Vingt-cinq ans après sa mort, le chanteur irrévérencieux reçoit toujours un double hommage, celui du monde de la chanson et celui du public
Georges Brassens, éternel fabuliste
Vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans déjà que Georges Brassens, en éternel estivant, « passe sa mort en vacances » (1). Si, depuis le 29 octobre 1981, il n’écrit plus, et pour cause, l’œuvre ciselée qu’il a laissée en héritage n’a pas cessé de courir les rues. Ses chansons continuent d’être fredonnées, ses textes déchiffrés par les enfants des écoles et ses mélodies « grattées » sur des guitares en tout genre. Les interprètes eux-mêmes se bousculent aux pieds de ses rimes.
Par passion pour l’homme et en hommage pour l’œuvre d’un poète. Une longue liste de noms plus ou moins célèbres de la chanson : Valérie Ambroise, Renée Claude, Éric Zimmermann, Maxime Le Forestier, Alain Souchon, Renaud et bien d’autres encore.
Les reprises de ses chansons-poèmes se sont succédé. Il faut d’ailleurs écouter au plus vite Putain de toi d’Olivia Ruiz, Stances à un cambrioleur de Pauline Croze, ainsi que la version live de Fernande interprétée par Carla Bruni (2). Une succession qui ne serait pas pour déplaire à l’homme à la moustache. D’autant qu’en son for intérieur, l’artiste a toujours préféré l’écriture à la scène. Une préférence pour la composition qui devra se plier aux obligations dues au public, à Bobino notamment.
La texture des mots
Les mélodies et les textes de Georges Brassens ne hantent pas seulement les hautes sphères de la chanson française. Ou considérées comme telles. Bien des interprètes, souvent auteurs et compositeurs eux-mêmes, mettent ou ont mis à leur répertoire les fables musicales du créateur de L’Auvergnat. Une aubaine pour tenter de comprendre ce qui pousse encore les saltimbanques de la chanson à entonner Les Trompettes de la renommée et à jouer les premiers accords des Amours d’antan.
Jacky Guilbert, à l’origine d’Archibald Trio, est l’initiateur d’un voyage dans l’univers de Georges Brassens. Un spectacle où partie musicale et diaporama s’épousent afin de montrer la cohérence profonde entre le discours et la vie chez son auteur de prédilection. Guitare, contrebasse et accordéon – tenu par les bras féminins de Guylaine Léori, sacrée championne du monde de l’instrument en 1989 – se font humbles serviteurs des mots, de cette « richesse de vocabulaire » qui imprègne toute l’œuvre du chanteur sétois. Pour Jacky Guilbert, c’est sûr, l’origine de la mélodie chez Georges Brassens est à rechercher dans la texture des mots eux-mêmes.
«Le plus grand auteur-compositeur de chansons populaires»
Une qualité de l’écriture soulignée par cet autre « aficionado » de l’homme à la pipe qu’est Jean-Pierre Gabilan. « Il existe bien sûr de très grandes chansons que d’autres ont écrites et chantées, explique-t-il. Mais chez Brassens, c’est de régularité dans la qualité qu’il s’agit. » Propos qui rejoignent ceux de Maxime Le Forestier dans le magazine Chorus, lorsque celui-ci affirme que le bon maître « est l’un des rares à s’adresser à notre intelligence ».
Une analyse soutenue par Jean Bonnefon. Le chanteur, passé par le rock dans les années 1960 avant de rejoindre le monde de la mélodie française et de participer à la « nouvelle chanson occitane », chemine avec l’auteur de La Cane de Jeanne depuis quelques années. « Début 2000, explique-t-il, je suis allé chanter avec mon ami Patrick Salinié trois chansons au milieu du tour de chant de Joël Favreau en Dordogne. Nous avons interprété Brassens à deux voix, de façon non traditionnelle. Succès. On nous a passé commande pour un tour de chant. Ça ne s’arrête pas depuis cinq ans. »
Pourquoi Brassens ? « Parce qu’il est, à mes yeux, le plus grand auteur-compositeur de chansons populaires en France, poursuit sur sa lancée Jean Bonnefon. Il a fait passer cet art mineur à un degré d’exigence et de qualité inégalés avant lui. » « Bien sûr il y a les grands – Ferré, Brel, Nougaro, reconnaît le chanteur. Mais lui possède une dimension plus large : son propos est universel. »
«Un univers évangélique»
La haute tenue poétique des chansons liée aux indéniables qualités de l’homme fait donc de Georges Brassens un auteur à part, « un chanteur qui recueille un consensus rare ». Un tendre, caché derrière les mots rudes de certaines de ses poésies. « Un moraliste, un fabuliste », pour Philippe Forcioli. « Ses textes contiennent le plus grand respect pour chacun, le pauvre homme comme la pauvre fille. Pour moi, c’est un univers évangélique », avance même le poète.
La source du succès toujours renouvelé des chansons du Sétois est donc à chercher dans la fraternité immanente de la plupart de ses textes. Le public répond encore et toujours présent. « Il ne lasse pas et garde bon pied bon œil dans notre monde moderne, souligne Bernadette Delchambre. Il résiste aux modes éphémères. Le public est large, jeunes et moins jeunes, classes sociales diverses le composent. »
Philippe Thomas, jeune auteur-compositeur de talent, a écrit un bel hommage à Brassens. Simplement intitulé Monsieur Georges, il contient ces mots : « Ta cible favorite était la société qui conduit l’homme éthique à devenir mauvais. Tu préférais châtier quelques institutions, plutôt que d’agresser l’homme, en toute affection. »
Claude COLOMBO-LEE
(1) Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
(2) Titres inclus dans le CD hommage à Georges Brassens intitulé Putain de toi, chez Mercury.
(3) Pour en savoir plus : Centre de la chanson, tél. : 01.42.72.28.99 et www.centredelachanson.com
Source : La Croix