Interview : Jean-Pierre Buccolo

LaGuitare.com

Bucolo nous parle de Boucan d’enfer de Renaud

Interview réalisé le 3 mai 2002 à Paris

Rédacteur : Julien Chosalland
3 mai 2002

A l’occasion de la sortie de « Boucan d’enfer », le nouvel album de Renaud dont Bucolo a écrit de nombreuses musiques (les autres étant signées par Alain Lanty), LaGuitare.com a conversé avec le compositeur de « La cabane du pêcheur » et de « Miss Maggie ».

Tout le monde sait que dans « la mère à Titi », il est Titi, qu’il aurait pu être luthier car né dans la sciure, il semblait plus intéressant de savoir comment il a travaillé avec Renaud, pourquoi il apprécie les strat’ et l’entendre parler de Jeff Beck…

Et si je regrette de n’avoir pu mettre dans cette interview toute la discussion que nous avons eue après à propos des élections et de la politique, entre autre, je puis vous dire que discuter d’autre chose que de guitares avec Monsieur Bucolo est un réel plaisir, et je le remercie…

Lire la chronique de l’album

Julien Chosalland : Avant de parler de tes nombreuses collaborations, nous allons revenir sur ta discographie..
Jean-Pierre Bucolo : Ça commence mal !

JC : Trois albums et six 45 tours…
JP B : Il y en a que je revendique encore un peu.. mais de moins en moins.

JC : Ta collaboration avec Didier Barbelivien au début des années 80 ?
JP B : A l’époque, Barbelivien c’était le jeune garçon qui démarrait. Il cartonnait, tout le monde voulait faire des choses avec lui. Après, c’est dommage qu’il soit devenu un commerçant, un marchand de hauts fourneaux.

JC : Donc en fait tu as fait trois albums et pas deux comme on le lit régulièrement…
JP B : Oui il y en a eu un troisième produit par Charles Talar, avec des chœurs de Cabrel…

JC : Déjà sur cet album tu as utilisé une stratocaster ?
JP B : Au tout début j’étais Les Paul ou SG. Ma première guitare honorable électrique était une telecaster c’est vrai… Quand tu commences les Gibson sont plus faciles à jouer que les Fender. Après j’ai découvert la strat’. J’ai mis du temps mais c’est ma guitare préférée.

JC : Tu es guitariste mais aussi compositeur, quelle est la « fonction » que tu préfères ?
JP B : Franchement j’aime les deux, c’est dur à dire..
En ce moment je joue plus de guitare. Je me sens guitariste et j’adore composer.
Disons que pour pouvoir composer, à mon humble niveau, ça m’a servi de jouer correctement de la guitare.

JC : Adaptes-tu ta façon de composer à chaque chanteur ? En effet, on dirait qu’à l’écoute du disque on sait que c’est du Cabrel, ou du Renaud en l’occurrence.
JP B : C’est parce que tu vois les textes… Car un morceau comme « Petit pédé » par exemple, si Cabrel l’avait chanté il aurait pu faire tout autre chose. Il n’aurait pas chanté comme Renaud.
En fait, quand Renaud me donne les textes, évidemment je vais vers lui. Mais pour le duo avec Axelle Red, c’est le contraire, il avait ma musique, il a fait le texte après. Ça tu le mets à quelqu’un d’autre que Renaud, ça marche.

JC : Sur les morceaux que tu as amenés à Renaud, a-t-il une marge de manœuvre pour s’éloigner ou non de ce que tu as composé ?
JP B : (rires.. ) De toute façon, à un moment il s’éloigne de lui-même. Les mélodies, il les fait parfois à sa façon, et alors je veille au grain pour que ça ressemble à ce que j’ai écrit… Je laisse couler quand des fois je me rends compte que cela passerait mal. A la fin, à part nous deux, pour celui qui écoutera « Renaud – Renard » ce sera du Renaud, pas du Bucolo. Des fois il a l’impression de faire la mélodie et en fait il ne la fait pas.

JC : Tu lui chantes la « ligne de chant » ?
JP B : Renaud, il lui faut des maquettes.. Il a ça chez lui, il écoute et il a une vraie oreille. Beaucoup plus qu’on ne le pense.

JC : Alors tu chantes « en yaourt » (méthode pour chanter une ligne de chant sans parole intelligible NDLR) ?
JP B : Le problème avec le yaourt, parce que je parle pas mal anglais, c’est que j’essaie que ça veuille dire quelque chose. Quand tu chantes en yaourt tu trouves des mots qui sonnent. C’est parfois un piège car les chanteurs ne savent plus quoi mettre à la place de l’anglais. Ça s’est d’ailleurs produit sur « Manhattan Kaboul ».

JC
: Justement, sur ce titre, guitares acoustique et électrique se mêlent…qu’as-tu utilisé comme guitares pour l’album ?

JP B : J’ai utilisé ma Quéguiner et ma Larrivée. Les deux ça fonctionne vraiment bien…Comme à ICP (le studio belge NDLR) ils ont plein de guitares, j’en ai pris là-bas, notamment des J 200, les fameuses Gibson qui n’ont pas beaucoup de volume, que tu doublent comme ça. On a utilisé aussi la 12 cordes d’Alain et une 12 cordes Gibson, je crois que c’est le modèle J 150, une forme de J 200, très rare, vachement belle.
En guitares électriques j’ai utilisé mes stratocaster dont la fameuse 63 manche en érable ondé, deux trois autres stratocaster, une telecaster, mon Esquire qui fait le riff de « renaud – renard », celle-là elle joue toute seule… une Les Paul Junior de 55, une Les Paul Standart reissue et une 12 cordes Rickenbacker que j’ai trouvée là-bas.

JC
 : C’est toi qui fait la mandoline ?

JP B : Non, c’est un copain qui s’appelle Mick Larie. Il joue du bluegrass. Il est toujours dans les 20 meilleurs mandolinistes aux Etats-Unis.

JC : Tu es le seul guitariste sur « Boucan d’enfer » ?
JP B : Oui, car ayant composé la plupart des chansons j’avais une idée précise de ce que je voulais faire… je n’ai pas eu besoin de quelqu’un d’extérieur. Même si j’aime bien jouer avec d’autres guitaristes…

JC : Vous avez composé tous les titres sur la tournée « Une guitare, un piano et Renaud » ?
JP B : Il y a eu deux moutures. Il y a cinq ans il y avait « Boucan d’enfer », « Elle a vu le loup », « Baltique » sur le chien de Mitterrand, un peu « Nain de jardin », mais pas finie, et rien d’autre. Honnêtement on a fait une tournée, tout le monde savait qu’il avait de gros problèmes. Moralement il était un peu bas, et moi je pensais qu’il n’y aurait plus jamais de disque de Renaud. Et au mois de mai l’année dernière, il y a eu une espèce d’éveil et il a vraiment écrit 11 chansons dont 8 en même pas un mois et 3 autres à ICP. En fait il y en a 17 d’enregistrées, 14 sont sur le disque, les 2 ou 3 autres serviront pour des faces B ou un live…

JC
 : Il y a en effet beaucoup de titres sur l’album…

JP B : Après 7 ans et demi d’absence !!! Manu Chao en met bien 18 en faisant un disque tous les deux ans.

JC : Parle nous du « mastering » à Abbey road…
JP B : Abbey road ce sont les studios EMI. Les Beatles ont mis des billes dedans à un moment car ils faisaient tout là-bas. Les gars y travaillent bien. On a pris l’ingénieur qui, pour son premier disque, a travaillé sur « Abbey road ». J’ai vu des photos des Beatles, ça m’a rendu fou. Tout le monde cache des trucs derrière ces photos. Moi j’ai pris un bout de mes cheveux, j’ai pris de la glue et j’ai collé à l’arrière de la photo…comme ça personne ne le verra.
On a fait la photo de crétins sur le passage piétons…mais sur l’album de Renaud on verra juste la photo de lui traversant car on n’était que deux et ils m’ont effacé avec photoshop…

JC : Tu as aussi fait un travail d’arrangeur…
JP B : Quand tu fais pour les autres tu es plus exigeant que lorsque c’est pour ton disque. Surtout quand c’est pour Renaud. On peut dire ce que l’on veut c’est un mec culte. Tu as toujours peur de mal faire. Je lui ai dit que ça resterait du « Renaud » mais avec un peu plus de son. Car il ne faut pas oublier qu’il sort de Brassens, et la culture anglo-saxonne, celle des Beatles, bien qu’il l’ait très peu, il l’aime. Quand il écoute Roxy Music, il adore mais il n’imagine pas qu’il ne puisse faire ce genre de chose. Quand je lui ai dit qu’on allait mettre des cordes comme dans « Mon bistrot préféré »… il a douté. Après il a trouvé ça super. J’étais avec Jean-François Verger qui a écrit les cordes et l’ingénieur du son d’ICP, Phil Délire, qui travaille vraiment bien.

JC : Et tes projets maintenant ? Tu seras sur la tournée de Renaud ?
JP B : Les répétitions commencent en novembre. J’ai envie d’y être… j’aime bien faire du studio mais la tournée c’est une colonie d’adultes et j’adore ça. On en sort juste et c’est vrai que ça a été très long…

JC : Il y a eu des soirs difficiles paraît-il…
JP B : Il y a des soirs où il était bourré, il faut le dire mais il le sait. Notamment à Montauban, à Montréal, le premier soir, plus quelques autres.
Ce qu’il faut espérer, c’est qu’il soigne un peu sa voix. J’insiste au cas où il lirait cette interview, mais il en est conscient.

JC
: Et toi, en tant que guitariste professionnel mais aussi spectateur, as-tu la chair de poule quand Renaud attaque un pot-pourri seul à l’acoustique ?

JP B : Moi j’aime bien quand il prend sa guitare et en joue mal comme il en joue… Surtout les vieilles chansons, il les a faites ainsi…Et même si il se goure d’accord, j’adore ça. J’aime toujours les chanteurs, même si ils jouent mal de leur instrument, quand ils ont fait la chanson à partir de ça, les voir refaire ça, c’est émouvant… Si tous les chanteurs étaient virtuoses ça ne serait pas la peine…

JC : Et tes projets avec Bernie Bonvoisin ?
JP B : Il m’a appelé, mais je ne suis pas tout seul sur le projet de la BO de son prochain film, il y a aussi Philippe Paradis, un jeune guitariste qui joue bien… J’avais besoin de faire autre chose. C’est pour la musique de ce film qui s’appelle « Blanche » qui devrait sortir en septembre ou en octobre 2002. C’est cru… on fait tourner une grille pendant des heures et des heures, on écoute, on garde on jette..

JC : Et pourrais-je faire une interview avec toi sans te parler de Jeff Beck ?!
JP B : Il y a beaucoup de guitaristes qui s’en revendiquent. Il a fait des disques ratés, les deux derniers par exemple sont moyens. Mais lui a un truc que pour moi, aucun autre guitariste électrique n’a. Il a une pogne à lui… j’adore ce mec. A chaque fois que j’écoute un morceau, au moment de son chorus il attaque exactement autre chose que ce qu’on aurait imaginé. C’est un drôle de type, bizarre, je suis très sensible.. Quand il est à son plus haut niveau il me met la chair de poule.. Il faut aller le voir. Pour moi c’est le dernier gros dinosaure qui reste.

JC : Si il y a un album de Jeff Beck à écouter ?
JP B : « Blow by blow », sans hésiter. La dernière fois que je l’ai vu il a joué une heure, il a tout envoyé, nous a mis la chair de poule, et au bout d’une heure il a dit « ok je vais faire le rappel parce que ça se fait, mais ne m’en voulez pas, je suis en descente de jouer de la guitare »… étonnant, c’est un vrai mec sincère.

Julien Chosalland – le 3 Mai 2002 à Paris

  

Source : LaGuitare.com