N° 166, 23 août 1995
Envoyé spécial chez moi
J’avais dessiné sur le sable
Ses gros nichons qui me regardaient
J’ai le blues. Un cafard noir comme je sais pas quoi, y a rien d’assez sombre pour comparer. Disons les perspectives de redressement économique de l’industrie du tourisme en Tchétchénie. Voilà, noir comme ça. Si je trouvais pas ça totalement vulgaire, je crois que j’aurais envie de mourir. D’ailleurs j’ai envie. Ça ira sûrement mieux demain, mais bon, c’est aujourd’hui que j’écris et aujourd’hui je vais pas bien. Je dois couver un rhume de l’âme ou un ulcère existentiel. C’est parce que mes vacances se terminent, parce que ça commence à sentir la rentrée des classes, l’automne à la con et la pluie pareille. Parce que les copains s’en vont petit à petit, parce que je vais finir par me retrouver en mauvaise compagnie tout seul avec moi. Y a plus grand monde en ville, les plages se vident, mon bronzage « cuivre indien » commence à présenter des signes de pâlissude, les bistrotiers du coin, libérés de la frénésie consommatrice des aoûtiens bientôt repartis, trouvent enfin le temps de s’asseoir à ma table et, d’un air las, me confient que, « ouf ! On respire un peu ! », et moi je réponds que, « oui, c’est plus calme, je vais me reprendre une bouteille de blanc, tiens… ».
Hier soir, y avait fête foraine et bal au petit village où je suis. On a bu et dansé jusqu’à pas d’heure. Le lendemain d’où je bois j’ai toujours envie de mourir, je sais pas pourquoi, et je dis toujours à ma femme que, « ce soir, terminé, je suis à l’eau et au lit à dix heures ! ». Elle me regarde avec un air un peu triste et me demande si je veux encore un Aspegic 1000.
J’ai gagné une peluche au stand de tir de la fête foraine, cinq plombs dans le centre de la cible à au moins deux mètres. Ça a l’air de rien, mais les potes en ont pas mis une. Alors ils m’ont chambré, genre : « Ah bravo, l’antimilitariste non violent réfractaire aux armes à feu ! » J’ai dit que c’était juste par amour des peluches, pas des carabines… Pis après j’ai mangé une pomme d’amour et une barbe à papa par amour de mon enfance en allée. Voilà. C’est aussi pour ça que ce matin j’ai le blues.
Je vais aller à la plage avec ma fille et je vais faire un château de sable, mais pas en forme de château, plutôt en forme de Sphinx de Gizeh comme hier ou de femme à poil avec des gros nichons comme l’autre jour. Pis après la mer va monter et va encore tout me démolir. C’est Rodin qu’on assassine…
J’ai le blues. Ma vie est un château de sable, fragile et magnifique, que, chaque jour, la marée du monde détruit inexorablement.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud