N° 937, du 13 au 19 mai 1978
VOICI « Le Grand Courtoiseau », la belle gentilhommière où Jean-Pierre Hervé-Bazin (c’est son nom d’état civil) est de mes deux installé depuis six années. Le voilà donc en Gâtinais, non loin de la Puisaye chère à la grande Colette. Entrons. Traversons la salle à manger de l’auteur de « Vipère au poing », où la grande table est couverte d’une toile cirée. Rien d’étonnant, avec tous les repas qu’impliquent six enfants « et la suite », y compris cette Maryvonne, qui fut championne de France du 800 mètres, ce médecin, cette agrégataire de Lettres, cet informaticien de chez Hachette, ce dernier venu qui a cinq ans et, hélas ! le souvenir déchirant de cet aîné qui fut chimiste et qui, depuis deux ans, n’est plus. Vous souvenez-vous du roman intitulé « Au nom du fils » ? C’était le livre de l’amour paternel. Enfin, le bureau, l’ « usine »… Cela donne sur une cour carrée qu’ordonna naguère un « nègre » de Buffon. Ici, du temps d’un ancien propriétaire, sont venus Apollinaire, Jaurès, Clemenceau, Briand. C’est évidemment mieux que cette « Belle Angerie » (ou boulangerie ?) que gouvernait Folcoche, cette femme qu’Alice Sapritch a si solidement réincarnée à la télévision et qui repose, aujourd’hui, à Marans, dans le Maine-et-Loire. « J’y vais une fois par an, mais rassurez-vous : je ne serai pas enterré auprès d’elle. Je veux être brûlé et qu’on répande ma cendre, du haut d’un pont qui franchit une rivière : la Maine. »
Ainsi parie celui qui naquit en pleine douceur angevine et qui a écrit le plus terrible des romans familiaux d’après guerre. Voilà vingt ans, exactement, qu’il est l’un des Dix (les Goncourt, chez lesquels il succéda à Francis Carco).
« Si le temps me parait s’être accéléré ? Tu parles ! Chaque fois qu’on regarde derrière soi, on a l’impression que le présent galope. »
Vingt millions d’exemplaires de ses livres ont été vendus, dont douze en France et six en U.R.S.S. « Où je suis le moins lu, c’est en Angleterre et aux U.S.A. Mais voyez comme c’est curieux : ce sont les deux pays où mes œuvres sont le plus publiées par l’enseignement universitaire. »
En octobre prochain, il fêtera son vingtième livre, dont le titre est déjà trouvé : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Voici, sur un étrange petit tableau, le plan des chapitres, en pleine gestation, avec des carreaux de couleurs différentes, à côté de la machine à écrire, où il tape toujours debout. « Comme Troyat, dit-il. Mais moi, c’est parce que j’ai eu naguère un accident avec quatorze fractures, et qu’il en reste une sciatique qui m’oblige à la verticalité. »
En Amérique du Sud
Ici, un intermède. Après nous avoir dit qu’il ne fumait plus, il prie sa femme (la troisième) de lui rapporter de petits cigares.
« Madame Ex » est l’histoire d’une famille qui se défait, avec un divorce rendu difficile par la présence des enfants. L’avez- vous remarqué ? Il y eu peu de romans sur le divorce — le premier étant celui de Paul Bourget qui est intitulé « Un divorce », justement, mais qui ne porte que sur le principe. Statistiquement, il y a un tiers de bons divorces, un tiers de médiocres et un tiers de mauvais. J’avais choisi ce troisième cas, en raison de toutes les difficultés qui en découlent, y compris les souffrances morales. Ai-je utilisé dans ce livre une expérience personnelle ? Oh ! oui ! J’en connais un bout sur la question ! Pourtant, mon premier divorce a été une simple formalité. Le deuxième était plus « coton » : il y avait déjà quatre enfants. »
Son nouveau roman, son enfant en gésine ? Il se passe en Amérique du Sud et il est socio-politique, mais avec la tempête de l’amour. Un Roméo et une Juliette : quand ils se marient, des balles traversent les vitraux de l’église. Toute la noce est « nettoyée » dans la rue. On fusille le mariage, en somme ! Fin du premier chapitre. Taisons la suite. Révélons seulement que l’auteur a déjà reçu, après un récit verbal, deux propositions de cinéma.
Il devait être prof’ de philologie. Il en a eu le diplôme, mais jamais le goût. Il a préféré, sur le sujet, écrire « Plumons l’oiseau », le seul ouvrage de philologie humoristique qui ait été publié. C’est une variation sur la réforme de l’orthographe. L’auteur était très qualifié en la matière : il a été l’élève d’Albert Dauzat au Collège de France et sa thèse de doctorat a porté sur la flore toponymique de France. Elle recensait tous les noms de lieux dérivant de la flore. « Savez- vous, par exemple, que la vallée de la Loire compte vingt-quatre noms venant du mot « olivier » ? Preuve qu’il y en avait, du temps des Gaulois ! La France, pays chaud… »
Revenons à la littérature sociale. Celui qui eut un jour un reptile en son poing, s’est entendu accusé d’être « redevenu bourgeois ». Voici sa réponse : « Qu’on lise les préfaces de mes livres traduits en russe. Elles soulignent qu’une partie de mon œuvre a montré la déchéance de ma classe d’origine. »
Guy VERDOT
EMMANUELLE RIVA : « VIVE LA GAIETÉ »
HERVE VE BAZIN emploie une expression imagée à propos de l’interprétation d’Emmanuelle Riva dans « Madame Ex ». Il dit que la comédienne est « entrée sans pousser dans la peau de son personnage », « C’est drôle, nous dit Emmanuelle (notre photo), cette expression. Mais il est vrai que lorsque je joue un rôle, j’essaie dry adhérer complètement. Peut-être ai-je bien réussi avec cette « Madame Ex ». Emmanuelle Riva estime que ce qu’on verra à la télévision ne paraîtra pas tellement « misogyne », par rapport au roman. « Non pas que le réalisateur, Michel Wyn, ait été infidèle au livre. Mais on peut toujours raconter une histoire en étant plus juste, en se montrant plus compréhensif. » Mais elle en a « ras le bol » de ces rôles tragiques. Elle souhaite en jouer de comiques. « Vive la gaieté ! », dit-elle.
Source : Télé 7 Jours