SAMEDI 11 SEPTEMBRE 2021 14:03
Gauvain Sers est de retour avec son troisième album « Ta place dans ce monde ». Depuis un bar parisien, le chanteur se confie en interview sur son disque propulsé numéro deux des ventes, ses thématiques sociales et politiques engagées, le succès ou encore les comparaisons avec Renaud. Rencontre.
Propos recueillis par Théau Berthelot.
Vous voici de retour avec « Ta place dans ce monde ». On peut dire que c’est un véritable album de confinement !
Ce serait quand même mentir de dire que j’ai tout fait durant le confinement. J’avais la moitié des morceaux déjà écrits avant, que j’ai peaufinés mais qui étaient en grande partie terminés, et il y a effectivement une deuxième partie qui a été écrite et composée pendant cette période-là. C’est vrai qu’au départ, la première réaction c’est d’avoir pris un petit coup de massue sur l’arrêt de la tournée. On était en pleine tournée des « Oubliés », dont on avait beaucoup travaillé le spectacle et la mise en scène. On n’a pu faire que 20 concerts donc on était très frustrés. Ce n’était pas évident à vivre et à un moment donné, je me suis dit que j’avais deux mois et demi devant moi, isolé et un peu enfermé dans ma bulle, ce qui est une condition assez idéale quand on écrit des chansons et qu’on est auteur. Donc j’ai essayé de voir le verre à moitié plein et de me dire que ça pouvait être une période assez prolifique et j’ai commencé à écrire des chansons. C’était assez nouveau pour moi : quand je finis une chanson, j’ai besoin de quelques jours pour la digérer et pour en attaquer une autre car c’est souvent beaucoup d’émotions. Là, j’en finissais une, j’avais envie d’en écrire une deuxième assez vite… Du coup il en est né pas mal pendant cette période. Ce sont des chansons qui n’auraient certainement pas existé de cette manière-là si on n’avait pas vécu tout ça. Ce n’est évidemment pas que des chansons là-dessus, heureusement, et il y en a très peu d’ailleurs, mais elles sont forcément teintées de ce qui a pu nous manquer. Il y a pas mal de chansons sur les terrasses notamment parce que ça me manquait beaucoup (sourire). C’est un album qui fait référence à ça, sans être un album qui porte là-dessus parce que je voulais qu’on puisse le réécouter dans 10-15 ans sans se dire que c’est l’album du confinement. Ce n’était pas le but.
« Faire un album sur le confinement, ce n’était pas le but »
Du coup, l’album n’aurait pas vu le jour sous cette forme s’il n’y avait pas eu la pandémie ?
Je ne pense pas. De toute façon, aujourd’hui, j’imagine mal un artiste dire qu’il a fait totalement abstraction de ça. C’est quand même un an et demi de notre vie et on en est plus qu’impacté, que ce soit au premier ou au dixième degré. On ne vit pas de la même manière. Des choses ont changé et il faut l’accepter. Le but, ce n’est pas de faire des chansons sur un virus mais de dire ce qui a pu changer, ce qui va changer et d’interroger les choses. C’était ça aussi l’idée du titre de l’album « Ta place dans ce monde » : ça nous a permis de nous interroger sur ce qui comptait vraiment, si on est au bon endroit, si on travaille dans le bon métier, si on habite avec la bonne personne, est-ce qu’on a les bonnes priorités dans notre vie… C’est pour ça que je l’ai appelé comme ça. Ce qui rejoint tous les personnages de l’album, qui sont tous différents avec des âges et des milieux sociaux différents, c’est qu’à un moment donné de leurs vies, ils se sont demandés ce qu’ils faisaient là.
La pandémie et les confinements vous ont permis de vous replonger dans vos souvenirs, comme dans « Les toits de paris » ?
Quand on a un peu de temps devant nous, je pense aux périodes de vacances. J’aime bien replonger dans l’enfance, dans les souvenirs et les albums photos. C’est vrai que cette chanson, c’était complètement ça. J’avais envie de me replonger dans la période où j’arrive à Paris : j’ai 17 ans, je pars de chez mes parents et j’arrive tout seul dans une capitale qui ne ressemble pas du tout à l’endroit dans lequel j’ai grandi, donc c’est vraiment un autre univers. J’arrive au sixième étage dans une chambre de bonne avec une toute petite tour Eiffel qui pointe à l’horizon et qui me fait un peu rêver. J’ai eu un espèce de coup de coeur de liberté, de rêverie, de la carte postale des toits que je découvrais. J’avais envie de retrouver ce sentiment que j’avais éprouvé au tout début et dont on finit par se lasser, forcément quand on habite des années au même endroit, et ça a fini par s’effilocher un petit peu. C’est une de mes chansons préférées de l’album parce que ça me rappelle une période qui m’a ému, c’est une chanson très autobiographique. C’est une chanson sur Paris, mais ça s’entend que ce n’est pas quelqu’un qui a grandi à Paris.
« Je doute beaucoup plus aujourd’hui qu’à mes débuts »
C’est aussi le cas pour « Elle était là », où vous revenez sur vos débuts ?
Oui ! On a l’impression que je suis déjà très vieux, que je reviens déjà sur mon passé (rires). C’était important de rendre hommage à la personne qui est là depuis le tout début depuis ma première ligne, ma première chanson, qui était très mauvaise, et qui a continué de me soutenir malgré mes périodes de doute. Le chemin est toujours sinueux, il y a toujours des barrières à sauter. Ce n’est jamais évident, ce n’est pas écrit d’avance. J’avais envie de me rappeler que je n’étais pas tout seul dans le bateau et quand il y a un dénouement un peu joli, c’est important de regarder dans le rétro, mais plus avec un petit sourire en coin. Il y a eu ces périodes là, on a un peu galéré mais pas trop non plus, c’est pas une période qui m’a plombé. Ça aurait pu durer plus longtemps, pour certains artistes ça dure toute une vie et c’est compliqué à vivre. Ce n’était pas du tout pour me plaindre de cette période-là, c’est plus pour dire qu’elle était importante. C’était fondateur d’avoir ces années où on s’interroge, si on est fait pour ce métier-là. Est-ce que je suis un artiste ? Est-ce que je suis fait pour vivre de ça ? C’était vraiment une chanson à la fois sur ça et sur ma compagne qui a toujours été là.
Ces périodes de doute et d’interrogation, c’est ça qui a été le plus difficile au début ?
En fait, quand j’y pense aujourd’hui, ce n’est pas vraiment ça qui m’animait tous les jours. Je ne doutais pas tellement, j’étais tellement dans l’envie de faire ce métier, j’avais envie de m’accrocher… Evidemment j’ai douté mais ça n’a jamais été négatif. Je ne me suis jamais dit que je n’y arriverais jamais et que tout le monde s’en foutrait de ma musique. J’arrivais toujours un peu à avancer et à avoir des marches à gravir au fur et à mesure, sans sauter les étapes. J’ai l’impression que je doute beaucoup plus aujourd’hui qu’à mes débuts ou au premier album. Ce n’est pas que j’attendais rien mais mon rêve ultime, ce n’était pas d’avoir du succès ou de jouer dans des Zénith, c’était juste de vivre de ma passion et de ce métier-là. Déjà de faire un métier qui est ta passion, c’est quelque chose de très privilégié aujourd’hui car il y a beaucoup de gens qui se lèvent le matin en voulant faire autre chose. Après, quand il y a eu toutes ces choses qui se sont accélérées pour moi, je me suis replongé là-dedans et je me suis rendu compte que c’étaient des belles années. Heureusement qu’il y a eu ça, s’il n’y avait eu que des jolies choses, j’aurais moins savouré.
