Paris Match || Mis à jour le
L’acteur devient chanteur le temps d’un album composé par son fils. Le temps aussi de nous en parler en exclusivité.
Paris Match. Cette collaboration, c’était une évidence ?
Manu Lanvin. Lors d’un anniversaire où nous étions l’an passé, Gérard parlait avec ces formules que je connais tant, de faits de société et de politique. Ce soir-là, je me suis dit qu’il faudrait qu’il soit écouté ou lu par le plus grand nombre. Je sais qu’il écrit beaucoup. Alors j’ai composé dix titres en une soirée, je l’ai appelé et je lui ai dit : « Tu vas sortir tous tes carnets de notes et on va les mettre en musique ». Le format chanson a cette contrainte d’être concis mais l’avantage d’avoir le contrôle de ce qu’on y dit. Plusieurs fois, sur des plateaux de télé, il s’est chauffé sur les politiques…
Gérard Lanvin. Je suis un bon client, comme on dit.
M.L. Et c’est plus ou moins bien pris !
G.L. J’ai voulu faire un constat social. Lanvin, c’est aussi l’an vingt. Et il y a de quoi parler sur l’année écoulée : les comportements, l’inadmissible… Manu m’a appris à me lâcher. D’un coup, vous n’êtes plus l’acteur, vous êtes chanteur. J’interprète toujours les mots des autres. Là, j’ai pu interpréter les miens et attaquer les thèmes qui me préoccupent depuis toujours. Je n’ai pas accepté parce que c’est mon fils mais parce que c’est un artiste dont je connais le talent et la rigueur. Si je fais quelque chose avec quelqu’un, je veux être sûr de sa possibilité de réactivité quand je suis inquiet. Il faut qu’il soit là. Manu connaît mon tempérament de saltimbanque. Si un mec d’une maison de disque me l’avait proposé, j’aurais dit non. C’est trop compliqué de faire confiance à des inconnus, je le fais au cinéma, je sais de quoi je parle ! Ils coupent tes scènes ou alors c’est monté n’importe comment. Sans Manu, je n’aurais jamais réussi à me lancer.
Travailler en famille, c’est plus facile ?
G.L. On peut boire des coups sans demander l’autorisation !
M.L. Dès qu’il passait la porte, on était dans une dynamique de travail. Mon boulot a été d’obtenir le meilleur de lui – l’interprétation, la voix, la justesse… Là où c’était super de bosser avec Gérard – et pas mon père ! –, c’est qu’il est un travailleur hors pair. Il est reconnu pour ça dans le cinéma. Il n’a rien lâché alors que je l’ai vraiment saoulé sur certains morceaux. J’ai l’habitude des musiciens mais un acteur, c’est différent, il y a ce curseur émotionnel que tu peux déplacer à ta guise, c’est fascinant.
G.L. J’ai vu Manu évoluer et se construire en tant qu’artiste. Un jour, il m’a demandé la guitare du film « Marche à l’ombre », qui était dans un coin. Je lui ai dit : « Si tu veux, tant que tu fermes les portes. » Depuis, je l’ai toujours suivi, jusque dans les arènes de Nîmes sur la première partie de la dernière tournée d’Hallyday. Il m’a fait monter sur scène pour la première fois à Avignon. Quand il m’a présenté au public, comme il l’a fait pour tous les musiciens, il a dit : « Voici mon daron », et là, c’était la surprise. C’est pour ça que je m’identifie avec un nouveau look. Sinon, les gens voient un acteur arriver. J’avais une appréhension du « qu’est-ce qu’il fout là, lui ? », mais le public m’a accepté. Je n’avais jamais connu cette émotion. Et je ne pensais pas que je pouvais chanter ! J’avais fait « Ginette Lacaze » avec Coluche, on me disait que j’étais baryton Martin, mais ça ne voulait rien dire pour moi. Florent Pagny est baryton Martin ! Ça n’a rien à voir avec moi !
«Plus jeune, quand on me demandait ce que je voulais faire, je répondais « avocat » et mes parents pouffaient de rire» Manu Lanvin
Un de vos titres s’attaque aux réseaux sociaux… Vous vous sentez en marge par rapport à l’époque ?
G.L. Les mecs qui critiquent derrière leur ordi, c’est pas possible. C’est Manu qui gère mon site Internet et je ne sais même pas comment y aller.
M.L. J’ai surtout peur qu’il y prenne goût et qu’il s’y mette. Il va répondre à tout le monde! [Il rit.]
G.L. Ceux qui ne m’aiment pas ont raison, ceux qui m’aiment aussi. Je m’en fous. J’arrive à un âge où ces choses-là ne me préoccupent plus. Le vrai problème, c’est que j’ai eu de la chance, j’ai eu une vie heureuse. Je ne vais pas commencer à m’emmerder avec des gens qui peuvent me rendre malheureux!
Les politiques vous agacent encore et toujours…
G.L. Ce qui me gêne, c’est que certains devraient faire comme Hulot et dire: « Je ne peux pas faire, donc je pars. » Roselyne Bachelot ne sert à rien depuis le début de cette crise.
M.L. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas d’artiste à la tête du ministère de la Culture. Et à la fois, il faut avoir envie d’un poste pareil…
G.L. Le mec qui veut être président aujourd’hui est dingue ! La chanson « Entre le dire et le faire », que j’ai écrite sur les présidents, n’est pas une critique. Je ne raconte que ce que j’ai lu dans « Voici ». On a affaire à des people qui ont complètement oublié la fonction! À une époque, on avait des tauliers qui connaissaient le terrain. Il n’y avait aucune médiatisation autour de leur vie personnelle. Hollande a perdu 27 kilos, il en a repris 120… Tu as voulu m’embrouiller en perdant du poids ? C’est tous des charlots. Aujourd’hui, on nous dit: « On est en guerre. » Mais non! On est face à un problème, alors gère-le, gamin! Je peux te dire que, si on était en guerre et que Poutine débarquait avec ses tanks, on tiendrait sept minutes.
Vous comprenez qu’on puisse voir une ressemblance avec les textes de Renaud ?
G.L. J’adore Renaud. C’est un grand poète. Je l’ai connu, et bien connu puisqu’il a épousé ma première femme ! [Il rit.] On a des goûts communs… J’ai suivi son évolution, de la Pizza du Marais devant douze mecs jusqu’à sa première grosse scène, au Châtelet face à 2000 personnes. Notre petit Renaud avec son bandana… Il a eu la gentillesse de dire que s’il aimait les bandanas c’est parce que j’en portais. Son écriture m’a toujours parlé.
Les similitudes entre vos textes viennent aussi du langage de votre génération avec beaucoup d’argot.
G.L. Bien sûr. « Marche à l’ombre » par exemple, c’est une réflexion qu’on faisait à nos clients aux puces. « Salut, marche à l’ombre ! » Et c’est devenu le titre d’un film. J’ai travaillé avec Coluche, on habitait ensemble, on était très proches. Lui aussi parlait comme ça, en langage imagé. Comme toute une génération de chanteurs que j’adore. Alain Souchon, France Gall, Michel Berger, Francis Cabrel… Et Véronique Sanson, c’est une gonzesse magique, une chanteuse incroyable qui vous amène dans des émotions…
M.L. On a passé des étés dans le Médoc sur fond de France Gall… en boucle!
«Je ne vais pas commencer à m’emmerder avec des gens qui peuvent me rendre malheureux!» Gérard Lanvin
Au milieu de vos coups de gueule, il y a une chanson d’amour pour votre femme, Jennifer.
M.L. C’est moi qui lui ai soufflé l’idée. Je trouvais intéressant qu’il se dévoile, même si c’est avec beaucoup de pudeur. La mélodie a amené une forme de romantisme.
G.L. « La magie du grand amour est d’ignorer qu’il puisse finir un jour »… Je lui offre ça parce qu’on a une vie en commun depuis longtemps. Maintenant on est âgés, on se regarde et on se dit: « Putain, c’est passé tellement vite! »
D’où vous vient cette passion pour la musique, Manu?
M.L. Tous les goûts musicaux de mes parents, ceux dont on a parlé mais aussi du blues, de la soul, Otis Redding, Joe Cocker… Tout ça a eu une influence sur ma manière d’appréhender et de faire de la musique. Mais je ne l’ai pas vu comme une rébellion. Mes notes n’étaient pas terribles. Quand on me demandait ce que je voulais faire, je répondais « avocat » et mes parents pouffaient de rire. Le jour où je leur ai dit que la musique me plaisait, ils m’ont laissé répéter le soir alors que je n’avais droit d’aller à aucune boum. Pour la musique, j’avais un laissez-passer.
G.L. Ce qui a été dur pour lui, c’est qu’on a dû déménager quand il avait 15 ans pour vivre au bord de la mer.
M.L. Et ce n’est pas très rock’n’roll, La Baule ! La musique est considérée comme du bruit là-bas. Des musiciens m’emmenaient en concert avec eux dans des cafés en Bretagne. Ça m’évitait de me coltiner les mecs avec leurs polos.
