EDITION PAYS BASQUE
vendredi 10 juillet 1992
Renaud a réussi son pari fou : marier les ours aux abertzale sur la pelouse d’Aguilera [Biarritz].
Il y a quatorze jours, on ne donnait pas cher de la peau de l’ours que voulait protéger Renaud en organisant un concert coup de foudre (et de tonnerre) à la gloire conjuguée des ikastolas. Montant en un laps de temps aussi court un ersatz de Francofolies sur la pelouse d’Aguilera relevait du tour de force. D’autant que certains puristes reniflaient un coup de pub du chébran pour la sortie de son disque « Marchand de cailloux ». En quelques jours, le chanteur les a retournés tous comme une crêpe, en s’investissant comme un damné.
Pour cela, il s’était entouré de la grosse artillerie d’Euterpe – en l’honneur de la muse grecque – Productions, et du savoir-faire de Michel Goudard (quarante manifestations artistiques à Bordeaux) et de Thierry Chassary, le régisseur des tournées de Patricia Kaas – étranger compris – soit quarante personne, de la cantine au service de sécurité.
De l’autre, les abertzale – toutes tendances confondues – s’étaient mobilisés comme le PC pour sa fête annuelle au temps de sa splendeur, Patxa y compris, qui semble avoir bien digéré les recettes de ses ennemis héréditaires : les compagnies de CRS. Celles-ci, derrière les palissades, veillaient au cas où…
Des banderoles aux messages politico-publicitaires, il est vrai que la soirée ressemblait à un « remake » de l’Aberri Eguna, mâtiné de kantaldi, sous la férule de l’outsider de la cause basque, Renaud soi-même. Vêtu couleur charbon et foulard rouge révolutionnaire. Le chébran a évolué comme un pro sous la tunique d’un Georges Cravenne qui aurait épousé la cause de la nation basque. Il s’est éclaté, le chanteur, au milieu de la foule et des calicots qui ornaient la scène et stade du BO foulés au pied par des touristes en mal de Blanco.
Pourtant, derrière le décor, quelques inquiétudes planaient à l’heure où la scène était dévolue aux hors-d’œuvre locaux. Bien verte la pelouse. Ou était donc la foule attendue ? Et puis elle vint, par vagues, et noircit les lieux comme au temps de Police, au fur et à mesure que défilaient les artistes basco-béarnais unis pour la bonne cause. Pour atteindre son apogée avec Francis Cabrel (mon frère d’Astaffort dit Renaud en l’étreignant). Si cela se fait beaucoup dans le show bizz, il faut reconnaître que celle-là était sincère. Les rappeurs de NTM s’étant mis aux abonnés absents, l’absence d’Astaffort Man aurait fait échouer le navire. Cabrel avait bien quitté sa thébaïde estivale par amitié pour son gavroche préféré. Quand, beau comme un sou neuf dans sa veste prune, le d’Artagnan du compact disc, accompagné par les musiciens de Renaud, égrena un premier country, il y avait bien 4500 personnes et quelques ours en peluche dans le stade. Sous quelques étoiles qui s’invitèrent, Cabrel apporta un peu de tendresse dans la révolte, même si parfois, dans sa poésie, elle existe plus qu’il n’y paraît.
Il est difficile de recenser véritablement le public dans la mesure où beaucoup y vinrent comme dans une auberge espagnole. Y prendre ce qu’ils désiraient cette fois. A 120 francs l’entrée générale, la musique est bonne. Comme la formule. Sans compter les buvettes et sandwicheries (rapidement en rupture de stock) qui recueillirent de nombreuses pièces françaises au profit des écoles en langue basque.
Il y a toujours un moyen de se retrouver quelque part. Une réussite qui a été favorisée aussi par une exceptionnelle clémence des cieux, une douceur qui donne à Aguiléra le côté baba cool de Woodstock sur fond d’ikurrina. Avec un infatigable chef d’orchestre qui joua à domicile, et lut la lettre d’Eric, un insoumis emprisonné, qui envoyait un clin d’œil au public de ce marathon musical. Le kantaldi dura jusqu’à 23 h 30, et se termina par un Renaud explosif, qui invita tous les hôtes à faire un bœuf comme chez Drucker.
L’ancêtre qui repose à Osse-en-Aspe a dû bien apprécier cette graine de Séchan venu danser avec les ours et les Basques. Il restera toujours quelque chose en sa mémoire de chanteur. De ce pays qu’il ne connaissait pas et qui l’a pris aux tripes. Dommage que Coluche et Balavoine ne soient plus de ce monde. Ils auraient ajouté leurs voix à ce concert des potes, et épicé plus encore le cocktail.
Quant aux ours, c’est sûr, ils ne viendront pas à Aguiléra. Ils auraient eu du mal à se vautrer dans cette pelouse jonchée de gobelets en plastique. Décidément, l’apprentissage de l’écologie ne s’apprend pas du jour au lendemain.
Félix Dufour
Source : HLM des Fans de Renaud