Québec, samedi 16 octobre 1993
LES ARTS ET SPECTACLES
QUÉBEC — Claude Berri avait été accusé de bouffer du communisme en adaptant à l’écran le roman de Marcel Aymé, « Uranus », qui évoque la collaboration et la résistance sous l’occupation nazie en France. Avec « Germinal » de Zola, Berri risque maintenant de se faire reprocher de communier avec les communistes, au moment où l’Europe de l’Est vient de tourner la page sur le cauchemar stalinien.
Il suffisait de dégager le front « comme ça » pour transformer Renaud en Lantier, dira Claude Berri sous le regard amusé de Miou Miou.
textes de LÉONCE GAUDREAULT
LE SOLEIL
C’est dans cette atmosphère de foire d’empoigne dont les échos viennent jusqu’à nous que le film français le plus cher de son histoire, 40 millions $, prend l’affiche au Québec, 10 jours après avoir été lancé à Paris.
Le cinéaste-producteur est venu cette semaine à Québec défendre son film en compagnie de l’actrice Miou Miou, et du chanteur Renaud à qui il a confié le rôle central du drame de Zola. Par contre, Claude Berri a laissé à Paris plein d’artisans de cette immense fresque de près de trois heures, dont Gérard Depardieu et Jean Carmet ne sont pas les moindres. C’est aussi à 8000 figurants, tous mineurs ou fils de mineurs, qu’il a fait ses adieux après 146 jours de tournage dans le nord charbonnier de la France.
Le populaire roman d’Émile Zola, publié en 1885, soit l’année de la mort de Victor Hugo, a été parfois comparé aux Misérables. Il évoque le soulèvement, puis l’échec de mineurs dans une description qui donne froid aux os sur les conditions de travail à cette époque.
Campagne de soutien
Berri brandit aujourd’hui ce classique appartenant au patrimoine français un peu comme s’il s’agissait d’un manifeste. « Avec 5 millions de chômeurs en France, on sait qu’on vit sur une poudrière sociale », confie-t-il au SOLEIL. « Le film est là pour aider à la réflexion. »
Si beaucoup d’argent a été investi dans Germinal, tourné dans une région au fort taux de chômage, on n’a pas lésiné non plus sur sa promotion, même si cela ne peut se comparer à celle du Parc Jurassique.
Le tirage annuel de 180 000 exemplaires du roman, assuré dans les écoles, risque de faire un bond… jurassique. On compte déjà quatre rééditions de l’oeuvre cette année, dont quelques-unes sont enrichies de photos du film. Un volumineux ouvrage de Pierre Assouline (Germinal, l’aventure d’un film, éditions Fayard) raconte dans le détail son « making of ». Renaud sort aussi un disque compact consacré à des chansons traditionnelles de la Picardie.
Que les vedettes de Germinal viennent jusqu’à Québec, sans se limiter à Montréal comme c’est la coutume, cela signifie que le distributeur entend donner les meilleures chances de succès à ce film qui ne fait pas dans la guimauve. Si la photo de l’affiche montrant Renaud, le pic à la main en tête de mineurs révoltés, peut évoquer chez certains une manifestation de solidarité, elle génère aussi la peur.
Germinal attire les foules parisiennes. Les 172 728 entrées de la première semaine dépassent celles de Cyrano, des Visiteurs ou d’Indochine. Il faut toutefois rappeler que derrière ce film se trouve le nom de Claude Berri, qui a réalisé et produit des films plus ensoleillés, tels que Jean de Florette et Manon des sources tirés de l’oeuvre de Pagnol.
Source : Le Soleil