Cool
N° 9, avril 1985
T’as dix ans !
Au détour d’une galère, entre deux HLM, il a toujours une bière pour un manu paumé. Au bistrot de la détresse, dans une banlieue blafarde, il trouve toujours les loubards pas si mauvais qu’on le croit. À peine un peu amer, révolté dans les tripes, il te balance la paix en drapeau de la victoire. Pas besoin de fantastique pour ce petit môme chanteur, son boulevard c’est ta rue, son trottoir ta cité. Il traine ses grolles où tu vois de la fumée, où il y a un gosse paumé, où des baleines crevées. Quand il fait une manif, tu peux le chercher au premier rang, lui préfère le milieu à côté des copains. Pas vraiment beur, pas vraiment black, les émigrés, il connait bien. Adieu curé, ordre établi, autorité : Renaud préfère sa liberté.
À trainer ses santiagues dans les banlieues zonardes, il a depuis dix ans, plus d’un tour de tendresse, pour faire pleurer les cons, et les gentils aussi. Tu ne te reconnais pas souvent dans ses chansons coup de poing, mais tu penses au copain, à celui de l’escalier d’en face. Tu en connais toujours un, un peu facho dans le sang, ou qui pousse des chariots ou qui vole des bécanes.
Bien sûr, le blouson de cuir noir, ça fait un peu voyou, mais il faut avoir le courage d’aller voir ce qu’il y a en dessous. Renaud, ce n’est pas un saint, ni un fils de bourgeois, mais c’est sûr il parle comme nous, c’est déjà un copain.
Gavroche qui aurait perdu sa casquette, c’est sur fond d’accordéon qu’il te fait passer le mur. Pour voir ce qu’il y a de l’autre côté, il faut que tu ouvres grands les yeux car il ne fait pas simple dans ses mots de la rue. S’il est un peu moins dur avec ce qui l’entoure, – s’il pleure pour l’Éthiopie, s’il chante pour ceux qui meurent, c’est que Renaud a grandi. Sa lolita est là, et une gosse.
Quoi que l’on dise, ça fait vieillir un peu, réfléchir sur l’avenir.
Ce n’est pas tout rose, tout noir, c’est surtout bien trop gris ce qu’il voit dans sa fenêtre et dans sa tête aussi. Renaud tu as tout compris, notre vie ce n’est pas gagné, mais continue de chanter, ça nous aide à rêver. Dans nos squatts de fortune ou nos studios sympas, ça nous tiend un peu chaud en face du côté droit. Alors, ne t’arrête pas, fait jouer l’accordéon, fait danser les copains, fait planer ceux qui ne vont pas bien. Tu as les mots pour ça, un trop plein de tendresse où on aime se noyer quand on se sent un peu seul.
Aujourd’hui tu as 10 ans c’est déjà une longue histoire. Pas de champagne à t’offrir, pas de caviar, pas de fois gras, juste un mot d’amitié.
Source : Cool