par Sonia Ouadhi | Crédits photos : Abaca
David Séchan a vécu toute sa vie dans l’ombre de son frère Renaud. Jumeau du célèbre chanteur, il lui consacre un sublime livre de photos où il distille quelques anecdotes parfois émouvantes et drôles. Pour Voici.fr, le photographe se confie sur son œuvre, « Dans l’intimité de Renaud, par David, son jumeau », ainsi que sur ses relations avec l’artiste qu’il a suivi sur ses plus grands projets. Il donne également des nouvelles de l’interprète de Mistral gagnant.
Comment vous est venue l’idée de sortir un livre aussi intime sur Renaud ?
Lors d’un rangement dans mon bureau d’éditeur. Je suis tombé sur des photos, des pellicules et des négatifs : tout ce que j’ai accumulé depuis des années. Ce sont des choses que je n’avais jamais fait développer. A l’époque de la photographie argentique, on ne tirait pas toutes les photos. Il y a eu beaucoup de photos mises de côtés et je me suis dit que c’était intéressant parce que ça fait partie de reportages qui avaient été publiés. Je me suis dit que ça pouvait intéresser les gens de voir les à-côtés de ces reportages. On n’a pas tout mis mais on a choisi les plus illustratives.
Votre frère a-t-il accepté tout de suite cette initiative ?
Pour tout vous dire, il n’était pas franchement au courant. Je l’ai averti une fois que la maquette était lancée. Il a trouvé ça assez drôle. Il a flashé sur pas mal de photos qu’il ne connaissait pas lui-même, notamment sur toute la série « Morgane de toi », où il est appuyé contre un mur de parpaing avec sa fille.
Dans le livre, vous expliquez que Renaud adorait se mettre en scène pour ses photos. C’est même lui qui avait la plupart des idées. C’est toujours le cas ?
En tout cas avec moi, oui ! Il m’imposait son idée, qui était souvent assez juste. Comme je le raconte dans l’ouvrage, il a toujours eu un sens aigu de l’image, de sa propre communication. Et il savait exactement ce qu’il souhaitait. Pour les pochettes de disque, c’est lui qui choisissait les sujets qui amenaient à la prise de vue.
Ce qui est fou c’est qu’il aime la photo autant qu’il la déteste par moment…
A l’époque, il l’aimait bien parce que je prenais les photos. On était en famille et il était beau. Aujourd’hui avec les smartphones, on lui demande en permanence de faire des selfies. Alors il râle, mais il accepte de les faire quand même. Et puis surtout je pense qu’il a du mal à vieillir comme toute le monde et peut-être qu’il aime moins son physique qu’il l’aimait avant. Renaud incarnait la jeunesse sauvage, il était beau.
Quel genre d’enfants étiez-vous avec Renaud ?
On était fusionnels fatalement puisque nous sommes jumeaux. Nous avons été élevés ensemble, nous étions habillés de la même manière. On ne nous appelait pas David et Renaud mais les jumeaux. Mais Renaud était un enfant assez fragile et on sentait déjà qu’il y avait une grande sensibilité artistique qui se développait. Moi, j’étais plus physique et plus costaud que lui. Je jouais plus volontiers au foot alors que lui construisait des petits bonhommes, des armées en pâte à modeler. Ou alors il allait taper sur la machine à écrire de notre père et il écrivait à 8-10 ans des romans policiers de 10 pages. Il se mettait en scène, il faisait énormément de sketchs. Il imitait des émissions de l’époque avec le magnétophone de notre père. Il était vraiment dans le spectacle et la créativité. Et d’ailleurs mes parents ont pensé qu’il serait un artiste et il l’est devenu.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec votre frère aujourd’hui ?
On a toujours des liens mais comme on est assez discrets dans la famille, on n’est jamais très démonstratifs. On est pudiques. C’est notre culture parce qu’on a été élevés dans un milieu assez protestant. L’affection n’était pas immédiatement démontrée.
Vous vous dites pudique, mais ce livre n’est-ce pas aussi une belle déclaration à votre frère ?
Mais oui ! J’admire son œuvre. Je me suis toujours posé la question : « s’il n’avait pas été mon frère, est-ce que j’aurais aimé Renaud ? » Je n’aurais pas aimé tout Renaud, mais j’aurais forcément aimé Renaud ! J’ai une admiration pour lui, pour son œuvre, sa sensibilité, sa créativité.
Vous avez vécu toute votre vie dans son ombre. Il n’y a jamais eu une forme de frustration ?
Oui certainement, mais pas forcément que pour moi, aussi pour mon autre frère et ma sœur. On vient d’une famille modeste et quand un des enfants réussit à tous les niveaux ou quand il sort du lot, ça créé fatalement une sorte de dichotomie. Mais on a toujours essayé de bien gérer ces choses-là et il m’a souvent associé à ses succès commerciaux. Quand il a créé sa maison d’édition, il m’a invité à travailler avec lui et j’en suis devenu le directeur. Il nous a toujours donné des coups de main mais il est passé dans une dimension sociale différente de la nôtre. Il fréquentait le gratin et pas nous. On n’était pas à la table de Coluche, de Desproges, on n’était pas reçu par François Mitterrand ni par Jacques Lang. Il avait cette vie passionnante qu’on pouvait lui envier.
A quel moment avez-vous remarqué que Renaud commençait à chavirer ?
Dans les années 90, après une série de concerts à Moscou qui s’était très mal passée. Il était invité au festival de la jeunesse à Moscou par la jeunesse communiste de France et son concert a été boycotté par des officiers russes. Il s’est rendu compte de ce que ce régime était. Il pensait naïvement que c’était le paradis des ouvriers. En fait, il s’est rendu compte que c’était une vaste dictature. Ça a été sa première grande déception. Ensuite, c’est la vie et ses séparations.
Vous confiait-il ses problèmes ?
Pas du tout ! Renaud c’est un taiseux. On voit qu’il va mal parce qu’il ne parle pas justement. Il a besoin des gens mais il ne dit pas un mot.
Ne vous a-t-il jamais parlé de ses problèmes d’addiction en vous demandant de l’aide ?
Oh non ! Jamais ! Il faut vraiment que ce soit nous qui insistions comme nous l’avions fait récemment avant son dernier album et sa dernière tournée. Il a fallu que ce soit son ex-femme, moi-même et sa fille qui le décidions véritablement à se soigner. Ce qu’il a fait très bien d’ailleurs parce qu’il a rebondi avec un disque qui a été un grand succès et une tournée qui a été considérable. Il lui faut de l’activité ! Il faut l’occuper !
Dans le livre, vous dîtes au sujet de la tournée « Toujours debout » que vous n’auriez jamais cru en sa renaissance. C’était aussi inespéré ?
Mais bien sûr ! Mais pas seulement pour moi, je pense aussi pour tout son entourage comme sa famille, ses ex-épouses. On est tous très liés. Il y a eu des séparations, mais il voit toujours ses deux ex-femmes, ses enfants… Il était dans un sale état. On ne pensait vraiment pas qu’il pourrait recommencer à chanter. Il ne parlait pas et on ne comprenait pas bien quand il s’exprimait. C’était compliqué. Jamais je n’aurais parié sur un retour. Pour un retour sur disque, il y a des techniques pour arranger la voix, mais jamais je n’aurais pensé à un retour sur scène. D’ailleurs, il ne voulait pas tourner mais il y a eu un tel succès populaire qu’il a fini par accepter.
Comment a-t-il vécu ce retour sur scène ?
Quand il montait sur scène, on se demandait s’il allait tenir 2 heures et demi ou 3 heures de concert. Une fois sur scène, la transformation est impressionnante. Il gagne 10-15 ans et il est avec son public. Malgré ses difficultés vocales, il créé un lien avec son public qui est unique, une sorte de fraternité et de lien d’amour. Il a été formidable. C’est son public qui faisait le show quand il chantait toutes les chansons. Donc il n’avait pas besoin de trop forcer. C’était extraordinaire. Ça le réconfortait. C’était hallucinant parce qu’on s’attend à ce qu’un chanteur chante clairement. Un chanteur dont la voix est altérée, généralement, n’est pas très bien accueilli. Pour Renaud, les gens lui pardonnent tout parce qu’ils sont proches de lui et s’identifient très certainement à ses souffrances et ses problèmes.
C’est aussi, avec Johnny Hallyday, l’un des rares artistes à réunir autant de fans…
Je fais le parallèle avec Johnny. Tous les deux ont traversé des périodes infernales, ils sont allés très très bas et sont remontés très très haut.
Sa disparition a d’ailleurs énormément peiné Renaud…
Absolument ! Ils se connaissaient bien et ils avaient tourné un film ensemble. Ils n’étaient pas très liés mais ils se sont fréquentés. Et c’est un monument national. Ça a été très difficile. C’est toute sa vie qui s’en va ! Renaud est tellement dans la nostalgie. C’est douloureux.
On sait que Renaud est rentré chez lui. Dans quel état d’esprit est-il ?
Il est à Paris. Ça va bien. Il va de mieux en mieux, il prépare un album sur l’enfance, ses souvenirs. J’ai lu les textes et écouté la musique, c’est du grand Renaud ! Il le termine. Actuellement, il y a partout Johnny donc ce n’est pas le moment de le sortir. Mais je pense que l’année prochaine, l’album va sortir. C’est son objectif et il se met en condition pour pouvoir terminer cet album.
Et a-t-il retrouvé sa voix ?
Ça va mieux. Il se soigne et il fait un peu de sport. Il va le mieux possible et il ne faut pas écouter les ragots et tout ce qui peut se dire de dramatique sur lui. C’est éprouvant pour sa famille et ses proches. On est obligé de rassurer. C’est assez effrayant et comme on est une grande famille et qu’il n’est pas très communiquant, je suis obligé de rassurer tout le monde. C’est toujours assez difficile de lire des choses pareilles.
Comment ses enfants Lolita et Malone vivent tout ça ?
Ils sont indignés, en tout cas Lolita ! Malone est plus petit donc il est protégé par sa mère mais comme il a un smartphone, il peut tomber sur des choses. Mais ils vont bien, ils sont protégés.
Pensez-vous qu’un nouveau retour sur scène de Renaud est envisageable ?
Je ne sais pas ! Il m’avait dit que jamais il ne remonterait sur scène et il a fait 120 dates et 800 000 spectateurs. Je ne me prononce plus, il est capable de tout.
Source : Voici