G.L. Tu sais bien qu’on n’avait pas cette vie-là, nous… On vivait à la campagne. La Baule, ça a été magique pendant trente ans. J’ai même ouvert un bar de nuit là-bas. Je me suis senti privilégié de pouvoir habiter au bord de la mer tout en continuant mon métier. C’est ça l’avantage d’être dans des « films de provinciaux ». Les petits marquis parisiens qui vont dans les soirées bidons comme les César – on a vu ce que ça donnait cette année – disent: « Ah non… pas Gérard Lanvin. » Mais je m’en fous, j’ai d’autres seigneurs. Olivier Marchal est comme moi, c’est un mec fragile avec qui on vit de grands moments de partage émotionnel. Évoluer en dehors des structures parisiennes donne plus de réflexion sur le monde. Macron devrait aller faire un tour en province, porter un sac de cailloux pour voir…
C’est pour toutes ces raisons que vous ne vivez plus en France?
G.L. J’avais envie de chaleur, je suis parti au Maroc. J’estime avoir le droit d’aller où je veux sans être critiqué. J’ai eu des petites frictions avec Ruquier, alors que je l’estime beaucoup, qui disait en avoir marre de ces acteurs qui ne veulent pas payer d’impôts… Mais il plaisante! Je paye 60% d’impôts. Qui ne servent à rien. Quand Hollande voulait passer à 75%, j’ai annoncé que j’allais arrêter de bosser… Je ne vais pas donner 7,50 francs sur les 10 balles que je gagne! Mais je n’ai pas été au Maroc pour ça, j’y suis allé parce qu’on est heureux là-bas.
Ils doivent être sympathiques vos dîners de famille…
M.L. On rit beaucoup! Gérard monte facilement en pression sur les sujets d’actu. Il y avait ça chez Jo aussi, mon grand-père. Toujours avec des formules si particulières…
G.L. Après, on est très soudés. Si on a un ennui, la famille est là.
M.L. À mes débuts, c’était compliqué. Aucun label, aucun tourneur ne voulait de moi. Je suis assez pudique, plus que mon frère Léo, mais quand ça ne va pas, mes parents le cernent tout de suite et ils sont présents.
G.L. C’est grâce à ma femme, ça! C’est notre taulière. Je la connais depuis ses 25 ans, elle m’a fabriqué en tant que mec. Elle m’avait vu dans « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », elle avait dit: « Je déteste cet acteur. » Ça commençait fort! C’est quelqu’un qu’on n’a pas envie de décevoir. Elle a créé chez nous cette complicité. Léo vit au Brésil mais il nous appelle tous les jours.
M.L. Beaucoup de frères se connaissent, se respectent mais ne vivent rien ensemble. J’ai quinze ans de différence avec mon frère, et c’est mon meilleur pote. Je ne sais pas comment Jennifer a fait mais, malgré nos parcours artistiques qui auraient pu créer des ego qui s’entrechoquent, ça fonctionne. On se verrait bien partir en tournée tous ensemble, on forme une chouette bande.
Heureusement, on a de la folie chez nous. Mais ce qui m’a perturbé, c’est que mon fils devienne papa.
Quelle est la chose la plus importante que votre père vous ait apprise, Manu?
M.L. La ponctualité, le fait de regarder les gens dans les yeux lorsqu’on leur dit bonjour. Et on s’est souvent disputé sur la vertu. Il m’a dit d’être patient, que ça paierait d’être quelqu’un de bien sur la ligne d’arrivée. Je ne le croyais pas, je ne voyais que des sales mecs réussir. Il n’en a pas démordu. Et je sais qu’il avait raison. Les gens qui travaillent avec moi me suivent parce que j’ai appliqué ses codes de conduite. Je suis fidèle à ceux qui m’ont accompagné dès le début. Quand je bossais avec Johnny Hallyday ou Quincy Jones, je les emmenais.
Gérard, être grand-père, ça vous a changé?
G.L. Quand Zénia était petite, elle me transformait en pierre avec une baguette magique et je ne devais pas bouger pendant trente minutes. Il faut savoir être un peu dingo avec les enfants! Heureusement, on a de la folie chez nous. Mais ce qui m’a perturbé, c’est que mon fils devienne papa. Au départ, nous les hommes, on ne se rend pas compte. Et quand votre progéniture dit « papa » pour la première fois… N’ayant plus le mien, je me suis rappelé l’importance de ce mot. J’étais inquiet pour Manu. C’est une grosse responsabilité, je me suis dit: « Avec son boulot, comment il va organiser tout ça ? » C’est vrai, maintenant les couples se font et se défont si facilement… Mais c’est un papa incroyable, qui a fait une petite fille formidable, dont je suis fier.
M.L. Ça me touche que tu dises ça. C’est vrai que j’aurais pu me faire la malle… Quand on est musicien, on a un alibi pour ne jamais être là.
G.L. Manu et Zénia sont très complices… Ce qui sera un inconvénient quand elle va lui dire: « Viens, je vais te présenter Jean-Mi! »
Source : Paris Match