N° 135, 25 janvier 1995
Envoyé spécial chez moi
Jean Moulin, président de la société des bains de mer
Bon, moi j’m’en fous, si c’est Balladur, je demande l’asile politique à la Suisse. Ou à Monaco. Tiens, Monaco, voilà une idée qu’elle est bonne. J’ai justement un pote comédien qui est au mieux avec la princesse Caroline. (Je vous dis pas qui, il me ferait un procès). Lui et moi on avait fait connaissance à Beyrouth lors d’une télé qu’on avait faite ensemble là-bas. Pendant tout le séjour il m’avait parlé de sa copine Caroline, puis, dans l’avion du retour, après qu’il fut tombé sous mon charme vénéneux, il m’avait invité à passer les voir, elle et lui, dans leur maison de Saint-Rémy-de-Provence. Quelques semaines plus tard je m’y était rendu donc, avec femme et enfant et copains et Toto mon chien. Après les présentations d’usage, j’ai murmuré à l’oreille de ma gonzesse : « Dis donc sa copine Caroline, on la connaît, non ? C’est pas une ancienne comédienne ? » Ma femme m’a dit que j’étais fou, que bien sûr qu’on la connaissait, que c’était la princesse Caroline de Monaco, la Vraie ! Comment je pouvais savoir, moi ? Mon pote m’avait jamais parlé du métier de sa copine, n’avait pas non plus prononcé son nom de famille, persuadé peut-être que j’étais un lecteur assidu de Voici et Paris Match, et que, « comme tout le monde », j’étais au courant. Je lui ai dit que je n’étais pas comme tout le monde et que je m’excuse mais si une copine me parle de son fiancé qui s’appelle Jacques je vais pas forcément en déduire qu’elle est maquée avec Chirac, Gaillot ou Anquetil. N’empêche que j’étais un peu emmerdé… J’avais dit bonjour comme à une fille normale, pas « Princesse », je m’étais pas incliné, j’avais pas dit « Altesse ». Après, heureusement, je me suis rendu compte que c’était, effectivement, une fille normale, même vach’ment plus normale que plein de filles pas princesses que j’ai l’occasion de rencontrer de-ci, de-là. Une autre fois, j’y suis retourné, c’était l’hiver, y faisait un froid de chien comme souvent en hiver, et j’avais mis mon keffieh pour avoir chaud au cou et manifester par la même occasion mon attachement au prêt-à-porter palestinien. En arrivant devant leur porte, je me suis enroulé le keffieh autour de la tête, ai chaussé mes lunettes noires et j’ai frappé à la porte de la cuisine. « Entrez ! » me fut-il répondu. J’entrai et, persuadé de tomber sur mon pote, les lunettes embuées, je dis à la silhouette qui me faisait face « Allah akbar ! ». Après je me suis encore excusé parce que le type devant moi c’était le prince Albert et on parle pas comme ça à un prince. Ce jour-là on a fait une partie de Trivial Pursuit et, c’est pas pour dénigrer la monarchie, mais, même en trichant très très peu, c’est moi qui ai gagné. Le prince n’a même pas été fâché, ne m’a pas chassé de son royaume ni jeté aux lions, mon pote, en revanche a boudé un peu, pendant quoi ? six mois ? Faut dire qu’il aime pas perdre, surtout en trichant pas mal…
Pourquoi je vous raconte ça ? Ah ouais ! Le 9 mai au matin, donc, excusez-moi mais je me casse ! Hop ! Monaco ! J’me loue une chambre de bonne avec vue sur la Promenade des Anglais (j’ai de bons yeux !) je m’achète un vélo si on a le droit, j’embarque bien sûr ma femme et ma môme (si on a le droit aussi), le chat et le chien (je crois que ça, on n’a pas le droit…) et je refais ma vie. Comme je serai exilé politique et au chôm’du, mon pote s’arrangera avec sa belle-famille pour me trouver un petit boulot, genre président-directeur-général de Radio Monte-Carlo, et de là je lance un appel à la résistance. Et je programme que mes chansons et celles de Font et Val, mais moins souvent quand même. Et dès que la gauche revient, je reviens aussi. Mais attention, pas la gauche à la con comme on a eu depuis quatorze ans, la « vraie gauche », avec le béret du Che et la moustache de Staline, heu, je voulais dire de Léon Blum. Pis comme j’arriverai un peu en libérateur, vous m’offrirez directos la présidence de la République. Ou, au moins, celle de TF1. Ce qui revient un peu au même.
Allez, faites pas la gueule, c’était pour rire… Je vous abandonnerai pas dans l’adversité et le pasquanisme. Je veux rater ça pour rien au monde. Ces enfoirés vont tellement être ignobles, sécuritaires, expulsifs, réacs, cathos, censeurs, profiteurs, magouilleurs, qu’en moins de sept ans ils vont nous engendrer une génération de rebelles comme on n’aura pas vu depuis 68. Avec les banlieues qui seront, ce coup-ci, de la partie, ça risque de faire un joli feu d’artifice.
Même à Monaco y z’en auront jamais vu des comme ça…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud