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A l’approche de ses 50 ans de carrière, Yves Duteil a publié sa 1re autobiographie – « Chemins de liberté » – et un coffret 4 CD comportant quelques inédits. Rencontre.
Cinquante ans de carrière. C’est le cap que franchira l’an prochain Yves Duteil. Pour célébrer ce jubilaire, le chanteur de 72 ans a décidé de publier une autobiographie (Chemins de liberté) accompagnée d’un coffret 4 CD (Chemins de liberté, les chansons du livre) produit par Bayard Musique, avec notamment 16 versions inédites. Pour le plus grand bonheur de ses fans et le sien: « J’ai le bonheur d’être toujours là. »
Yves, vous avez souvent pris la plume, mais jamais pour vous raconter. Qu’est-ce qui vous a décidé à franchir ce pas?
En fait, je voulais écrire un nouveau livre, mais je ne savais pas où j’allais. J’avais toujours dit à Noëlle (NDLR: son épouse), qui a traversé une épreuve difficile (NDLR: un cancer, détecté en 1999) que si on s’en sortait de tout ça, j’écrirais un livre sur elle. Et mon autobiographie commence comme ça. Et puis j’ai ressenti le besoin d’embrayer sur des choses plus concrètes, sur ce qu’on a vécu ensemble…
Vous dites « Chacune de mes chansons a son histoire, tu es au cœur de toutes… »
J’ai dû écrire une quarantaine de chansons sur elle, mais elle a aussi son empreinte sur toutes les autres chansons. C’est elle qui me pousse à écrire et qui me renvoie à mes chères études quand elle pense que je peux aller plus loin.
Ah bon? Elle est fort critique?
Elle est juste et exigeante. Et la seule capable de me dire « Tu peux aller plus loin ».
Pierre Delanoë l’a fait aussi…
Oui, c’est vrai. Pierre, c’est une longue histoire d’amitié et d’admiration. Il était toujours à l’écoute des jeunes talents émergents et il m’avait repéré avant la sortie de l’album Tarentelle, en 1977. Je l’ai rencontré et j’avais pris avec moi un début de texte sur lequel j’étais un peu en panne. C’était Il me manquait toujours, Il m’a dit: « Vous avez un univers où tout est petit: le petit pont de bois, le petit patron… Je veux vous apprendre à écrire en grand. » Et puis, il m’a proposé une suite pour Il me manquait toujours, mais je n’aimais pas du tout (rires). Je le lui ai dit et il m’a répondu: « J’espère que ça va vous botter le cul pour continuer. » Et cela a été le début d’une relation extrêmement affectueuse et respectueuse.
Avant ça, j’étais coincé derrière un piano, je n’écrivais pas de chansons… C’est la guitare qui a provoqué l’écriture de chansons.
Vos parents vous auraient bien vu reprendre la bijouterie familiale. Qu’est-ce qui a fait que vous avez suivi un autre chemin? Mai 68? Ou votre première guitare à 15 ans?
Je crois surtout que j’avais ça dans mes gênes. J’avais peut-être besoin d’un déclencheur, mais ce n’est pas forcément Mai 68. Avec mon frère, nous n’étions pas très enclins à aller manifester., à prendre des risques… Nous étions radioamateurs et nous avons assuré le relais pour les ambulances. Mais cela n’a pas été un déclencheur. Par contre, la guitare reçue à 15 ans, oui, bien sûr. Avant ça, j’étais coincé derrière un piano, je n’écrivais pas de chansons… C’est la guitare qui a provoqué l’écriture de chansons. Mais ce déclencheur n’a pas été suffisant… Le passage du passe-temps à la vocation s’est fait tout seul. J’ai abandonné peu à peu mes études pour m’orienter vers la musique de façon irrésistible.
Avec un père qui vous dit que vous n’en vivrez pas…
Oui, il était très craintif. Il avait peur de tout. Il ne me sentait pas un saltimbanque. Mon père, c’était plutôt « Passe ton bas d’abord ». Ce que j’ai fait.
Votre maman qui avait une fibre plus artistique, qui était érudite, elle le voyait plus d’un bon œil?
Elle voyait d’un bon œil que je sois artiste, mais elle ne le percevait pas forcément que j’allais en faire ma carrière. Mais son regard a compté beaucoup pour moi. Elle m’a donné l’amour du français et de la musique. Elle jouait remarquablement du piano et elle était férue de mots croisés, de jeux de rébus… Elle participait à tous les concours possibles et imaginables. Elle nous emmenait à des rallyes surprises avec des encyclopédies dans le coffre. Pour moi, ma mère, c’était la culture générale. Elle savait tout.
Au point également de jouer sans partition…
Oui. Elle connaissait mieux le solfège que moi, et elle jouait tout sans partition. mon père a voulu me faire donner des cours de solfège et par chance, je suis tombé sur un prof très intelligent et très fin qui a vite compris que ce qu’il essayait de m’apprendre, je le savais d’instinct. Il m’a dit: « Si je vous apprends la théorie, je vais vous troubler. » Donc on a arrêté les cours d’harmonie. Par la suite, j’ai travaillé avec des musiciens très forts en théorie, et qui n’auraient pas harmonisé mes chansons comme moi je l’ai fait. Cela m’a beaucoup surpris. J’ai compris que j’avais une sensibilité musicale différente.
Pendant tous ces mois passés ensemble, Guy Lukowsky m’a appris ses arpèges et à délier mon jeu.
Un autre personnage important dans votre parcours musical, c’est le guitariste liégeois Guy Lukowski…
Nous nous sommes rencontrés au Club Med. Mes parents avaient voulu m’éloigner de Mai 68. Lui et moi avions envie de rester après notre séjour, et le chef de village nous a proposé de rester au pair. Pendant tous ces mois passés ensemble, Guy m’a appris ses arpèges et à délier mon jeu. Nous sommes restés amis, on s’écrit encore aujourd’hui. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir ouvert le monde de l’arpège, du trémolo… Il a aussi joué un autre rôle dans ma vie. Un jour, il m’a téléphoné car il avait un empêchement et il ne pouvait pas assurer une série de spectacles à Paris. Et finalement, j’ai été engagé pour un spectacle écrit spécialement par Geneviève Baïlac (NDLR: réalisatrice de La Famille Hernandez) avec deux comédiennes, Olivia Orlandi et Cléo Berger.
Cela a été mon 1er spectacle à Paris, ma première prestation sur une vraie scène. On n’avait pas vraiment de cachet. Et donc Guy a aussi été ce trait d’union, juste avant que j’enregistre mon premier disque avec Frédéric Botton.
À l’époque, vos influences musicales sont très variées. Vous utilisez l’image d’un caméléon posé sur une couverture écossaise…
Cela va des Beatles à Michel Polnareff, en passant par la bossa et la musique brésilienne, Jean-Sébastien Bach… C’était un patchwork de musiques de toutes origines. Dans les pays où la musique est une spécialité, on s’inspire de la musique de partout. Tous les artistes français sont imprégnés de musique d’ailleurs, que ce soit Gainsbourg avec le reggae, Lavilliers ou Fugain avec le Brésil, Véronique Sanson avec le rythm’n blues… Nous sommes tous des enfants de cette richesse musicale du monde. Et moi aussi. Je ne suis pas juste l’héritier de Brassens ou de Trenet.
Il faut savoir prendre la tangente. C’est pour ça que ce livre s’appelle Chemins de liberté.
Dans votre livre, vous racontez que certains directeurs de maisons de disques n’ont pas cru en vous et au succès de morceaux comme Tarentelle ou Le petit pont de bois… Je suppose qu’il y a un sourire quand vous y repensez…
Il y a surtout des moments où l’on se retrouve sans amertume sur les choix que l’on a faits. Ils étaient plus dictés par l’intuition que par la connaissance que certains peuvent penser avoir de ce métier. Il faut savoir prendre la tangente. C’est pour ça que ce livre s’appelle Chemins de liberté.
Vous évoquiez un peu avant votre premier disque, Virages, sorti en 1972. Sur le coffret qui accompagne le livre, on retrouve une nouvelle version. Pourquoi?
C’est un travail permanent. Je le fais à chaque nouvelle tournée. Mais il y a toujours le respect de la chanson d’origine. Je ne cherche pas à faire du jeunisme en relookant des chansons du passé, mais je veux rester passionné par ce que je fais et continuer à éprouver du plaisir. Quand je chante Prendre un enfant aujourd’hui, j’adore ce nouveau picking. Et je viens d’y ajouter encore quelque chose voici quelques mois pendant le confinement, et j’ai encore changé quelque chose avec les musiciens pendant l’enregistrement. Cela renouvelle le plaisir de la scène pour moi.
« Prendre un enfant par la main », c’est une chanson fétiche, que vous ne pouvez pas ne pas jouer lorsque vous êtes sur scène…
Effectivement, je ne vois pas comment je pourrais m’en sortir sans la chanter (sourire). Pareil pour La langue de chez nous. Il y a des chansons qui sont devenues des incontournables, comme Pour les enfants du monde entier, surtout en Belgique. Mais le spectacle que je fais est un montage d’émotions plutôt qu’une enfilade de tubes. Je ne me vois pas faire un medley ni regrouper tous mes succès pour faire un spectacle best of.
Cela m’a plongé dans une sorte de dépression, qui a duré près de trois ans. Je me suis beaucoup interrogé: est-ce que je suis légitime, n’ai-je pas pris la place de quelqu’un d’autre?
Cette chanson, « Prendre un enfant par la main » a été élue chanson du siècle en 1988, ce qui a eu pour effet de vous conférer une sorte de responsabilité supplémentaire…
Cela a étonné tout le monde, moi et premier. Et cela m’a plongé dans une sorte de dépression, qui a duré près de trois ans. Je me suis beaucoup interrogé: est-ce que je suis légitime, n’ai-je pas pris la place de quelqu’un d’autre? Comment justifie-t-on un tel titre, alors que je n’avais jamais rêvé de ça. Et puis est venue la question: et après, on fait quoi? La réponse a mis du temps à arriver. Depuis, j’avais écrit La langue de chez nous ou Pour les enfants du monde entier, dont l’actualité n’a pas été effacée aujourd’hui. La dictature se réinstalle, l’injustice règne en maître dans certains pays, la cruauté, l’inhumain… Tout cela m’a fait comprendre que les artistes avaient une sorte de responsabilité pour essayer de rêver le monde plus beau qu’il n’est afin qu’il le devienne.
Vous auriez dû, vous, attribuer le titre de chanson du siècle à une chanson, cela aurait été laquelle?
Toulouse, de Nougaro. Ne me quitte pas, de Brel. Mon enfance, de Brel. Mistral gagnant, de Renaud. Ou encore Soirées de princes, de Pierre Delanoë, chantée par Jean-Claude Pascal. C’était sa chanson préférée parmi les 3000 qu’il a écrites. En fait, il y en a plein… C’est pour ça aussi que j’ai eu ce questionnement.
Vous avez eu aussi l’honneur d’avoir une trentaine d’écoles qui portent votre nom en France. Il y en a en Belgique?
Je ne suis pas sûr. Il y en a en Afrique, au Vietnam…
Vous devez donner votre accord pour ça?
Oui. Avec la mairie, l’association de parents d’élèves, l’éducation nationale… Pour moi, c’est très bouleversant d’imaginer que je vais laisser mon nom au fronton d’une école. C’est une marque de confiance remarquable. En général, on donne le nom d’une rue ou d’un bâtiment à des gens qui ne sont plus là. Je suis très privilégié.
Cela implique quoi pour vous?
Normalement, j’essaye d’être là lors de l’inauguration. Mais, par exemple, la toute première école qui a porté mon nom, à Bergères-lès-Vertus, dans la Marne, m’a demandé de parrainer un orchestre qu’elle était en train de créer. Je vais donc y retourner pour concrétiser ce parrainage et le suivre pendant trois ans. J’essaye donc d’être présent le plus possible, en fonction de mon emploi du temps, car il y a aussi des salles polyvalentes, des foyers culturels… Je n’ai pas encore trouvé de rue à mon nom, j’ose juste espérer que ce ne sera pas une impasse (rires).
Comme artiste, vous recevez beaucoup d’admiration. Tandis que le maire, il focalise tous les mécontentements.
Au niveau de votre engagement, on ne peut pas passer à côté de votre fonction de maire du village de Précy-sur-Marne en Seine-et-Marne entre 1989 et 2014. Avez-vous hésité à endosser cette fonction?
J’y ai réfléchi longtemps. Mais je n’étais pas seul, j’avais des amis autour de moi avec lesquels je m’étais engagé pour lutter contre l’installation d’une carrière qui aurait défiguré le village à jamais. Et puis j’ai été élu… Et j’ai découvert la fonction en même temps que je l’avais en charge. Cela a été un très gros apprentissage, avec l’administration qui vous rappelle à l’ordre si vous êtes hors des clous. Ce qui était étrange, c’est que mon métier d’artiste était assez antagoniste avec la fonction de maire. Comme artiste, vous recevez beaucoup d’admiration. Tandis que le maire, il focalise tous les mécontentements. Cela m’a obligé à être très rigoureux dans la gestion, ce que n’est pas un artiste en général. Mais j’ai réussi à garder la tête dans les nuages tout en ayant les pieds ancrés au sol.
C’est quoi votre plus grande fierté en tant que maire?
L’humain. Cela m’a appris à écouter, à découvrir les gens. Et puis on a trouvé une solution en matière de construction en zone inondable. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais à la base, ce qu’on a fait était illégal, et puis finalement, c’est cette solution qui a été adoptée pour toute la France. Cela a permis de résoudre des problèmes réels.
Je n’ai pas de regret ni de rétroviseur nostalgique.
Vous fêtez vos 50 ans de carrière l’an prochain Qu’est-ce que cette échéance vous inspire?
Je n’ai pas de regret ni de rétroviseur nostalgique. J’ai au contraire un émerveillement du fait d’être encore là et toujours aussi libre et aussi passionné. J’ai retrouvé récemment la scène après ce temps de silence imposé par la pandémie et j’étais tellement heureux. Ce sont 50 ans de passion renouvelée et de partage avec Noëlle qui a accompagné ma carrière pendant 45 de ces 50 années. Nous avons ouvert nos ailes ensemble.
Vous allez le fêter d’une façon particulière, l’an prochain?
Oui, forcément, mais nous sommes toujours dans l’incertitude face à la pandémie. Je suis sur plein de projets pour marquer ce moment. Il y a notamment un projet d’intégrale. Mais tout dépendra comment la crise évolue.
« On ne touche pas à mon Dudu! » Dans son livre, Yves Duteil évoque de nombreuses rencontres: Raymons Devos, Barjavel, Pierre Delanoë. Mais celle avec Véronique Sanson revêt un caractère particulier. C’est en quelque sorte sa « sœur de musique ». « Oui, on peut dire ça. J’ai rencontré son manager à un festival de radios libres à Béziers. Au cours de la discussion, j’ai appris qu’une chanson que je chantais à l’époque, qui s’appelait Mon voisin, était de Véronique et sa sœur Violaine, et non pas d’Isabelle de Funès, comme je le pensais. Il m’a invité à venir la chanter à La fête à Véro aux Francofolies de La Rochelle. Et là, je lui ai demandé de venir chanter une chanson en duo sur mon album Entre elles et moi. Depuis, on ne s’est plus quittés. Et parfois, elle prend ma défense, en disant ‘On ne touche pas à mon Dudu!’ » (rires) |
Yves Duteil, Chemins de liberté, Archipel. Le coffret 4 CD « Chemins de liberté » contient 16 versions inédites, dont 3 versions studio enregistrées en 2021, des titres: « Virages », « Prendre un enfant », « Dreyfus », 1 version studio du titre La Tibétaine datant de 2003, ainsi que 12 versions enregistrées sur scène, lors de la tournée 2019/2020.
Source : L’Avenir