Itinéraire d’un Renaud blessé

France-Soir

Samedi 25/05/02

Après huit années de silence, il sort un album

Rupture, déchéance, alcoolisme pour mieux renaître. Renaud, dans un long entretien à FRANCE SOIR, se dévoile à l’occasion de la sortie mardi de son dernier album, Boucan d’Enfer. Il s’annonce déjà comme un futur succès. Jamais sans doute Renaud n’avait mené si loin son introspection.

LA VERITE, TOUTE LA VERITE, RIEN QUE LA VERITE

Retour du chanteur après quatre années de dépression.

Il nous livre une interview bouleversante de sincérité, revenant sur sa descente aux enfers.

Huit ans d’absence discographique. Quand Renaud met sa carrière entre parenthèse, il ne plaisante pas. On l’a bien précisé, cette parenthèse n’était que discographique. Le chanteur l’affirmait naguère, il a continué à faire des concerts. Côté écriture : zéro. Désamour de soi, addiction à la déchéance volontaire, Renaud a tiré le diable par la queue et s’est brûlé les doigts. C’est en vainqueur de ses fêlures que le chanteur rebelle revient sur le devant de la scène. Boucan d’Enfer (Virgin) est certainement l’album le plus personnel écrit par l’artiste. Retour sur des années de galères en chanson et en interview. Par ailleurs, s’il a laissé tomber le bandana, la plume le taraude encore, ainsi que le cinéma. Une grande année pour Renaud qui a retrouvé les lumières de l’esprit, et des plateaux.

P.L.N.


Pantalon de cuir, tiags, Renaud nous parle par intervalles. En plein tournage du clip Docteur Renaud, Mister Renard, il s’éclipse en silence du plateau. Il s’assoit sur un canapé, sans sourire, sans mépriser, sans langue de bois.

Huit années d’absence. On s’interroge !

Renaud. Manque d’inspiration, crise personnelle, problèmes personnels, pression, séparation, tendance abusive à la pochetronnerie, autodestruction et surtout les muses qui m’avaient déserté. Je continuais de chanter sur scène entre 99 et 2001. Mais pour fabriquer des disques, il faut de l’inspiration. Je ne savais plus quoi dire.

Comment est-ce revenu ?

R. Tout seul, un jour comme ça. Un copain m’a lancé un défi : « Ecris moi une chanson et je te paie un pastis. », j’ai écrit la chanson.

Vous l’avez bu ?

R. J’en ai bu plusieurs (sourire). Mais j’étais en cure de sevrage, en manque depuis huit jours. Il m’a dit que cette chanson m’autorisait une muflée. C’était pas très malin de sa part, mais bon !

Et ensuite ?

R. J’ai relu la chanson le lendemain, je l’ai trouvée pas mal, ça m’a donné envie d’en écrire une autre.

C’était laquelle ?

R. Petit Pédé. Un pote homo me tannait depuis des mois pour que j’écrive cette chanson sur sa « différence ». Et le lendemain j’ai écrit Docteur Renaud, Mister Renard.

Le début ou la fin d’une thérapie ?

R. C’était le début. Aujourd’hui ma thérapie c’est… (Il réfléchit). Je vais plagier Desproges : « La meilleure thérapie, c’est vous, le public, sauf que c’est vous qui me payez. » (rires).

Crise personnelle, alcoolisme, c’est le vrai mythe de la rock star ?

R. Ouais. Si certains considèrent qu’il y a un dandysme à se détruire par l’alcool ! Je n’étais pas fier de moi. Je ne voyais pas dans ma déchéance une rock’n’roll attitude. Il n’y avait aucun romantisme à ça. Mais je ne veux pas faire pleurer le monde avec mes soucis.

Était-ce une fuite en avant ?

R. Dans l’inactivité, je m’étiole. Depuis ma séparation, mon nouvel appartement me sort par les yeux. C’était sans fin, et sans but. A 45 ans j’ai commencé à devenir dépressif, parano. La jeunesse qui s’en va, l’enfant qui grandit, la perspective de la voir affronter ce monde dégueulasse.

Pourquoi Boucan d’Enfer ?

R. C’est le bruit qu’a fait le bonheur en partant.

Toujours ?

R. Non, j’ai fait le deuil de mes amours passées. On a une autre façon de s’aimer, en se voyant moins, c’est l’essentiel.

Est-ce un album bilan ?

R. Oui, de quatre ans de ma vie. Docteur Renaud, Mister Renard exprime bien ce que j’ai vécu pendant quelques temps. Désillusionné, pochetron, autodestructeur, !

Suicidaire ?

R. Non ! Ça peut paraître paradoxal mais on peut se détruire sans être suicidaire. Au contraire, je suis hyper hypocondriaque.

Cette impudeur dans l’album, était-ce un besoin nécessaire ?

R. C’est ce que j’avais sur le cœur et c’est ça qui est venu. Il est impudique c’est vrai, mais ça fait des jolies chansons. Ce qui m’emmerde, c’est pas les chansons, c’est d’avoir à les justifier, de raconter ma vie privée.

Vous attendez-vous à sortir un événement discographique ?

R. Non. J’ai eu la chance dans ma carrière de faire deux disques vendus à plus d’un million d’exemplaires. Depuis trois disques, j’étais revenu à des scores plus rationnels, moins phénoménaux, 500.000, 600.000…

C’est pas mal quand même !

R. Ce sont de beaux scores, mais par rapport à Cabrel, Obispo ou Goldman qui font le million à chaque fois ! J’espère revenir dans ce peloton.

Boucan d’Enfer parle de la Corse, de l’entarté (Bernard Henri Levy), du journalisme, pourtant, on a l’impression que vous sortez de ce cadre pour ne parler que de l’humain, pourquoi ?

R. Parce que ça m’intéresse moins. La chanson sur la Corse reste politique. Ça parle de l’amour de la non-violence. C’est un salut au peuple corse qui lutte pour préserver son identité, sa langue, contre les promoteurs qui veulent faire de l’île une nouvelle Côte d’Azur, ce peuple rebelle comme je les aime.

En ça je me dis que quelques bombinettes ne sont pas inutiles.

Et François Santoni ?

R. C’est pas le personnage clef de la chanson. J’ ai eu l’occasion de rencontrer François Santoni dans mon bistrot préféré. Je l’écoutais parler, posant des questions naïves. Je le trouvais passionnant. Comme je connaissais sa compagne, j’ai voulu être un peu là dans son chagrin, comme pour toutes les mères, les femmes corses qui ont perdu un être cher.

La cinquantaine vous fait peur ?

R. Je flippais déjà à 30, à 40, j’vous dis pas ! La perspective de n’avoir plus que le tiers du chemin à parcourir, c’est pas le top.

Ce sera peut-être le meilleur tiers !

R. Je n’en suis pas persuadé : je préférais mes vingt ans.

A l’époque, vos textes n’étaient pas des plus optimistes pourtant.

R. C’est vrai. Ils étaient peut-être plus rebelles. J’avais plus d’idéalisme, d’utopie, de colère et plus d’envie de les exprimer.

Vous semblez résigné !

R. Oui, un peu. Quand je vois ce que je chante depuis 25 ans et qu’on voit l’autre faire 20% aux élections, je me dis que j’ai bossé pour rien. Que tout ça était vain. La classe ouvrière, les opprimés dont je me suis toujours senti, sans démagogie, très proche, a voté en masse pour Le Pen et son ancien petit lieutenant. Ça donne presque envie de devenir réac.

Continuez-vous de chanter certaines de vos chansons comme Hexagone ?

R. Bien sûr, c’est mon hymne, et si je ne fais pas, je me fais écharper par le public (rires). Je devrais faire une nouvelle version d’Hexagone, qui correspondrait à la France d’aujourd’hui.

Vous voyez-vous attendre huit ans pour un nouvel album ?

R. Non. Le prochain sera fait très vite. Je veux réécrire dès le début de la tournée.

Comment voyez-vous votre monde, après ce carcan de huit ans ?

R. Avec des yeux de buveur d’eau. C’est pas pour ça que je ne vais pas partir en voyage sur l’océan. Je vais partir en vacances dans mon patelin du Cantal, et je suis fier car c’est l’un des plus faibles taux pour le FN lors des dernières élections! Quoique bon, Chirac a fait 40% (rires) !

La Victoire d’honneur reçue lors des Victoires de la musique vous a-t-elle motivé à revenir ?

R. Je faisais une tournée à ce moment-là . C’était un hommage non-mérité que j’aurais préféré gagner. Je n’étais pas bien à l’époque, j’étais bouffi d’alcool, pas beau à voir. Je suis très émotif, j’avais le trac devant ce parterre de gens du métier dont certains ne devaient pas apprécier ma présence. Ça faisait un bon moment que le milieu murmurait que je n’allais pas très bien, c’était un trophée presque posthume. Je l’ai accepté car ça m’a touché. C’était le Renard qui a reçu ce prix, pas le Renaud.

Le Renaud a-t-il anéanti le Renard, ou est-ce cyclique ?

R. J’espère que non. J’étais au fond du trou. Au pastis à midi jusqu’à pas d’heures, problèmes hépatiques, neurologiques. Les médecins pronostiquaient la cirrhose sous deux ans. Je ne voulais rien. Je n’ai jamais apprécié de me voir dans la glace, mais là , c’était le pire.

Une dernière chose, dans ce disque, vous parlez de « journalistes blaireaux » !

R. (sourire) Oui, mais je sais auxquels je pense et ils se reconnaîtront !

Recueilli par Patrice Le Nen


Commentaire | Par Pascal Irastorza

Silence d’enfer

Pas même un sourire dans le regard. Juste une lassitude. Et le silence noyé dans un breuvage jaune, opaque, presque glauque. Une posture ? Non. Juste le blues des journées sans début et sans fin. Les tiags rangées au rayon des souvenirs. Le perfecto parti sur le dos des muses. Juste un mal-être pesant.

Regards discrets des potes qui font comme si. Parlent beaucoup pour éviter le silence alcoolisé. S’amusent de rien. Guettent la sentence du chanteur qui ne chante plus. L’esprit est là . La phrase claque. L’avis est toujours aussi ciselé. Boucan d’enfer.

L’œil malicieux n’est jamais bien loin. Une salle municipale, un théâtre poussiéreux, une tournée régénératrice. Des applaudissements nourris, la tête se redresse, la thérapie est en cours. Et puis la boulimie de travail. Un verre d’eau fraîche. La plume redevient alerte. Une renaissance. Chansons d’enfer.

Les stigmates des années « pochetron » sont autant de cicatrices. De marques qu’il ne faut surtout pas oublier. Le verbe reste rare mais pour un copain – un de ceux qui ne l’ont pas laissé seul, ou un nouveau rencontré dans les années sombres – il fait le métier. Se confie, se dévoile. Impudique peut-être, honnête sûrement, réglo toujours.

Chanteur d’enfer.

Red Renaud

C’est au détour d’un studio bruxellois que la rousse Axelle Red a succombé au charme lexical de Renaud. Une rencontre chanceuse qui débouche sur l’enregistrement d’un titre : Manhattan-Kaboul, faux hommage au drame du 11 septembre 2001. Comme le dit Renaud dans Mister Renaud, Docteur Renard : « Personne n’est tout blanc ou tout beau. » Pas de manichéisme outrancier, Renaud parle, chante en spectateur d’un drame vécu en direct live, comme dirait l’autre. Axelle Red, en plein enregistrement de son nouvel album prévu à la rentrée prochaine, n’a pu être jointe. Manhattan-Kaboul sera le second single de Boucan d’enfer.

P.L.N.

Disque, film et roman

Quand Renaud se remet au travail, il ne le fait pas à moitié. En ce moment, outre la promotion de son nouvel album, il s’est rendu au Canada pour tourner une comédie policière. Il incarne un mauvais garçon en route pour un braquage à Chicago. On retrouve dans le casting l’incontournable Gérard Depardieu, avec qui il partagea l’affiche de Germinal il y a dix ans, Johnny Hallyday, Harvey Keitel (Taxi driver, La leçon de piano) seront aussi de la fête.

Enfin, les mots, toujours les mots. Le chanteur s’est attelé à l’écriture d’un roman. « C’est une chronique de mes années noires dans mon enfer quotidien, au travers des regards de mes potes. Je parle de moi, d’eux, puis je digresse vers des sujets de société, la vie, la mort, la politique. » Vivement la publication.

P.L.N.


Discographie

1975 : Amoureux de Paname

1977 : Laisse béton

1979 : Ma gonzesse

1980 : Marche à l’ombre

1981 : Le Retour de Gérard Lambert

1981 : Le P’tit Bal du samedi soir et autres chansons réalistes

1983 : Morgane de toi

1985 : Mistral gagnant

1988 : Putain de camion

1991 : Marchand de cailloux

1992 : Cante el’ nord

1994 : A la belle de mai

1996 : Renaud chante Brassens

2002 : Boucan d’enfer

  

Source : Le HLM des fans de Renaud