« Je n’allais pas me déguiser en quelqu’un d’autre pour avoir du succès »
Dans ce titre, vous chantez « Quand le marchand d’ambitions me disait « Ce sera dur », lui qui vend des chansons comme on vend des chaussures ». On peut y voir une critique des labels qui veulent vendre plutôt que de miser sur l’artistique ?
C’était plus une petite pique lancée… C’est pas vraiment sur les maisons de disques ou quelqu’un en particulier. Mais dans ce milieu-là, on a l’impression qu’il y a plein de gens qui savent, qui vont te donner des conseils : « Tu devrais faire ça. Pourquoi tu te lances là-dedans ? Regarde aujourd’hui ce qui marche c’est ça ». Et c’est encore le cas parfois aujourd’hui. Alors qu’on sait très bien qu’il y a énormément d’accidents dans la musique. Il y a des succès qu’on n’aurait jamais imaginés. Moi, on m’a dit « Tu verras si jamais tu fais de la chanson française à textes, ça marchera jamais, ce n’est plus du tout à la mode ». C’était plutôt un pied de nez par rapport à ça. C’était ça qui m’animait, donc je n’allais pas me déguiser en quelqu’un d’autre ou me pervertir pour avoir du succès. Je pense que c’est aussi ça qui font que les gens se sont reconnus dans les chansons : comme ce n’était justement plus à la mode, il y avait une place pour ces chansons-là. Ça reste de la chanson assez traditionnelle qui existe depuis toujours. D’en faire une originalité c’était assez drôle, c’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Ça vous est donc arrivé ?
Ah oui, bien sûr ! Beaucoup au départ, aujourd’hui un peu moins parce que j’ai un petit peu plus de bouteille. Même si quelqu’un essayait de me faire changer de cap, je sais ce que j’aime. Je me connais mieux aussi aujourd’hui que quand j’étais plus jeune. Forcément avant un premier album, on se cherche un peu plus. Mais oui ça m’est arrivé d’entendre ce genre de discours et je pense que ça existera toujours. Il y a toujours des gens qui pensent détenir la vérité et, heureusement dans ce milieu-là, il n’y a pas de formule magique ni de recette. Et c’est ça qui fait la beauté de la chose !
Regardez le clip « Elle était là » de Gauvain Sers :
« Le succès, ça a été quelque chose de totalement inattendu »
Cette idée de rapport à votre carrière de chanteur et au succès est aussi présente dans « Chanteuse de salle de bain » : plus jeune, vous rêviez déjà de remplir des Olympia et des Bercy ?
Un petit peu… Quand on est vraiment mômes, on y pense car on a des rêves plein la tête. Je pense que mon premier rêve, c’était de marcher sur la lune et d’être tennisman professionnel. J’ai eu le côté chanteur, j’ai des vidéos de quand j’étais tout petit où je fais du air guitar et je m’imagine chanter devant plein de monde. C’est vrai que j’ai toujours aimé me mettre en spectacle, faire le pitre, le guignol… Mais après, quand ça a été un peu plus sérieux, ce n’était vraiment pas ça qui m’animait. Je pensais que c’était tellement impossible que je ne l’avais pas intellectualisé dans ma tête. Ça m’est tombé dessus mais je crache absolument pas dessus : je ne vais pas tout dézinguer pour faire en sorte que ça marche parce que je n’aime pas les gens qui ont du succès ou parce que j’ai l’impression d’avoir trahi mes valeurs du début. J’essaie de garder les mêmes valeurs que ce qui m’a donné envie de faire ce métier. Je me sens privilégié d’avoir plus de visibilité et ça donne même encore plus de responsabilité pour faire les meilleures chansons possibles. Le succès, ça a été quelque chose de totalement inattendu et heureusement car on peut être déçu si l’on se prépare à quelque chose.
Comment avez-vous vécu le joli succès des deux premiers albums ?
Ça a été un tourbillon de dingue. Même depuis avant la sortie du premier album : la tournée avec Renaud, c’était un an d’une aventure complètement dingue à jouer dans les Zéniths. C’est vrai que depuis 2016, ça ne s’est pas trop arrêté. C’est pour ça que ce confinement, qui a été terrible dans de nombreux domaines et dans la vie de beaucoup de gens, il y a eu une facette de moi qui l’a pris du bon côté. J’ai pu me reposer, faire le point sur ce qui s’était passé qui a été complètement fou. Aujourd’hui, il y a ce troisième album qui arrive et j’ai l’impression d’avoir autant de pression sur les épaules que le deuxième car rien n’est jamais acquis. Ça me pousse un peu dans mes retranchements. Quand j’attaque des nouvelles chansons, je n’ai pas encore l’impression d’avoir écrit la chanson parfaite. C’est ça qui me donne envie de continuer d’écrire.
« Les comparaisons avec Renaud, j’ai pris ça avec du recul »
Les comparaisons avec Renaud vous pèsent-elles toujours autant aujourd’hui ?
Honnêtement, beaucoup moins que sur le premier album. D’ailleurs, je l’ai réécouté récemment et c’est vrai qu’il y avait plus d’intonations. C’était totalement inconscient mais forcément j’étais très imprégné par tout ce que j’avais écouté depuis que j’étais tout petit. J’entends d’autres références, mais qui sont peut-être moins connues, du coup on les entend moins. Mais on en m’a beaucoup parlé parce que je sortais d’une tournée avec lui, donc l’héritage était tout trouvé. Honnêtement, on m’en parle beaucoup moins, j’ai pris ça avec du recul. On est toujours le fils de quelqu’un. C’est difficile d’inventer quelque chose aujourd’hui dans la musique, il y a très peu de gens qui révolutionnent un art comme celui-là. Moi j’essaie de le faire à travers des nouveaux sujets, des thèmes qui n’ont jamais été abordés, des angles de vue ou une manière de poser la caméra sur les choses qui n’ont jamais été faites. Tout en essayant d’avoir des touches de modernité. Pour autant, je ne vais pas me mettre demain à faire de la musique urbaine parce que c’est à la mode… Mais c’est vrai que cette comparaison avec Renaud, je suis plus qu’en paix avec ça. Et c’est vrai qu’il y a largement pire comme comparaison. Ça m’a toujours aussi beaucoup flatté parce que c’est un artiste à qui je dois beaucoup de choses. Il a été tellement généreux avec moi, il y a très peu d’artistes qui le font et ça je ne l’oublierais pas.
« Sentiment étrange » est une chanson sur le racisme : c’était important de vous engager en chanson sur cette thématique ?
C’est un truc qui m’est assez insupportable au quotidien d’imaginer qu’en 2021, toute forme de racisme existe encore. C’est assez fou de se dire ça, de voir toute cette intolérance, cette impression de revenir en arrière et d’être en boucle un peu tout le temps sur les mêmes problèmes. C’est assez insupportable et c’est tellement dommage de se pourrir la vie avec ça, de catégoriser beaucoup les gens. Il y a une référence à la chanson « Lili » de Pierre Perret, et l’idée c’était de faire un état des lieux par rapport à cette chanson pour savoir ce qui avait changé, ce qui avait évolué et ce qui reste à faire. Il y a des choses qui ont changé mais il y a encore beaucoup de boulot. Je pense que je n’en finirais pas d’écrire sur des sujets comme ça car c’est le genre de choses qui rendent dingue. Ça fait partie des nombreuses injustices dans le monde qui nous entoure et il faut continuer à les pointer du doigt.
« C’est insupportable d’imaginer que toute forme de racisme existe encore »
D’autant plus dans le contexte d’aujourd’hui, alors qu’on arrive dans une année présidentielle ?
C’est vrai ! Il y a des tas de sujets qui vont revenir sur la table. Il y a des sujets qui reviennent et qui tournent en rond, on est toujours dans les mêmes débats, on s’en rend compte et c’est terrible parce qu’on se sent tellement impuissants, par exemple sur ce qu’il se passe aujourd’hui en Afghanistan. On a l’impression de remettre les compteurs à zéro, 20 ans en arrière et de se dire que tout ça n’a servi à rien. C’est assez déprimant quand on regarde le prisme de ce côté-là. Mais j’ai encore l’utopie et l’espoir que les chansons peuvent encore semer quelques graines d’humanité chez les gens.
J’ai l’impression qu’on entend beaucoup d’artistes étrangers évoquer ce sujet du racisme en chanson, mais beaucoup moins les artistes français…
C’est vrai, je me suis posé la question… Et c’est pour ça que je fais ce clin d’oeil à « Lili », parce que c’est vraiment un standard de la chanson. Et il y a assez peu de chansons qui évoquent ça frontalement parce que c’est un peu clivant. Ça reste un sujet clivant. Mais tu as raison, je m’étais posé la question au moment de l’écrire et je ne regrette pas de l’avoir fait parce que c’est quelque chose qui m’énerve au plus haut point. De toute façon pour aborder un sujet ou un thème, il faut que je sois très ému, bouleversé ou en colère. Là, je pense que c’était de la colère et j’ai essayé de le transformer en un portait, en prenant un peu plus de distance et en appuyant sur les choses que je voulais mettre en dérision quelque part aussi.
Regardez le clip « Ta place dans ce monde » :
« Il faut que je sois ému, bouleversé ou en colère pour écrire sur un thème »
Vous mettez en avant ceux qui sont « en première ligne » comme les caissiers, les livreurs. Vous trouvez qu’au quotidien, on ne se rend pas compte de leur importance ?
On s’en est rendus compte, justement, c’est peut-être la première fois. C’est assez triste et malheureux qu’il faille une pandémie mondiale pour s’en rendre compte. Le fait que j’ai gardé cette chanson-là, que j’ai voulu la mettre sur l’album, et que ce soit quelque part la seule qui parle de cette période-là au sens premier du terme… J’ai gardé celle-là parce que je trouvais que c’était important de rendre hommage à ces gens-là, sans qui la terre ne tournerait pas rond. C’était important de leur rendre hommage sur la durée : ils ont été applaudis aux fenêtres pendant des semaines, ils ont été dans la lumière, on les a soutenus… Mais aujourd’hui, leur statut n’a absolument pas évolué ou changé, ils sont toujours dans la même sous-considération et je trouvais que ça méritait largement une chanson dans la durée, de la figer sur un album et de clamer haut et fort que ce serait peut-être bien de revaloriser leur statut.
Comme vous le disiez tout à l’heure, il y a donc cette idée que les choses n’ont pas changé, on revient toujours au même point…
Malheureusement, l’être humain tourne un peu en rond. On s’en rend compte assez souvent dans le monde entier, on reproduit assez souvent les mêmes schémas, les mêmes erreurs.
Dans vos chansons, il y a toujours l’idée de parler des « petites gens ». Vous chantiez déjà pour « Les oubliés », et c’est encore le cas ici notamment avec « La France des gens qui passent » ou « Les gens de l’ombre ». Vous vous considérez comme cette voix de la France »d’en bas » ?
Le côté « France d’en bas » je l’entends un peu péjorativement car c’est la France, une grande partie de la France. Je le trouve péjoratif dans le sens où c’est une grande partie de la France. Mais le fait d’être ému par cette France-là qui ne se donne pas forcément en spectacle, qui ne fait pas partie des décideurs ou de l’élite, c’est sûr que je me sens très proche de ces gens-là, et c’est pour ça qu’ils m’inspirent : je suis touché par cette espèce d’abnégation. Je parle beaucoup des métiers aussi. « Les gens de l’ombre », ce sont les travailleurs de l’ombre, qui récoltent rarement le fruit de leur travail et de leur sueur. Je ne sais pas si je suis un porte-voix mais en tous cas ce sont des gens qui me donnent envie d’écrire, qui sont inspirants parce qu’ils sont beaux tout simplement. C’est vrai qu’il y a eu « Les oubliés »… « Les gens de l’ombre » a aujourd’hui une résonnance un peu différente avec ce refrain « On ne les applaudit pas » alors que je l’avais écrite avant le confinement. Je pense aussi à tous les gens, notamment dans mon métier. C’était pour ça le refrain, moi on m’applaudit le soir quand je vais chanter, je me disais « Est-ce qu’il n’y a que moi qu’on doit applaudir ? ». Je suis dans un bateau avec plein de monde. Quand je sors un album, il y a des gens à côté, des épaules pour nous soutenir, des techniciens pendant les tournées, des gens qui ne sont pas dans la lumière et ce côté « gens de l’ombre » m’a toujours ému.
« Je me sens proche de la France qui ne fait pas partie de l’élite »
Au vu des sujets évoqués, j’ai l’impression que cet album est encore plus social et politique que les précédents…
C’est vrai ! J’arrive pas à me rendre compte, parce que c’est vrai que le premier album était très social, mais peut-être plus frontal. Forcément, il y avait plus d’insouciance, d’innocence, de jeunesse… Et sur celui-là, il y a peut-être un peu plus de recul, de maturité aussi. J’essaie de prendre un peu plus de retrait sur les choses et d’être plus observateur que d’être totalement impliqué dans les chansons. Mais c’est sûr qu’il y a un côté social par rapport à comment le gens interagissent les uns avec les autres. Encore une fois c’est une histoire de place, mais quelle est la place de chacun ? Chacun mérite-t-il vraiment la place qu’il a ? Faudrait-il faire de la place pour certains ? Il y a ces vies qui se télescopent, je pense au « Convoyeur » qui est une chanson très sociale. C’est une chanson que je n’aurais pas écrite sur le premier album et qui est assez différente des autres. « La France des gens qui passent » est pour le coup une chanson qui est vraiment à la frontière entre quelque chose d’intime et quelque chose de plus observé parce que je me mets à la fois en scène sur la terrasse et j’observe les autres. Celle-là, c’est un peu la charnière. C’est à la fois ce qu’il y a de plus beau quand on observe les gens pendant une après-midi, on voit des choses magnifiques et poétiques qui nous redonnent foi en l’humanité, et deux minutes après, on va voir quelque chose qui va nous saper le moral, comme quelqu’un qui va faire la manche… C’est la vie en général, il y a des très belles choses et d’autres un peu moins jolies.
Dans la chanson « Sentiment étrange », vous chantez voir le verre à moitié plein…
J’espère que j’ai gardé encore un petit peu d’espoir en moi dans mon petit réservoir. Je crois que la vie est tellement cruelle et je suis assez réaliste là-dessus, mais je crois que je suis de nature profondément optimiste de base et heureusement, sinon ce serait un album très très noir, il aborde des thèmes parfois assez graves, assez durs, mais j’essaie toujours de faire retomber la pièce du bon côté. Je crois que les chansons sont aussi faites pour ça, pour nous redonner un petit coup de fouet, un regain d’énergie pour affronter ce monde qui court à 100 à l’heure, cette planète dont l’avenir nous fait peur… Les chansons doivent aussi nous rebooster.
« Je crois plus au pouvoir des gens qu’en la politique »
En étant assez optimiste de cette façon, est-ce que vous croyez en la politique aujourd’hui pour que le monde change ?
La politique peut changer des choses… Mais la politique c’est aussi nous. Je crois plus au pouvoir des gens qu’en la politique. Mais ceux qui votent pour les politiques, ce sont les gens. Si on arrive à redonner de l’espoir aux gens, peut-être que les politiques pourront aussi mener une politique qui aille dans le bon sens, celui de l’égalité et de notre devise républicaine qui est souvent bafouée en ce moment.
Vous pourriez vous engager pour un politique ?
