J’ai les boules !

Charlie Hebdo

N° 12, 16 septembre 1992

Renaud : Bille en tête

J’ai les boules, pas les mêmes que Lavilliers

Faut pas m’énerver aujourd’hui, j’ai les boules ! Je sais, comme entrée en matière, c’est pas joli-joli, je sais, on dirait que c’est tiré d’un billet de Claude Sarraute dans Le Monde, mais je m’excuse, mais merde, j’ai les abeilles ! Ma fille est rentrée en classe ce matin dans un nouveau bahut, ils devaient libérer les monstres à 5 heures, finalement, sans prévenir parents, ils les ont lâchés une heure plus tôt. Panique de ma môme, paumée toute seule sur ce trottoir qui tend les bras aux enfants perdues, qui rentre toute seule à la maison, se perd dans des rues qu’elle ne connaît pas, arrive chez nous une heure plus tard, personne, forcément, maman est partie la chercher à  l’école comme prévu à 5 heures, et papa fait du cinéma quelque part dans le Ch’Nord. Gros chagrin et vraies grosses larmes… Vous allez me trouver dégueulasse, mais, quand j’ai appris ça le soir, les dernières infos sur la Somalie, la Croatie, l’Afghanie m’ont paru franchement dérisoires. Je sais pas pourquoi je vous raconte ça. Mais p’t’être que parmi les lecteurs de Charlie, y a des papas qui savent…

Bon, je me calme… Je vais pas aller foutre un coup de boule au proviseur tout de suite. N’empêche que la prochaine fois que l’Éducation nationale fait pleurer ma fille, je fous le feu au bahut. Je fais péter le ministère, je vais chez Ardisson dire du mal de Jack Lang, je vote à droite, je retourne écrire dans L’Idiot international, j’achète le dernier Bruel, je m’abonne au Figaro et je crée le fan-club Jeannie Longo. Ou alors je te refais un Mai 68 à moi tout seul. Je me teins les cheveux en rouge et je vais foutre ma zone à Nanterre. Je tague sur les murs des facs des slogans subversifs, « Tuez les mercières ! », ou « Mort aux gens ! », je vais chez Dechavanne dire le contraire des autres, genre « j’aime l’intolérance et je déteste l’abbé Pierre », j’organise un gala de soutien à Francis Lalanne et j’apprends par cœur les poèmes politiques de Jean-François Kahn.

Ouf ! Ça va mieux… J’aime pas qu’on fasse pleurer ma môme, et pis c’est tout !

Depuis le temps que Bernard Lavilliers essaye de passer pour un vrai bandit, cette semaine il a au moins réussi à passer pour un vrai con. J’aime pas dire du mal des cons plus forts que moi, mais quand même, se faire gauler par les keuf’s en pleine nuit, bourré, brandissant un fusil à pompe à canon scié sous le nez d’une gonzesse dans une bagnole même pas volée, faut être un peu tête pleine d’eau. Je le connais bien, le Nanard, j’veux pas cafter, mais j’ai l’impression qu’il a toujours eu un problème avec les armes à feu. Ou alors c’est avec sa quéquette. Chaque fois que j’le croise dans les bistrots même pas louches, y m’parle calibres, flingues, lames de couteau, et que j’ai un Remington sous mon oreiller, un Beretta sous mon zomblou, et qu’à Bangkok j’ai senti le froid de l’acier d’un 357 Magnum sur ma tempe, et ceci cela… Hé ! Tarzan ! laisse béton ! Aux gonzesses, montre-leur ta bite stéphanoise, t’as plus de chances de les séduire qu’avec un fusil à pompe de chez Manufrance. Quant aux mecs, t’as qu’à juste nous chanter tes chansons. Comme disait l’autre, on s’en branle que t’aies pris ces trains ou pas, du moment que tu nous fais voyager… Et pis tu sais, y a vraiment plus que les connards finis pour vibrer encore au romantisme des prisons, au mythe du gangster au grand cœur et du bandit d’honneur. De Pigalle et du Bronx à la Canebière, tous ces beauf’s enfouraillés qui te fascinent, c’est de la graine de flics, en plus feignants, en plus bavards, en plus réac’s. Une bonne vieille Occupation, et tu les retrouves dans la milice…

Si y lit ça, le Nanard, la prochaine fois que j’le croise, à tous les coups y m’allume. Je sens que ça va faire encore pleurer ma fille… Qu’il essaye et je déclare la guerre mondiale aux chanteurs.

Pauvre Tonton s’est fait opérer de la prostate. Ça vous fait marrer ? Moi, pas du tout. J’ai pas pu m’empêcher de penser à la façon dont les médecins diagnostiquent en général les problèmes de prostate. Les docteurs appellent ça élégamment un « toucher rectal ». Les malades, honnêtement, un « doigt dans l’cul ». Et à l’idée que mon Président préféré du monde a subi cet examen pour le moins inconfortable, voire humiliant, eh ben ! j’étais tout triste pour lui. Pis pour moi aussi. Parce que, du coup, ça me le désacralise à mort !

Mais, après tout, ce n’est peut-être que justice. Depuis 81, on s’est dit plus d’une fois qu’il nous faisait la même chose, non ?

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud