coup des Chinois que ça m’étonnerait pas. D’ailleurs, «dans ce pays, on bouffe du chien, des chauves-souris et du pangolin».
La chose a pour titre «Corona Song». Accompagnée d’un clip à la hauteur de son instrumentation chiche, de ses accords pauvres et de ses paroles à peine dignes d’une engueulade de comptoir, elle est tombée par surprise jeudi matin sur les chaînes de vidéo en ligne. On y voit Renaud, 68 ans, camouflé derrière un masque-bandana rouge, planté tel un piquet devant une caravane et accompagné de trois musiciens pas plus à l’aise, qu’il semble avoir rameuté au camping de l’Isle-sur-la-Sorgue, là où il a passé le confinement. Même son masque ne parvient pas à cacher les difficultés de play-back. Le regard est vide et méchant, la voix rauque et absente, le tout d’une grande nullité mais surtout d’une tristesse abyssale.
Bienveillance émoussée
Cela fait longtemps qu’on n’espérait plus rien de Renaud, sinon que dans un sursaut de fierté personnelle et d’abnégation financière il cesse de faire étalage de sa voix perdue, de son inspiration asséchée et de son regard de poisson mort. L’homme a sombré dans l’alcool, il jure s’en être sorti et il veut chanter. Jusqu’ici, ses cohortes de fans avaient envisagé la chose avec une légitime bienveillance, en souvenir de son talent passé et d’une histoire commune avec ce génial «chanteur énervant», goupil plein de vie et de sève qui, en jumeau musical de Coluche, son pote, marqua les années 1970 et 1980 de ses coups de crocs salutaires. Déjà à l’époque, ses pamphlets les plus premiers degrés, contre Margaret Thatcher ou le Paris Dakar, flirtaient avec une démagogie que sa perspicacité roublarde et son humour acide faisaient pardonner.
Avec «Corona Song», Renaud n’a plus ni l’un ni l’autre. Il verse dans le complotisme («ces salauds», mais qui?) et le poujadisme moutonnier qui voit en «ce brave professeur Raoult» un héros incompris «conchié par des confrères jaloux» et «des sommités qui ont les boules de perdre du blé.» Heureusement, Renaud a «des anticons, il faut dire qu’en France ils sont légion». On est loin d’«Hexagone».
Colère, déception et rires
En automne dernier, le nouvel album de Renaud, dédié aux marmots, avait déjà fait grincer les dents des plus résistants: pas simple, les comptines chantées d’une voix de death metal… Mais la charge antivirus a découragé jusqu’aux plus fidèles soutiens, ébahis par cet exercice proche du pastiche (et sans doute pas loin du pastis). Sur YouTube, les commentaires (écrémés au fil des heures) sont quasi unanimes, oscillant entre colère, déception et rires. Florilège: «On dirait un atelier artistique dans un institut d’addictologie», «Renaud, quand ton inspiration est BFM TV, arrête!», «j’aime tellement ce mec que le voir sombrer dans ce néant artistique me donne une profonde envie de chialer»… Certains publient sans autre commentaire les textes de ses chansons anciennes à la poésie tendre et belle, comme «Pêche à la ligne». Quelques rares réclament de lui laisser le droit de s’amuser entre potes. Sans nous, alors. Comme chantait un certain Renaud Séchan, dit Renaud: «Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants. Et les Mistrals gagnants.»
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d’infos
Source : Tribune de Genève