Non… Je pense pas parce que déjà aujourd’hui, il n’y a pas une figure à travers laquelle je me sente totalement en accord avec le personnage et les idées. Un politicien, c’est aussi un homme ou une femme derrière et j’aurais besoin d’être à fond derrière les deux, d’être en accord avec ses idéaux et avec la personne qui doit me toucher. Pour l’instant j’avoue que je suis assez déçu de ce point de vue là, et je préfère m’accrocher aux chansons plutôt qu’à une idée politique.
Ecoutez « Les toits de Paris » :
Bien que vous parliez beaucoup des autres, j’ai l’impression que c’est finalement votre album le plus personnel, le plus intime…
Je m’en suis rendu compte à la fin. Quelque part, je me suis beaucoup livré sur des choses très intimes, ce que je n’avais pas forcément fait avant. Je me suis mis à nu, plus que d’habitude. Peut-être qu’avec l’âge je m’autorise plus de choses. J’avais peur que ce soit un peu impudique parfois, notamment la chanson « Elle était là ». Mais je crois que quand on est artiste, quand on est sur scène, on est à nu aussi. De toute façon, on se livre un petit peu et il suffit de mettre une barrière sur ce qu’on est prêt à donner aux gens ou pas. Mais je crois que c’est important de le faire car souvent, quand on livre des choses très intimes, les gens s’y retrouvent et c’est souvent les chansons les plus sincères et les plus honnêtes.
« Il n’y a pas de solution miracle pour l’instant face au virus »
Dans une récente interview, vous avez exprimé vos doutes sur le pass sanitaire. Pourquoi ?
C’est drôle parce qu’ils ont repris cette phrase, alors que c’était une phrase d’accroche de journaliste. C’est pas vraiment ça que j’ai dit, déjà… Le fait que ce soit obligatoire, évidemment ça me dérange, ça dérange tout le monde, le fait qu’on doive se scanner à l’entrée d’un bar, d’un restaurant, d’une salle de concert, d’avoir le sentiment d’être un peu fliqué tout le temps. C’est très dérangeant pour nos libertés individuelles. Et à la fois, personne n’a trouvé de meilleure solution pour endiguer un virus qui en train de tuer des gens donc forcément, il n’y a pas de solution miracle pour l’instant. J’ai plutôt foi… Je suis un scientifique à la base, j’ai la naïveté de croire que tous ces scientifiques qui ont dû travailler jour et nuit dans un but commun qui est de trouver un remède à ce virus et qui peut peut-être sauver des dizaines, des centaines de milliers de personnes, j’ai quand même tendance à leur faire confiance. Et j’espère que dans 50 ans, on se dira qu’on a bien fait de se vacciner parce que sinon il y aurait deux millions de morts en plus.
Quelle place pensez-vous qu’auront les chanteurs, et plus largement l’industrie musicale, au sortir de cette crise sanitaire ?
J’espère qu’on s’est rendu compte pendant cette période que la culture avait une place importante et que ça faisait partie intégrante de nos vies. On s’en est rendus compte quand nos métiers se sont arrêtés. Quand il a fallu être chez soi, on s’est raccroché à quoi ? Regarder des films, écouter de la musique, lire des bouquins… Pour moi, c’est l’essence de la vie, ce sont des émotions. Et c’est ce qui rythme les petits bonheurs du quotidien. J’espère vraiment que la musique va reprendre ses droits, que les concerts vont pouvoir se refaire dans des conditions comme avant et qu’on va encore plus en profiter. Durant les concerts qu’on a fait cet été avec notre équipe, on s’est rendu compte à quel point on était privilégiés de faire tout simplement de la musique ensemble, essayer de faire voyager les gens pendant une heure et demi, leur faire oublier les choses dures du quotidien. La musique permet d’adoucir les moeurs et de mettre des petits pansements sur pleins de choses dans la vie.
Théau BERTHELOT
Source : Charts in France